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Ne faudrait-il pas professionnaliser les élus C.E et D.P, considérés comme les hydres de l’employeur et les super-héros des salariés ? Par Fabrice Allegoet, Juriste.
Parution : mardi 16 décembre 2014
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Les entreprises sont souvent soucieuses à l’aube de leurs premières élections professionnelles. Qui sont ces salariés désireux de devenir des représentants du personnel ? Quels vont être leurs rôles ? Tout un chacun pense trouver toutes les réponses dans le Code du travail, d’autres au travers d’un héritage laissé par leurs prédécesseurs, mais personne ne connaît vraiment la dimension de la mission. Que doit faire un D.P (délégué du personnel) ? Quelles sont les obligations propres aux élus du C.E (comité d’entreprise) ?

Le D.P dans le viseur de l’incompétence pragmatique

Disons-le d’entrée de jeu, considérer des salariés parfaitement ignorants du rôle que doit endosser un délégué du personnel comme de sérieux interlocuteurs, c’est une ineptie. Le Code du travail se rend coupable de n’avoir pas prévu, une obligation de formation à l’endroit de ces représentants qui sont pourtant les premiers à être investis dans les entreprises. Les salariés bien souvent écartés d’une réelle information quant à ce que l’on peut attendre d’un D.P au sein de la collectivité, se présentent sans être animés d’une sincère ou réelle conviction, parfois poussés par un élan syndical dont ils ne mesurent pas l’écueil de cette apparenté.

L’employeur pas toujours convaincu de l’importance de disposer de délégués du personnel informés et formés, s’accommode assez bien de tout cet amateurisme ambiant. Les salariés, eux divaguent, pensant à tort que la cavalerie est arrivée pour les défendre face à l’adversité des conflits naissants dans l’entreprise !

Les D.P pensent souvent à tort qu’ils sont élus pour « défendre les salariés ». Le Code du travail ne fait pourtant pas du tout allusion à cette notion. En effet, l’article L2313-1, précise que les délégués du personnel ont pour mission de présenter à l’employeur toutes les réclamations (individuelles ou collectives) liées l’inapplication réglementaire la plus large (elle vise en cela, la lutte contre toute forme de discriminations et de restrictions aux libertés fondamentales des travailleurs) et de saisir l’inspection du travail de toutes les plaintes et observations relatives à l’application des dispositions légales dont elle est chargée d’assurer le contrôle.

Le délégué du personnel conformément à ce que nous enseigne également l’article L2313-2 doit saisir immédiatement l’employeur dès lors qu’il est témoin d’agissements injustifiés portant atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou à leurs libertés individuelles.

La différence est donc de taille.

Littéralement, « défendre » implique de soutenir oralement quelqu’un contre des accusations dont il fait l’objet, en se positionnant clairement comme un défenseur. L’aidant endosse le rôle d’un protecteur et assiste l’intéressé comme le ferait un avocat, par exemple. Un délégué du personnel est-il en droit de prendre parti du salarié ou doit-il au contraire, rester neutre et impartial ?
Le fossé est grand à y regarder de plus près.

Un D.P chargé de « représenter » un salarié adoptera un comportement plus distancié. En effet, il présentera des faits et il se gardera d’une part de les évaluer ou de les interpréter, et d’autre part, il s’attachera à relater fidèlement un événement, à le décrire en détail de telle sorte qu’il permet à l’employeur de détenir des informations circonstanciées.

Nous sommes bien loin des clichés qui laisseraient penser que le D.P devrait se comporter comme un super-héros à l’image de superman. Les salariés confondent « réclamer » une juste application de leurs droits par l’intermédiaire de leurs représentants et obtenir à travers eux, l’aide d’un justicier des temps modernes. Si la réclamation est légitime, il n’en demeure pas moins vrai qu’il appartient à l’employeur d’en définir la pertinence et de répondre à la méprise en contribuant à la faire cesser. Le salarié obtient ainsi une réparation et une garantie d’être traité sur un même pied d’égalité.

