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Le harcèlement moral dans la fonction publique. Par Fouziya Bouzerda, Avocat.
Parution : mercredi 26 novembre 2014
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Le harcèlement est un moyen très invoqué en droit de la fonction publique, aussi bien devant le juge administratif que devant le juge pénal.

Les articles 6 ter et 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations des fonctionnaires visent à protéger le fonctionnaire contre le harcèlement sexuel (1) et contre le harcèlement moral (2). Les personnes publiques doivent prévenir les situations de harcèlement. Cette obligation a récemment été rappelée par la circulaire SE1 2014-1en date du 4 mars 2014 (3).

1/ Le harcèlement sexuel

La notion de harcèlement sexuel a été introduite dans le statut général des fonctionnaires par la loi n° 92-1179 du 2 novembre 1992. La loi du 13 juillet 1983 ainsi modifiée reprend désormais la nouvelle définition du délit de harcèlement sexuel prévue par l’article 222-33 du Code pénal.

Au terme de l’article 6 ter du statut général des fonctionnaires : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les faits :

a) Soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ;

b) Soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.

Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire :

1° Parce qu’il a subi ou refusé de subir les faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas, y compris, dans le cas mentionné au a, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés ;

2° Parce qu’il a formulé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces faits ;

3° Ou bien parce qu’il a témoigné de tels faits ou qu’il les a relatés.

Est passible d’une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou enjoint de procéder aux faits de harcèlement sexuel mentionnés aux trois premiers alinéas.

Les dispositions du présent article sont applicables aux agents non titulaires de droit public"

La circulaire SE1 2014-1 du 4 mars 2014 vient préciser les nouvelles dispositions relatives au délit de harcèlement sexuel et moral prévues par la loi n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel et leur impact dans les trois versants de la fonction publique. Elle rappelle d’abord que le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui ;

 Soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ;

 Soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.

La jurisprudence est réduite en matière de harcèlement sexuel. En effet, peu de décisions jurisprudentielles administratives font allusion à des faits de harcèlement sexuel. En outre, parmi ces décisions peu d’entre elles concernent des agents publics mais essentiellement des salariés protégés des entreprises [1].

2/ Le harcèlement moral

Aux termes de l’article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 :

« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’égard d’un fonctionnaire en prenant en considération :

Le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ;

Le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ;

Ou bien le fait qu’il ait témoigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés. […] ».

Pour caractériser le harcèlement moral, plusieurs éléments doivent être réunis : il faut des agissements répétés de harcèlement moral (critère du caractère répétitif de l’acte), une dégradation des conditions de travail, une atteintes aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mental ou à l’avenir professionnel de l’agent [2].

Concrètement, les éléments de harcèlement moral se manifestent notamment par :

 Des dégradations des relations professionnelles ;
 Un acharnement verbal ;
 Un comportement répété entraînant la désorganisation du travail de la victime afin de pousser la victime à la faute ;
 Une surveillance tatillonne du travail sollicitant la remise de rapports très fréquents pour des tâches mineures ;
 Des ordres contradictoires, une réorganisation du travail dont l’agent n’est jamais tenu informé ;
 La mise à l’écart ;
 Des propos humiliants en présence de subordonnés en vue de discréditer l’autorité de l’agent dans son équipe ;
 La manifestation d’une irritabilité en présence de l’agent (lui couper la parole, l’invectiver brutalement) ;
 Le fait de lui ôter tout pouvoir de signature, de mettre en doute son honnêteté après des années d’ancienneté et une notation irréprochable ;
 Le fait de diminuer sa notation et d’entrainer l’échec de toute avancée professionnelle ;
 Le fait de moquer l’agent, de le tourner en dérision ;
 Le fait de ne donner aucun poids ni aucun intérêt à ses propos, ses notes et son travail.

Il a ainsi été jugé comme correspondant au harcèlement moral : « Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des nombreuses pièces produites par Mme A devant la cour administrative d’appel de Paris, d’une part, qu’après l’affectation de la requérante à la mission conseil juridique de l’Office national de la chasse par la décision précitée du 4 novembre 1991, les relations de celle-ci avec sa hiérarchie, et notamment avec la responsable de ce service, se sont rapidement dégradées ; que cette dernière, en raison de l’attitude jugée récalcitrante de Mme A, ne lui a plus adressé d’instructions que par voie écrite, parfois même par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, incitant ses collaborateurs à faire de même et multipliant, à cette occasion, les consignes inutilement tatillonnes, y compris pour les tâches les plus simples, dans lesquelles la requérante a été progressivement confinée ; que celle-ci a vu son comportement et ses capacités professionnelles systématiquement dénigrés, dans des termes souvent humiliants pour un agent de son ancienneté, et son honnêteté mise en doute à plusieurs reprises, sans que jamais une procédure de licenciement pour insuffisance professionnelle ou de sanction disciplinaire ait été engagée à son encontre selon les formes et avec les garanties prévues par son statut ; que l’isolement de Mme A au sein du service a été renforcé par des mesures vexatoires telles que l’interdiction de pénétrer dans certaines pièces ou d’assister, sans que soit invoqué un motif précis tiré de l’intérêt du service, aux vœux du directeur de l’établissement ; que, d’autre part, alors même que Mme A a, à de nombreuses reprises, attiré l’attention du directeur de l’Office national de la chasse sur ces difficultés, il ne résulte pas de l’instruction qu’une mesure ait été prise pour mettre un terme à cette situation, qui a conduit au placement de la requérante en congé de maladie pour un état dépressif pendant cinq mois et demi au cours de l’année 1995 ; que cette carence a rendu possible la persistance, sur une période d’au moins six ans, des agissements mentionnés précédemment, qui, par leur répétition, ont excédé les limites de l’exercice normal du pouvoir hiérarchique ; que, dans les circonstances de l’espèce, ce comportement a, dans son ensemble, et indépendamment même des dispositions de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, qui n’étaient pas alors en vigueur, constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage ; qu’ainsi, Mme A est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a estimé que ses conditions de travail dans son nouvel emploi ne révélaient aucune faute de nature à engager la responsabilité de l’Office national de la chasse ; » [3] ;

