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Communiqué de l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation en date du 5 décembre 2014, relatif à la recevabilité des pièces dans la procédure d’appel avec représentation obligatoire. Par Julie Gourion-Richard, Avocat.
Parution : lundi 8 décembre 2014
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L’Assemblée Plénière de la Cour de cassation connaît des affaires qui posent une question de principe, et notamment en cas de résistance d’une juridiction inférieure lorsque dans la même affaire ayant donné lieu à un arrêt de cassation avec renvoi, un second pourvoi est formé et qu’il est fondé sur les mêmes moyens.

Ainsi, l’application de l’article 906 du Code de procédure civile a été source de décisions contradictoires de la part des Juges du fond.

En effet, même si certaines Cours d’appel ont opté pour une application de la règle de la simultanéité, estimant que les conclusions et pièces formaient un bloc indissociable, et que les pièces étaient, dès lors, irrecevables, d’autres, en plus grand nombre, ont rarement sanctionné l’absence de communication simultanée des conclusions et des pièces, au motif justement, que l’article précité, n’en édictait aucune.

C’est dans ces circonstances que, le 5 Décembre 2014, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a été saisie des deux questions suivantes, posées par deux pourvois en cassation :

1- La Cour d’appel est-elle tenue d’écarter des débats les pièces qui n’auront pas été communiquées par l’appelant en même temps que ses conclusions en méconnaissance des dispositions de l’article 906 du code de procédure civile ?

2- La Cour d’appel est-elle tenue d’écarter les pièces qui ont été communiquées par l’intimé en même temps que ses conclusions déclarées irrecevables ?

Elle a émis un communiqué relatif à ces arrêts rendus le même jour, n°614 et n°615 [1].

Le voici reproduit :

COMMUNIQUE

 
Dans la procédure d’appel en matière contentieuse avec représentation obligatoire, les pièces sont écartées des débats :

- lorsque les conclusions auxquelles elles sont communiquées au soutien sont déclarées irrecevables, au seul constat de l’irrecevabilité de ces conclusions.
- en cas de défaut de communication simultanée à la notification régulière de conclusions recevables, sauf à ce que la partie à qui le non-respect des dispositions de l’article 906 du code de procédure civile est reproché, établisse que son adversaire a disposé d’un temps utile démontrant le respect du principe de la contradiction.
 
Pourvoi n°13-19.674

L’appelant n’avait pas communiqué ses pièces dans le même temps de la notification de ses conclusions, intervenue dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile.

La cour d’appel de Bordeaux n’a pas écarté ces pièces, considérant que cette absence de simultanéité n’avait pas porté atteinte au principe de la contradiction et n’avait pas mis en difficulté l’intimé.

Sur ce point, la Cour de cassation approuve. Excluant toute application automatique, l’assemblée plénière précise ainsi que la mise à l’écart des pièces, sanctionnant l’irrégularité d’une communication ne répondant pas aux exigences de l’article 906 du code de procédure civile, peut ne pas être prononcée, si la cour d’appel, régulièrement saisie des prétentions des parties énoncées dans les conclusions notifiées dans les délais des articles 908 et 909 du code de procédure civile, est en mesure d’admettre que la partie qui dénonce le défaut de simultanéité n’a pas été entravée dans l’exercice de ses droits, que le principe de la contradiction a été respecté dans un débat demeuré loyal.

Pourvoi n° 13-27.501

Les conclusions de l’intimé ont été déclarées irrecevables comme tardives par le conseiller de la mise en état, en application de l’article 909 du code de procédure civile.

La Cour d’appel de Dijon n’a pas écarté les pièces communiquées par l’intimé. Selon elle, l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intimé ne pouvait être étendue aux pièces qui ont été versées par celui-ci, en l’absence de dispositions spécifiques de l’article 909 du code de procédure civile ou d’un autre texte.

La Cour de cassation désapprouve. Ces pièces doivent être écartées, car elles ne peuvent plus se rattacher et venir au soutien d’une quelconque prétention recevable, en raison de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé.