Rappelons concernant ce chapitre, que l’article L2313-10 prévoit que les salariés conservent le droit de présenter eux-mêmes leurs observations à l’employeur. Ce dernier traitera directement l’affaire dont il sera ainsi saisi afin d’assurer au salarié, une reconnaissance du préjudice s’il y a lieu.

Les élus du C.E reçoivent un costume souvent trop grand pour eux

À la différence des D.P, les élus du C.E sont souvent considérés comme des bienfaiteurs par les salariés. L’employeur, considère de son côté, cette forme de mécénat comme une charge dont il se passerait volontiers. Depuis les années 80, disons-le, les comités d’entreprise sont devenus des partenaires intéressants pour toutes les personnes « très intéressées » des particuliers aux fournisseurs en tous genres. Lorsque vous questionnez un salarié sur l’utilité que revêt pour lui son C.E, il vous répondra sans hésiter qu’il bénéficie de cadeaux, de bons d’achat où qu’il accède à des offres comme des sorties au cinéma ou au restaurant, tout cela « grâce à son super comité d’entreprise » !

Est-ce là vraiment le rôle majeur d’un C.E ? Être élu au C.E se résume-t-il à être un pourvoyeur de fonds à l’égard des salariés ? Que nous dit le Code du travail ?

L’article L.2323-1 nous précise en des termes très larges que le C.E a pour objet d’assurer une expression collective des salariés, permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions prises par l’employeur relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.

Si l’employeur le choisit comme interlocuteur, le comité d’entreprise peut être amené à négocier des accords en matière de participation et d’intéressement. En l’absence de délégués syndicaux, il peut aussi négocier des accords d’entreprise dans certaines conditions. À noter que le C.E a aussi la faculté de conclure des accords dits « atypiques » qui n’ont pas valeur d’accords d’entreprise mais qui engagent tout de même l’employeur.

« Nous sommes donc bien loin des clichés du comité d’entreprise relégué à un comité des fêtes ou à une sorte d’association caritative. Faudrait que les salariés, candidats à cette élection en soient convaincus avant de se présenter ! »

Enfonçons un peu plus le clou avec cette aberration législative. Le Code du travail prévoit bien l’accès à une formation qui tendrait à professionnaliser nos élus du C.E [1]. Nous pourrions nous en réjouir si cela n’était pas subordonné d’une part, aux seuls membres titulaires (quid des suppléants) et d’autre part, à une faculté individualisée. En effet, n’accède à la formation que l’élu qui en ferait la demande dans les conditions visées à l’article R3142-3 du Code du travail.
La conséquence de tout cela, ce sont des instances dépourvues en grande majorité de savoirs et de savoir-faire en partie liés à une carence de connaissances encouragée par l’absence d’automaticité de la formation et d’extension à tous les membres élus.

Ainsi, les élus vous le disent ; ils prennent pour argent comptant ce qu’il leur sera conté d’une part via les syndicats dont peuvent être issus les membres (priorité donnée au 1er tour des élections en vertu de l’article L2324-22 du Code du travail) et d’autre part, via l’employeur ou des prédécesseurs du C.E réélus ou anciens élus. Ainsi, tout le monde se façonne une idée de ce que devrait ou pourrait être le rôle d’un comité d’entreprise sans que tout cela ne soit toujours vérifié à l’occasion de formations pourtant indispensables comme dans toute prise de poste de quelque nature qu’il soit dans l’entreprise.

Achevons notre propos lié aux membres du C.E pour mettre en évidence la passivité comme une forme de démission intellectuelle souvent constatée chez les élus y compris parmi les plus aguerris et formés à la tâche. Tandis que la législation du travail à l’image des deux récentes lois, [2] vient renforcer le rôle et le rayonnement professionnel du C.E, la réalité nous renvoie à une difficulté toujours plus croissante des élus, à faire face à l’employeur.

Celles et ceux qui témoignent nous le disent ; ils ressentent souvent la peur d’être jugés ou d’être stigmatisés à tel point que leur carrière leur paraît inévitablement plus important à tout intérêt général ou collectif. Bien des élus avouent sans rougir qu’ils n’accordent que très peu de temps à la gestion des affaires courantes du comité et qu’ils délaissent la faculté de recourir aux heures de délégation (article L2325-6 du Code du travail). D’autres se retranchent derrière un choix supposément assumé d’être élu du C.E pour satisfaire l’appétit vénal des salariés qui utiliseraient l’instance pour augmenter leur « pouvoir d’achat » grâce aux activités sociales et culturelles [3].

