Village de la Justice www.village-justice.com

Donation dissimulée : un jeu de cache-cache très dangereux ! Par Alexandra Six et Magalie Borgne, Avocats.
Parution : mercredi 26 novembre 2014
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Donation-dissimulee-jeu-cache,18373.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Dans une décision rendue le 8 octobre 2014 (n° 13-10074), la Cour de cassation précise le contour d’application du recel successoral.

Qu’est-ce que le recel successoral ? Il peut être défini comme un détournement frauduleux réalisé par un héritier au détriment des autres héritiers, visant à rompre l’égalité du partage de la succession. N’importe quel moyen opéré de manière frauduleuse peut être sanctionné, tel que soustraire ou vendre des meubles ou immeubles, s’abstenir de révéler l’existence de tels biens ou même d’un autre héritier, produire un faux testament ou encore employer de manière abusive une procuration bancaire qui avait été accordée par le défunt. La liste est longue.

Le recel de succession suppose que la preuve du détournement [élément matériel] et de l’intention frauduleuse [élément intentionnel] soit rapportée.

Cette étape franchie, il ne faut pas se relâcher car pour obtenir gain de cause, l’héritier qui s’estime floué doit demander la bonne sanction.

Depuis la loi du 23 juin 2006 (applicable aux successions ouvertes dès le 1er janvier 2007), les peines du recel de succession sont prévues à l’article 778 du Code civil.

Dans l’arrêt susvisé, la Cour de cassation s’est prononcée sur la dissimulation d’une donation et les conditions de son rapport à la succession.

Dans cette affaire, Madame X est décédée, laissant pour lui succéder ses trois enfants. Après que la succession fut partagée, deux des héritiers ont découvert que leur frère leur avait caché avoir reçu de leur mère une somme d’argent, qui lui avait permis d’acheter 25 actions d’une société en 1984.

Ils ont assigné leur frère pour obtenir un partage complémentaire, sa condamnation pour recel successoral et demander la réintégration à l’actif de la succession des actions et des dividendes y afférents.

Ils ont obtenu totalement gain de cause en première instance, mais ont été déboutés de l’ensemble de leurs demandes par la Cour d’Appel. Il appartenait donc à la Cour de cassation de trancher cette question : en cas de dissimulation d’une donation d’une somme d’argent ayant servi à acheter un bien, le recel successoral s’applique-t-il à ce bien ? Autrement dit, ce bien doit-il être rapporté à la succession ?

La Cour de cassation a estimé que le don manuel fait par la mère ne portait que sur une somme d’argent et non sur les actions dont elle n’a jamais été propriétaire puisqu’elles ont été achetées par le frère. En conséquence, elle a décidé que les demandeurs ne pouvaient pas demander la restitution des actions et des dividendes attachés.

Au final, les demandeurs ont perdu, alors que pourtant, la Cour d’appel leur avait donné partiellement raison en retenant que leur frère avait bien bénéficié d’une donation.

Dès lors, une nouvelle question se pose : en cas de dissimulation d’une donation rapportable d’une somme d’argent ayant servi à acheter un bien, sur quoi porte le recel successoral ?

En principe, le rapport d’une telle donation correspond au montant de la somme donnée.

Par exception, s’il est démontré que cette somme donnée a servi à acheter un bien, le rapport correspond à la valorisation de ce bien : on ne rapporte pas le bien en lui-même, mais sa valeur.

En effet, dans une décision antérieure rendue le 30 septembre 2009 [1], la Cour de cassation a précisé que si le recel résulte de la dissimulation d’une donation d’une somme d’argent employée à l’acquisition d’un bien, le receleur est redevable d’une somme représentant la valeur actuelle du bien.

Ainsi, l’arrêt du 8 octobre 2014 démontre que si des héritiers parviennent à rapporter la preuve d’une fraude commise au mépris de leurs droits dans le partage de la succession, cela ne suffit pas : il leur faut également définir avec précision le contour du recel successoral et en demander la bonne sanction. Ce n’est qu’à ces conditions que leurs intérêts pourront être préservés.

Cabinet ELOQUENCE Avocats Lille et Paris www.eloquence-avocats.com

[1N°08-16601.