Le pourvoi est néanmoins rejeté : le motif, quoique légitimement critiqué, est sans portée, dans la mesure où la cour d’appel ne s’est pas, en l’espèce, fondée sur les pièces de l’intimé.


Le Code de procédure civile prévoit un certain nombre de textes relatifs (au moins en partie), à la communication des pièces :

- l’article 15 :

« Les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacune soit à même d’organiser sa défense ».

- l’article 16 :

« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations
 ».

- l’article 132 :

« La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance.
La communication des pièces doit être spontanée
 ».

- spécifiquement en matière d’appel avec représentation obligatoire, l’article 906 :

« Les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués ».

Par ailleurs, les articles 908 à 910 du Code de procédure civile déclinent les différents délais impartis à l’appelant et à l’intimé pour conclure, sanctionnés respectivement par la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions.

Pour simplifier les explications, seuls les articles 908 et 909 seront ici rappelés, d’autant qu’ils étaient spécifiquement visés par les arrêts n°614 et n°615.

Article 908 : date de la déclaration d’appel + 3 mois : pour conclure en tant qu’appelant.

Article 909 : date de la notification des conclusions de l’appelant [ou signification par voie d’huissier en cas d’intimé défaillant] + 2 mois : pour conclure en tant qu’intimé, et former, le cas échéant, appel incident ou provoqué.

Ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus, l’article 906 du Code de procédure civile dispose que les conclusions sont notifiées et les pièces communiquées simultanément par l’avocat de chacune des parties à celui de l’autre partie ; en cas de pluralité de demandeurs ou de défendeurs, elles doivent l’être à tous les avocats constitués.

Ce texte n’est assorti d’aucune sanction.

Il faut rappeler que dans un avis n° 1200005 rendu le 25 Juin 2012, la Cour de cassation a jugé que :

Doivent être écartées les pièces, invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas
communiquées simultanément à la notification des conclusions
”.

Dans un autre avis n° 1300003, rendu le 21 Janvier 2013, la Cour de cassation a également jugé que :

Le conseiller de la mise en état n’est pas compétent pour écarter des débats les pièces invoquées au soutien des prétentions, qui ne sont pas communiquées simultanément à la notification”.

La Cour de cassation a aussi précisé dans un avis rendu le 21 janvier 2013 n° 1300005 que :

Dans la procédure ordinaire avec représentation obligatoire en appel ; les parties peuvent jusqu’à la clôture de l’instruction, invoquer des moyens nouveaux”.

L’on pouvait donc en déduire que les moyens nouveaux pouvaient impliquer, la production de nouvelles pièces venant les soutenir.

Par ailleurs, dans un arrêt rendu le 30 Janvier 2014, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation [2], a jugé que :

Il résulte de la combinaison des articles 906 et 908 du code de procédure civile que seule l’absence de conclusions dans le délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel est sanctionnée par la caducité de l’appel ;
Et attendu que selon les dispositions de l’article 15 du code de procédure civile, les parties doivent se faire connaître en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent ;
qu’ayant relevé que (l’appelant) avait signifié ses premières conclusions le 14 juin 2011 puis communiqué ses pièces le 4 juillet suivant, la cour d’appel a souverainement constaté que les pièces ayant été communiquées en temps utile, il n’y avait pas lieu de les écarter ..
.”.

Ce contexte étant rappelé, revenons aux arrêts rendus le 5 Décembre 2014 par l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation.

Dans le pourvoi n°13-19.674, l’appelant n’avait pas communiqué ses pièces dans le même temps de la notification de ses conclusions, intervenue dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile.

Leur irrecevabilité avait donc été soulevée.

La Cour d’appel de Bordeaux n’a pas écarté ces pièces, considérant que cette absence de simultanéité n’avait pas porté atteinte au principe de la contradiction et n’avait pas mis en difficulté l’intimé.