Il m’arrive souvent de démontrer que même cette vision de la chose est tronquée. En effet, peu de comités d’entreprise en France peuvent se louer de disposer d’un budget si conséquent qu’il pourrait constituer une manne financière pour les salariés comme le serait par exemple un treizième mois. Prenons le cas d’un C.E de 250 salariés soit d’une taille assez importante compte tenu du nombre d’entreprises dans l’hexagone, et qui disposerait d’un budget équivalent à 1% de la masse salariale (soit un pourcentage parmi les plus élevés du marché des C.E). Le budget pourrait équivaloir à 250 € par an et par personne (tendance souvent constatée). Cette somme correspond en soi à une subvention nette de participation du salarié. Pour ce dernier, percevant 1445.42 € par mois soit 17 345.04 € par an, cela représente un gain financier annuel de 1.44 %. Cette subvention est déguisée en bons d’achat, chèques vacances ou en remboursements sur facture durant l’année, pouvant ainsi donner l’illusion d’une aide non négligeable. C’est la magie du marketing associée souvent à la perception que chacun veut se faire du C.E qui n’a rien à voir avec cette notion tant galvaudée du « pouvoir d’achat ».

Devrions-nous envisager la suppression des représentants du personnel ?

La consécration des délégués du personnel ne date pas d’hier. Dès le 19ème siècle, en l’absence de tout cadre législatif, les salariés ont, de façon spontanée, désigné certains d’entre eux pour aller porter leurs réclamations à l’employeur. C’est en juin 1936 que les accords de Matignon inscrivent dans la loi l’institution des délégués du personnel élus. Plus tard, la loi prévoira une seconde représentation des travailleurs, par les représentants dans les comités d’entreprise, afin de les faire participer à la gestion des entreprises ; nous sommes en 1946.

À ces époques, le marché du travail était en proie à d’innombrables inégalités et à une dureté de l’emploi dénoncée notamment par le Front Populaire. Les entreprises n’étaient pas organisées comme aujourd’hui et dotées pour nombre d’entre elles d’un service du personnel (RH).
L’avènement des considérations dues aux travailleurs se mesurera dans les années 80 avec la loi du 4 août 1982 relative aux libertés des travailleurs dans l’entreprise, prévoyant un cadre d’expression plus encadré et légalisé [4].

À ce jour, les salariés ne se reconnaissent plus toujours dans ces modes de représentation. L’individualisation extrême du travail, le changement régulier d’emploi comme d’entreprise, la suprématie du « chacun pour soi », sont autant d’ingrédients qui conduisent à se détourner d’instances prônant l’intérêt du collectif ou de l’exemplarité face aux discriminations. Par ailleurs, les affaires judiciaires qui émaillent tous les ans, un nombre toujours plus croissant d’élus d’entreprise et les conflits syndicaux vus très souvent comme des luttes stériles et sclérosantes, découragent beaucoup de salariés à soutenir leurs représentants du personnel.
Les salariés sont mal informés du rôle que doivent tenir leurs élus, lesquels par manque de formation et d’ambitions, sont cantonnés à un rôle d’affichage et de spectateurs.
Plutôt que prévoir leur disparition, il conviendrait de se pencher très sérieusement à leur professionnalisation afin que l’entreprise puisse réellement s’appuyer sur des membres animés par des objectifs lisibles et utiles à la collectivité.

« À l’heure où tout le monde recherche de la cohésion sociale au sein des entreprises, il ne faudrait pas omettre que cela passe aussi par des actions qui doivent avoir du sens pour tous les acteurs de l’organisation. »

FABRICE ALLEGOET - JURISTE INGENIUM CONSULTANTS www.ingenium-consultants.com [mail->infos@ingeniumconsultants.fr]

[1article L2325-44

[2LOI n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi & LOI n° 2014-288 du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale

[3article L2323-83 du Code du travail

[4article L2281-1 du Code du travail

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