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Le droit de grève. Par Cathy Neubauer, Avocate.
Parution : mercredi 14 janvier 2015
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Le droit de grève est inscrit dans la Constitution et ce depuis 1946.
Néanmoins, un seul texte du code du travail parle du droit de grève, sans toutefois définir ce qu’est un mouvement de grève licite.
C’est la jurisprudence, qui au fil des années, a défini les contours du droit de grève

Un peu d’histoire

Le 14 juin 1791 a lieu la promulgation de la loi « Le Chapelier » ; ce texte interdit la formation de tout groupement professionnel. Bien qu’il soit principalement dirigé contre les corporations, de par son extension à toutes les formes de rassemblements professionnels, ce texte interdit dans les faits tout syndicats et donc également toute possibilité de faire grève.
Le 12 avril 1803, en fait le 22 Germinal de l’an XI a été rappelé l’interdiction des rassemblements d’ouvriers, donc dans les faits des syndicats et fait de la grève un délit.
Ce texte met aussi en place le livret ouvrier afin de contrôler le plus strictement possible chaque travailleur et de renforcer sa dépendance envers son employeur Aussi est-il obligatoire de noter sur ce livret chaque début et chaque fin de chaque emploi.
Le 25 mai 1864, le vote d’une nouvelle loi supprime le délit de coalition. La grève sera dorénavant autorisée mais les grévistes ne devront ni attenter à la liberté de travail ni engendrer de violences.
Le 4 octobre 1941 verra l’entrée en vigueur de la Charte du Travail, mise en place par le régime de Vichy et qui pose le principe des syndicats uniques et obligatoires mais en interdisant strictement le droit de grève.
Après la libération, l’idée du droit de grève fait son chemin et le 27 octobre 1946, lors de l’avènement de la 4ème république, le droit de grève est inscrit dans le préambule de la Constitution qui dans son article 7 affirme que « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix. »,
Ce texte instaure tant le droit de grève que l’interdiction de la discrimination au travail.
La Constitution de 1958 réaffirme son attachement au droit de grève.
Mais ce ne sera que bien plus tard, à savoir le 7 décembre 2000 que ce droit sera inscrit dans l’article 28 de la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne.

La définition du droit de grève

Le droit de grève est défini par l’article L2511-11 du Code du travail qui dispose que :
« L’exercice du droit de grève ne peut justifier la rupture du contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié.
Son exercice ne peut donner lieu à aucune mesure discriminatoire telle que mentionnée à l’article L. 1132-2, notamment en matière de rémunérations et d’avantages sociaux.
Tout licenciement prononcé en absence de faute lourde est nul de plein droit.
 »

Il est d’ores et déjà précisé que la présente note ne concerne que le droit de grève dans les entreprises privées, dès lors que dans la fonction publique, d’autres textes sont applicables notamment en matière de préavis, de continuité du service publique. De surcroît, pour ce qui concerne certaines catégories très spécifiques de personnels de la fonction publique, l’exercice du droit de grève est interdit.

La condition de la cessation du travail

La lecture de l’article L2511-11 du Code du travail peut laisser perplexe ; en effet, alors que le droit de grève est protégé par la Constitution, ce droit n’est paradoxalement à aucun moment défini par le Code du travail.

Aussi c’est la jurisprudence, qui au fil des diverses contestations qui se sont faites jours, qui a eu la lourde tâche de fixer les contours du droit de grève.

La cessation collective du travail

Bien que le droit de grève soit un droit individuel, il s’exerce collectivement.
En fait, la grève est par définition une cessation collective et concertée du travail. Son but étant de manifester un désaccord ou appuyer des revendications d’ordre professionnel.

Il en résulte qu’un salarié ne peut faire grève tout seul, même s’il a des revendications envers son employeur et une telle action sera à juste titre sanctionnée. Par contre, la jurisprudence a reconnu que lorsqu’un salarié est le seul et unique salarié d’une entreprise, il peut se mettre en grève. [1]

Par contre, lorsque, même seul gréviste dans une entreprise, il s’avère qu’il accompagne un mouvement national, le salarié est considéré comme un gréviste. [2]

Bien entendu il n’est pas exigé que l’ensemble des salariés d’une entreprise se mette en grève, il est tout à fait possible que seule une catégorie de salariés ou un petit nombre de salariés fassent grève. Il suffit qu’ils aient des revendications professionnelles.
A ce titre un mouvement de grève décidé par deux salariés a été jugé parfaitement licite. [3]