Dans le cadre d’un pourvoi incident, il était soutenu par le défendeur au pourvoi, que l’obligation faite à l’auteur des conclusions de communiquer ses pièces, simultanément au dépôt et à la notification de ses conclusions, était sanctionnée par L’OBLIGATION pour le Juge, dès lors que la partie adverse le demande, d’écarter des débats les pièces non communiquées en même temps que les conclusions.

Qu’en refusant de faire droit à cette demande visant à faire écarter les pièces qui n’avaient pas été communiquées en même temps que les conclusions, au motif que la preuve d’une atteinte aux droits de la défense n’a pas été rapportée, quand la sanction est automatique et qu’elle devait être appliquée avant que les juges du fond puissent examiner les demandes adverses, les juges du fond ont violé l’article 906 du Code de procédure civile.

La Cour de cassation estime que le moyen n’est pas fondé, dans la mesure où les pièces avaient été communiquées en temps utile (à savoir quelques jours après la notification des conclusions) et que la Cour d’appel de Bordeaux en a exactement déduit qu’il n’y avait pas lieu d’écarter ces pièces.

Dans son communiqué, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation approuve et exclut TOUTE APPLICATION AUTOMATIQUE de la mise à l’écart des pièces non communiquées simultanément, si la Cour d’appel, régulièrement saisie des prétentions des parties énoncées dans les conclusions notifiées dans les délais des articles 908 et 909 du code de procédure civile, en l’absence de démonstration par la partie qui dénonce le défaut de simultanéité, d’avoir été entravée dans l’exercice de ses droits, à partir du moment où le principe de la contradiction a été respecté dans un débat demeuré loyal.

Dans le pourvoi n°13-27.501, les conclusions de l’intimé avaient été déclarées irrecevables comme tardives par le Conseiller de la mise en état, en application de l’article 909 du Code de procédure civile.

L’irrecevabilité des pièces en étant le soutien, communiquées lors de la notification de ces écritures, avait donc également été sollicitée, devant la Cour d’appel de Dijon.

Cette dernière n’a pas écarté les pièces communiquées par l’intimé, estimant qu’en l’absence de dispositions spécifiques de l’article 909 du code de procédure civile ou d’un autre texte, l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intimé ne pouvait être étendue aux pièces ayant été versées par celui-ci.

La Cour de cassation relève que c’est à tort que la Cour d’appel a refusé d’écarter des débats les pièces communiquées et déposées au soutien de conclusions irrecevables, mais la cassation n’est pas pour autant encourue, dès lors qu’elle ne s’est pas fondée sur ces pièces.

Le moyen est donc écarté et le pourvoi, rejeté.

Sur ce point, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation désapprouve la position de la Cour d’appel de Dijon, relevant que ces pièces doivent être écartées, car elles ne peuvent plus se rattacher et venir au soutien d’une quelconque prétention recevable, en raison de l’irrecevabilité des conclusions de l’intimé.

Même si l’article 909 du Code de procédure civile ne prévoit effectivement que l’irrecevabilité des conclusions, il était illogique, en pratique, qu’un intimé puisse « contourner » cette sanction, en communiquant des pièces venant pourtant au soutien d’écritures ne pouvant valablement être prises en compte par la Cour.

En conclusion, par ce communiqué relatif aux arrêts n°614 et n°615 rendus le 5 Décembre 2014, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation me semble être, plus que jamais, soucieuse du respect d’un procès équitable et loyal, au-delà même de la lettre des articles 908 et 909 du Code de procédure civile, privilégiant ainsi, leur « utilisation intelligente » par les Cours d’appel.

Ce que j’estime favorable aux justiciables et aux praticiens ...

Julie Gourion-Richard Avocat au Barreau de Versailles Spécialiste de la procédure d'appel Email : [->cabinet@jgl-avocat.fr] site internet : http://www.jgl-avocat.fr

[113-19.674 et 13-27.501

[2Cass. civ. 2ème, 30 Janvier 2014 : n°12-24145 Bull. 2014, II, n° 26