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Conciliateur de justice, petits litiges, fonction bénévole... ou le trio infernal. Par Christophe Mollard Courtau.
Parution : mercredi 26 novembre 2014
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https://www.village-justice.com/articles/Conciliateur-justice-Petits,18376.html
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En parcourant, surfant ou "ramant"… sur le web, on recense différents articles et informations pratiques sur le conciliateur de justice et la conciliation et plus généralement sur l’aide à l’accès au droit et le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges (presse régionale, sites internet des mairies, des Maisons de Justice et du Droit ou du Ministère de la Justice...) dans lesquels sont mis systématiquement en exergue, sa compétence pour "les petits litiges du quotidien ou de voisinage " et son action bénévole.

Or, la notion de "petit conflit ou litige" s’avère inexacte en fait et en droit (1) et quant à la mention systématique de l’action bénévole de conciliateur, elle n’est pas de nature à renforcer sa crédibilité à l’égard des professions juridiques et judiciaires mais aussi des justiciables en attentes légitimes de diligence, professionnalisme et résultat de la part de cet auxiliaire de justice assermenté (2) ;

Est-il donc bien opportun d’utiliser ces 2 qualificatifs qui contribuent à minimiser le rôle essentiel du conciliateur au sein de la justice de proximité citoyenne notamment face à ses nouveaux concurrents, médiateurs et médiation ???

1/ Sur la prétendue notion de "petit conflit ou litige" : la confusion entre son faible montant, son ressenti par la victime et sa qualification juridique :

D’abord, il convient de préciser que la notion de litige est la traduction juridique (qualification juridique d’une situation de fait) d’un conflit entre 2 ou plusieurs personnes existant préalablement à sa qualification en droit, le conflit ayant vocation par nature, à un règlement amiable "para juridique" avec ou sans l’intervention d’un tiers (par exemple la conciliation conventionnelle) et le litige à un règlement contentieux fondé sur le droit (le procès intégrant, dans certains cas, une tentative préalable obligatoire de conciliation).

Sauf que si cette distinction entre conflit et litige semble facile en théorie, sa mise en œuvre pratique paraît beaucoup plus complexe ; conflit (aspect relationnel) et litige (qualification juridique) étant indissociables en pratique.

Ensuite cette notion de « petit conflit devenu litige » « colle aussi à la robe ou plutôt à la médaille » de nos collègues juges de proximité et ne contribue pas à donner une bonne image de la justice de « terrain » aux justiciables alors que l’immense majorité du contentieux concerne ces « petits litiges » encore qualifié de « contentieux de masse » et qui en réalité sont beaucoup plus complexes que ces qualificatifs « réducteurs » ne le laissent paraître.

Cette notion de "petit conflit ou litige" est inexacte ou inappropriée pour 3 raisons :

D’abord, le terme "petit litige" n’est pas une notion définie expressément par notre droit positif : L’article 1ier du décret du 20 mars 1978 modifié en 1996 instituant les conciliateurs de justice et inséré dans le C.P.C [1] utilise le terme de « règlement amiable des différends » sans utiliser l’adjectif « petit » ;

Le C.P.C prend en compte le montant du litige uniquement pour déterminer d’une part, la compétence matérielle des juridictions civiles (jusqu’à 4000 € pour la juridiction de proximité, de 4001 € à 10000 € pour le tribunal d’instance et plus de 10000 € pour le tribunal de grande instance) et d’autre part, le recours ou non à la voie de l’appel (taux de ressort : plus de 4000 € en matière civile, commerciale et prud’homale) ;

Ensuite, un litige « petit » par son montant n’est pas synonyme de qualification juridique simple car il peut poser une question de droit difficile, notre droit positif (interne et européen) devenant de plus en plus complexe (règles de preuve, droit de la consommation, résolution/résiliation d’un contrat, reconnaissance de dette, inconvénient anormal de voisinage, responsabilité civile délictuelle, quasi contrat….source de nombreuses difficultés/pièges juridiques) ;

Enfin, un litige quel que soit son montant même minime, n’est jamais un "petit litige" pour le justiciable qui en est victime et cela nous l’avons toutes et tous constaté dans notre pratique quotidienne. Un litige qui peut paraître "dérisoire" à celui qui ne le subit pas, peut avoir des répercussions psychologiques et physiques désastreuses pour la ou les victimes.

2/ Un conciliateur bénévole : la confusion entre bénévolat et accès gratuit au conciliateur intégré au service public de la justice :

Est-il judicieux en 2014, de mettre en exergue le bénévolat du conciliateur, auxiliaire de justice assermenté depuis 1996, ce dernier n’étant pas un membre actif d’une quelconque association privée caritative mais un collaborateur occasionnel du service public de la justice donc de l’Etat comme ses collègues juges de proximité, conseillers prud’homaux, juges consulaires ou délégués départementaux du Défenseur des Droits ?

La gratuité de l’accès au conciliateur notamment en matière de conciliation judiciaire déléguée (contrairement à l’accès payant au médiateur) ne doit pas être confondue avec le bénévolat : En effet, la fonction de conciliateur de justice relève du service public de la justice s’agissant des conciliations judiciaires (la question est plus délicate s’agissant des conciliations conventionnelles, le statut actuel du conciliateur étant hybride et donc source de confusion ) dont l’accès est gratuit comme celui aux juges et aux fonctionnaires des greffes qui sont payés par l’Etat et non directement par les justiciables ; Le bénévolat n’est donc pas la condition de la gratuité de l’accès à la justice publique et donc de l’accès au conciliateur notamment en matière de conciliation judiciaire déléguée par le juge.

De plus, si le bénévolat avait toute sa place y compris dans le cadre d’une collaboration occasionnelle de l’Etat dans les années 70, il ne répond plus aujourd’hui, aux nouvelles exigences et contraintes de l’engagement citoyen du 21ième siècle au service de l’intérêt général et notamment s’agissant des actifs salariés qui sont prêts à s’engager pour leurs concitoyens mais sous condition de disposer d’un statut leur assurant les moyens de concilier vie professionnelle salariale et service occasionnel de l’intérêt général.

Enfin, insister sur la fonction bénévole du conciliateur porte atteinte à sa crédibilité mais aussi à sa reconnaissance et donne le sentiment aux professionnels du droit mais aussi aux justiciables, à tort, d’une justice de proximité et d’une conciliation aux « rabais  » face à une justice étatique en recul et à des modes de règlements amiables (médiation, arbitrage, méd-arb..) mis en œuvre par des professionnels.

En conclusion, il serait préférable de préciser que le conciliateur est un collaborateur occasionnel du service public de la justice, compétent et diligent ayant pour mission le règlement amiable des litiges civils et commerciaux opposant les particuliers entre eux ou un particulier à un professionnel ;

Christophe M. COURTAU Diplômé d\'études supérieures en droit de l\'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Conciliateur de Justice près le Tribunal d\'Instance de Versailles - (ccourtau-cj78370@sfr.fr)

[1Art. 1530 du C.P.C créé par le décret n°2012-66 du 20 janvier 2012 - art. 2 qui dispose :
« La médiation et la conciliation conventionnelles régies par le présent titre s’entendent, en application des articles 21 et 21-2 de la loi du 8 février 1995 susmentionnée, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence. »

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