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Paternité imposée : un contentieux grandissant. Par Alexandra Charnois, Avocat.
Parution : vendredi 26 décembre 2014
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La filiation est un domaine du droit qui n’a cessé d’évoluer et qui est aujourd’hui débattu au sein de la société civile française, mais aussi dans d’autres pays.

Plus particulièrement, le débat porte sur la filiation par procréation charnelle, plus trivialement appelée « filiation biologique » et les paternités imposées.

Le constat majeur est que, quel que soit le mode de procréation, la filiation est très élective.

Ainsi selon certains auteurs, il faudrait que la filiation ne soit reconnue que par l’effet de la volonté, mais un problème subsiste : l’inégalité entre les hommes et les femmes, ces dernières étant les seules à porter les enfants.

Dès lors, deux questions sont posées : cette filiation élective doit-elle être égalitaire ? Mais surtout, peut-elle être effectivement égalitaire ?

Si l’on parle d’égalité, il est nécessaire de préciser qu’il a fallut attendre :

- une loi de 1993 afin que les fins de non recevoir prévues pour l’action en recherche de paternité soient supprimées ;
- une loi de 2005 pour que l’action en recherche de paternité soit ouverte sans conditions.

De nos jours, nombre de procès existent en matière de filiation, tout cela accompagné de l’idée qu’une paternité non voulue ne permettait ni la reconnaissance de l’enfant, ni l’action en recherche de paternité.

Certains pères ont été jusqu’à arguer, via une question prioritaire, de l’inconstitutionnalité de l’article 372 du Code civil pour contrariété avec le principe de l’égalité homme/femme et de la parité.

La première Chambre civile de la Cour de cassation, le 28 mars 2013, a refusé de transmettre cette question au Conseil constitutionnel pour défaut de caractère sérieux au regard de l’égalité homme/femme, dès lors que la paternité et la maternité peuvent être reconnues hors mariage.

Ainsi, il a été décidé que l’article 372 n’était pas contraire au principe d’égalité car si la femme peut en effet accoucher sous X, depuis la loi de 2009, il est possible d’intenter une action en recherche de maternité pour faire établir judiciairement la filiation.

Toutefois, cette argumentation de la Cour de cassation est jugée peu convaincante par certains car en 2009, l’action en recherche de maternité a justement été ouverte au regard du principe d’égalité des sexes.

Mais qu’en est-il de la responsabilité de la mère ? Peut-on agir contre celle-ci ?

De plus en plus de contentieux soulèvent effectivement cette responsabilité.

Si davantage de personnes soulèvent cette responsabilité, la jurisprudence a toujours considéré que la responsabilité de la mère ne pouvait être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil pour avoir eu un enfant.

Ainsi, ne constitue pas une faute le fait d’avoir menti sur la prise de moyens de contraception. A tout le moins, la faute reste partagée entre le père et la mère (Cour de cassation, 12 juillet 2007) et le fait d’avoir un enfant, même non désiré, n’est pas un préjudice légitime et de ce fait indemnisable.

Toutefois, il est à noter une progression de la jurisprudence quant à la notion de faute : des décisions ont considéré que des manœuvres pour avoir un enfant, même au sein d’un mariage, est un manquement au devoir de loyauté et ainsi, une cause de divorce (forme de « séduction dolosive ») (cf. notamment Cour d’appel de Nîmes, 21 mars 2007).

La notion de préjudice a en outre aussi subi une évolution. Le préjudice peut être direct et certain, mais un problème subsiste quant à sa légitimité. La seule réserve jurisprudentielle est l’hypothèse du viol : le préjudice légitime est constitué par les circonstances qui entourent la naissance.

Par ailleurs, un exemple donné par la Cour d’appel de Pau le 16 décembre 2013, mérite d’être mis en exergue. Il s’agissait d’une romance entre une hôtesse de l’air et un pilote de ligne. L’hôtesse a instrumentalisé le pilote en lui faisant croire qu’elle ne pouvait avoir d’enfant et est pourtant tombée enceinte. Par la suite, elle a usé de manœuvres pour qu’il reconnaisse l’enfant pour lui soutirer de l’argent. Le père a ainsi engagé la responsabilité de l’hôtesse.

La faute n’a pas été reconnue pour les manœuvres liées à l’infertilité des relations du couple mais un préjudice moral est reconnu au pilote.

Si cet arrêt représente une avancée dans ce domaine, il est regrettable d’une part que le père n’ait obtenu que 2.000 euros de dommages et intérêts et, d’autre part, que les juges aient confondu les notions de faute et préjudice. Le caractère légitime du préjudice n’est en effet pas démontré.

Pour palier à cette difficulté, il a été proposé de différencier le préjudice, qui serait d’ordre patrimonial, et le dommage, d’ordre moral, mais ce serait remettre trop lourdement en cause le droit de la responsabilité civile tel que nous le connaissons.

La question reste donc entière !

Néanmoins, si des difficultés persistent, certaines décisions de justice ont le mérite d’aller à contre-sens.

La Cour d’appel d’Aix en Provence a en effet tranché en faveur d’un homme qui avait élevé un enfant comme s’il était le sien alors que l’enfant et la mère savaient qu’il n’était pas le père biologique. Lors d’une action en contestation de paternité, la mère et l’enfant ont refusé le test biologique. Les juges ont considéré ce refus comme un aveu de paternité et le « père » a bénéficié de l’allocation d’un euro symbolique au titre de son préjudice mais aussi au remboursement des pensions alimentaires versées pour l’enfant (Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, 7 septembre 2010).

Pour finir, une dernière jurisprudence mérite d’être soulignée : l’affaire concernait une mère qui avait caché l’identité du père de ses enfants mais qui a été contrainte de l’indiquer. Son fils a ainsi agit contre son père et a obtenu 20.000 euros de dommages et intérêts au titre de son préjudice moral et 50.000 euros au titre de son préjudice patrimonial.

Certes la faute de la mère n’a pas été reconnue, mais il s’agit bien ici de la notion de faute qui semble se profiler.

Subsiste toutefois un autre soucis, celui de l’existence ou non d’un droit discrétionnaire de reconnaître un enfant...

Alexandra Charnois, Avocat
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