De même, est constitutif de harcèlement moral le comportement d’un supérieur hiérarchique conduisant à l’isolement au sein du service d’un agent jugé « récalcitrant » : instructions adressées par voie écrite, parfois par lettre recommandée avec accusé de réception, consignes tatillonnes, dénigrement systématique des capacités professionnelles, mise en doute de l’honnêteté, confinement dans des taches d’un niveau inférieur, mesures vexatoires sans que soit invoqué un motif précis tiré de l’intérêt du service, situation qui a duré six ans et a conduit au placement de la victime en congé de maladie pour état dépressif pendant cinq mois [4].

En cas de contentieux, le juge administratif doit prendre en compte le comportement de l’agent auquel le harcèlement est reproché et de l’agent qui estime en avoir été victime. Lorsque l’existence du harcèlement moral est établie, il ne peut être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui [5].

Lorsque l’administration n’a pris aucune mesure adéquate pour faire cesser des agissements qui lui sont signalés et dont elle a pu vérifier la véracité, sa responsabilité peut être engagée devant le juge administratif.

3/ La responsabilité de la personne publique

Les personnes publiques doivent prévenir les situations de harcèlement. Lorsque l’administration n’a pris aucune mesure adéquate pour faire cesser des agissements qui lui ont été signalés et dont elle a pu vérifier la véracité, sa responsabilité peut être engagée devant le juge administratif.

S’agissant de l’engagement de la responsabilité de l’administration, cette dernière doit apporter la preuve qu’elle a mis en œuvre des moyens efficaces pour faire cesser les agissements de harcèlement. Le juge administratif va analyser ces moyens in concreto et la carence et l’inertie de l’administration constituent une faute de service :

«  d’autre part, alors même que l’appelant a, à de très nombreuses reprises tout au long de cette période, attiré l’attention des directeurs successifs du conservatoire sur les conditions matérielles défavorables qui lui étaient réservées, il n’est pas contesté qu’aucune mesure n’a été prise pour mettre un terme à ces dysfonctionnements majeurs, qui conduisaient pourtant à une dégradation progressive de l’état de santé de l’intéressé qui était régulièrement placé en congé de maladie ; que la ville de B, qui n’a d’ailleurs pas fait appel du jugement, ne démontre pas plus qu’en première instance qu’elle ait été dans l’impossibilité de répondre favorablement aux sollicitations légitimes dont elle était l’objet de la part du responsable de la classe de percussion du Conservatoire et de rétablir au moins partiellement une situation de travail normale ; que cette carence répétée des supérieurs hiérarchiques de M. X a rendu possible la persistance, sur une période de presque vingt ans, de conditions de travail très sensiblement dégradées susceptibles de porter atteinte à la dignité de l’intéressé et d’altérer sa santé physique et mentale ; que, par suite, ce seul comportement vexatoire et étranger aux nécessités du service, pris dans son ensemble, a constitué, dans les circonstances de l’espèce, un harcèlement moral exercé sur la personne de M. X qui était de nature à engager la responsabilité de la ville de B » [6].

En matière de harcèlement moral, le Conseil d’Etat a précisé le régime de la preuve. L’examen par le juge administratif s’opère en trois temps :

 Tout d’abord, il appartient à l’agent qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de faits susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ;

 Ensuite, il incombe à l’administration de produire une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ;

 Enfin, la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu des échanges contradictoires, qu’il peut compléter en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

Cette appréciation globale va permettre au juge de considérer si les faits peuvent être qualifiés de harcèlement. Une telle qualification emporte de graves conséquences tant pour le responsable directe que pour la personne publique employeur.

Enfin, reste à préciser que le harcèlement moral ou sexuel est susceptible d’ouvrir droit à la protection fonctionnelle [7], ce qui facilite l’accès au prétoire à tous les fonctionnaires.

Fouziya Bouzerda, Avocat http://www.cabinet-bouzerda.avocat.fr/avocat-lyon

[1CAA Versailles, 16 mars 2012, n° 09VE00930

[2en ce sens : CE, 22 février 2012, n° 343410

[3CE 24 Novembre 2006 Madame B. , n° 256313

[4CE 24 nov. 2006, Mme Baillet, n° 256313

[5CE, 11 juillet 2011, n° 321225

[6CAA Nancy, 15 novembre 2007, n° 06NC00990

[7CAA Nancy, 2 août 2007, n° 06NC01324 ; CE, 12 mars 2010, n° 308974