La Haute Cour a elle aussi, validé un mouvement de grève n’ayant comporté que trois salariés. [4]

La cessation concertée du travail

Cette cessation doit se faire collectivement mais aussi de façon concertée. Par contre, dès lors que nous sommes dans le cadre de l’entreprise privée, il n’est nul besoin d’un syndicat pour faire grève. Il suffit que les salariés se mettent d’accord entre eux pour faire grève. Ce mouvement peut être tout à fait spontané.
Il en résulte que si, dans le cadre d’un vote organisé pour décider si une grève sera menée ou pas, la majorité l’emporte contre la grève, la minorité a parfaitement le droit de faire grève de son coté, pourvu que cette faction minoritaire respecte la réglementation concernant la grève.
Par contre, il faut qu’il y ait des revendications professionnelles

La cessation totale du travail

C’est la notion de cessation totale du travail qui a souvent posé problème
Pour que la grève envisagée soit licite, il faut que la cessation du travail soit complète. Toute autre forme donnée à ce mouvement risque d’en faire un mouvement illicite.
Quelques exemples de jurisprudence permettent de mieux appréhender cette notion.

La réduction volontaire de leur rendement par des salariés ne peut constituer l’exercice du droit de grève faute d’une cessation totale du travail.
 [5]

Ainsi le salarié qui réduit volontairement son rendement habituel et normal commet une inexécution fautive de son travail, et non une grève.
 [6]

La grève perlée, consistant à ralentir de manière anormale la cadence de production, ne constitue pas l’exercice du droit de grève. Ne fait pas grève le salarié qui, en concertation avec d’autres salariés, diminue volontairement la cadence de sa production et ceci bien que cela soit une action collective et concertée afin d’appuyer des revendications professionnelles. [7]

En pareil cas, l’employeur peut réduire le salaire du salarié payé au rendement, qui a volontairement restreint le rythme normal et habituel de son travail. [8]

La grève ne peut pas non plus être limitée à une obligation particulière du contrat de travail ; par conséquent, les salariés ne peuvent pas faire la grève des astreintes [9]

Le salarié qui exécute son travail de manière défectueuse est en situation d’exécution fautive de son contrat de travail. De même l’exécution défectueuse du travail ne peut constituer un mouvement de grève. Il appartient à l’employeur de sanctionner le salarié exécutant son travail sans respecter les dispositions de son contrat de travail, ou applicables dans la profession. [10]

Les revendications doivent être professionnelles

Une grève doit bien entendu se fonder sur des revendications professionnelles, et porter sur des droits intéressants directement les grévistes. A défaut de revendications professionnelles, le mouvement sera illicite. [11]

C’est le juge qui, à la faveur de ses saisines, va apprécier, au cas par cas le caractère professionnel des revendications à l’appui d’une grève.

La protestation des salariés contre les conditions de chauffage et leur crainte pour la stabilité de leur emploi constitue des revendications professionnelles. [12]

Les contestations des salariés concernant un plan de restructuration de l’entreprise constituent des revendications professionnelles permettant de faire grève. [13]

Les demandes des salariés tendant à obtenir un moyen de transport ou des indemnités de grand déplacement constituent des revendications professionnelles permettant de faire grève. [14]

La revendication tendant au remboursement des heures perdues en raison d’intempéries constitue bien une revendication professionnelle qui justifie l’exercice du droit de grève. [15]

La protestation contre un projet de licenciement économique d’un salarié est une grève, car le maintien de l’emploi est une revendication professionnelle concernant l’ensemble du personnel. [16]

Tout comme est licite une grève exercée pour protester contre des mesures nationales de blocage des salaires et pour soutenir une politique de réduction du temps de travail, ces revendications étant liées aux préoccupations des salariés dans leur entreprise. [17]

Par contre, n’a pas été jugé licite le fait de demander la réintégration d’un salarié régulièrement licencié, lorsque cette demande n’a pour objet ni un intérêt collectif professionnel, ni la modification ou l’amélioration des conditions de travail. [18]

Les actions de blocage de l’accès aux sites, de dégradation de locaux, de détournement de matériel visant à désorganiser l’entreprise et n’ayant pas cessé malgré les ordonnances de référé constituent un mouvement illicite. [19]

Dès lors que l’arrêt de travail ne correspond à aucune revendication professionnelle, ce mouvement, qui ne peut pas être qualifié de grève, est illicite. [20]

L’appel à barrage lancé par des associations professionnelles de transporteurs ne constitue pas une grève au sens de l’article L. 521-1 du Code du travail. [21]

Les revendications doivent être connues par l’employeur

Dans le cadre des entreprises privées, il suffit que l’employeur ait connaissance des revendications professionnelles. Aucun formalisme n’est exigé à ce titre et sauf cas particulier, une grève peut être déclenchée à tout moment et elle n’est pas subordonnée à des négociations préalables avec l’employeur ou au rejet préalable, par l’employeur, des revendications.
 [22]

La Cour de Cassation vient d’ailleurs de réaffirmer très récemment ce point.
L’exercice normal du droit de grève n’étant soumis à aucun préavis, sauf dispositions législatives le prévoyant, il nécessite seulement l’existence de revendications professionnelles collectives dont l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail, peu important les modalités de cette information. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 22 octobre 2014.
 [23]

En l’espèce, trois salariés ont été licenciés, par lettre recommandée du 23 juillet 2009, pour faute lourde, pour avoir cessé le travail le 6 juillet 2009.La cour d’appel [24] ayant condamné l’employeur à payer aux trois salariés diverses sommes au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ce dernier s’est pourvu en cassation.
La Haute juridiction rejette le pourvoi. Elle précise que l’exercice normal du droit de grève n’étant soumis à aucun préavis, sauf dispositions législatives le prévoyant, il nécessite seulement l’existence de revendications professionnelles collectives dont l’employeur doit avoir connaissance au moment de l’arrêt de travail, peu important les modalités de cette information. Ayant constaté que les trois salariés avaient adressé, le 4 juillet 2009, une lettre de revendications professionnelles reçue par l’employeur le 6 juillet, qu’ils avaient, dès le commencement de la cessation du travail ce même jour, informé leur supérieur hiérarchique présent sur le lieu de travail de ce qu’ils se mettaient en grève du fait du refus de l’employeur de satisfaire à leurs revendications professionnelles, et que la société ne contestait pas que des échanges téléphoniques avaient eu lieu entre les salariés et son dirigeant immédiatement après la cessation du travail, la cour d’appel a légalement justifié sa décision .

Bien entendu, il existe des limites au droit de grève et ce malgré le fait qu’il s’agisse d’un droit constitutionnel et dans certains cas le fait de faire grève peut être considéré comme un abus de droit.

Cathy Neubauer Avocate

[1Cour de Cassation Chambre Sociale arrêt du 13 novembre 1996 N°93-42.247.

[2Cour de Cassation, arrêt du 29 mars 1995 N°93-41.863.

[3Cour d’Appel de Nancy, arrêt du 13 mai 2003 N°01-326.

[4Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 9 juin 1982 N°80-40.899.

[5Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 16 mai 1989 N°85-43.359.

[6Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 22 avril 1964 N°61-40.673.

[7Cour de Cassation, Chambre Sociale arrêt du 22 avril 1964 N°61-40.673.

[8Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 8 octobre 1987 N° 83-42.593 et Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 07 janvier 1988 N° 84-42.448.

[9Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 2 février 2006C n° 04-12.336.

[10Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 16 mai 1989 N°85-43.359.

[11Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 17 décembre 1996 N°95-41.858.

[12Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 26 septembre 1990 N°88-43.908.

[13Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 20 mai 1992 N°90-45.271.

[14Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 18 juin 1996 N°92-44.497.

[15Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 12 décembre 2000 N°99-40.265.

[16Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 22 novembre 1995 N°93-44.017.

[17Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 29 mai 1979 N°78-40.553.

[18Cour de Cassation, Chambre Sociale arrêt du 8 janvier 19965 N°64-40.135.

[19Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 26 janvier 2000 N°97-15.291.

[20Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 17 décembre 1996 N°95-41.858.

[21Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 11 janvier 2006 N°04-16.114.

[22Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 11 juillet 1989 N°87-40.727.

[23Cour de Cassation, Chambre Sociale, arrêt du 22 octobre 2014 N°13-19.858.

[24Cour d’Appel de Versailles, deux arrêts, 17 avril 2013, n° 12/01990 et 24 avril 2013, n° 12/01989.