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Ode à Maris, victime de l’attentat de Charlie Hebdo.
Parution : lundi 12 janvier 2015
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Bernard Maris fait partie des victimes de l’attentat de Charlie Hebdo. Quelques mots pour s’en souvenir et présenter ce que le juriste peut retirer de son exemple.

Avant-hier, j’ai pleuré. Hier, j’ai souri en serrant les dents. Aujourd’hui, je veux écrire. Un mot pour Maris. Bernard, que j’avais rencontré une fois et que j’avais vouvoyé respectueusement, je vais te tutoyer. Là où tu es, peut-être (toi qui ne croyais ni à Dieu, ni à Diable) me liras-tu.

Sur France Inter, tu débattais avec Jean-Marc Sylvestre puis depuis quelques années avec Dominique Seux.

Tu aimais la querelle. Normal, tu étais né à Toulouse, la ville où même les mémés aiment la castagne (Claude Nougaro le chantait si bien). Avec Jean-Marc Sylvestre, c’était frontal. Avec Dominique Seux, c’était plus cordial, mais tout autant contradictoire.

Tu m’as fabriqué. Il a fallu que tu meures sous les balles pour que j’apprenne que tu étais parmi les contributeurs d’alternatives économiques. Ce périodique économique est mal-pensant, keynésien, à l’opposé de la doxa libérale. J’en ai fait mon syncrétisme : profondément libéral, croyant à la main invisible du marché, mais convaincu que certains produits et services ne doivent pas être soumis aux seules forces du marché. Et d’abord les fonctions régaliennes de l’état : police, justice armée. C’est la raison pour laquelle même si je soutiens dans ces grandes lignes la réforme Macron, je ne rends pas les armes au marché tout-puissant. L’acteur de droit (en collectivités territoriales, entreprise ou pratique privée : notaires, avocats, huissiers) est indispensable à l’état de droit, car il garantit la sécurité juridique. Le marché seul est impuissant à la faire respecter.

L’économie ? selon toi, un peu de stat, beaucoup de jargon. Alors qu’en fait, ce qui commande les grands mouvements, c’est l’histoire, la religion la psychologie, voire la psychiatrie ou la psychanalyse, comme tu as voulu le démontrer dans Capitalisme et pulsion de mort. T’entendre ce matin défendre la thèse selon laquelle la force motrice d’un entrepreneur est sa libido (qu’il ne sait pas exprimer dans les arts, ou dans d’autres domaines), qui le conduit à opprimer le petit travailleur…

Tu mêlais aussi à l’économie la littérature. tu avais publié un "Houellebecq économiste". Les événements s’entre-choquent frontalement : ton assassinat et son dernier roman de politique fiction. Vous étiez amis, semble-t-il. Il doit être très mal, Houellebecq : il a peut-être joué avec le feu. Et c’est toi qui as été brulé.

Il y avait aussi des vieilles traces très adhérentes de programmation marxiste. Tu détestais les chefs d’entreprise, et je suis bien persuadé que l’image qui te venait à l’esprit quand on évoquait un chef d’entreprise était le patron dessiné par tes amis Cabu ou Wolinski, gros con gavé coiffé d’un haut-de-forme. Une image tellement ancrée dans nos esprits français. Et si loin de la vérité du terrain. Mais tu fréquentais aussi plus de patrons du CAC 40 que de patrons de PME. Probablement le seul que tu côtoyais s’appelait Charb, patron d’une entreprise atypique, Charlie Hebdo, à deux doigts de la faillite.

Esprit libre en fait. Quelle opposition apparente : professeur agrégé d’économie, et en même temps éditorialiste à Charlie Hebdo, romancier, et aussi membre du conseil général de la Banque de France. Et aussi candidat aux élections municipales. Sur une liste des Verts. Dans le XVIème arrondissement. No comment.

Qu’est-ce qu’un juriste peut retenir comme exemple de ta vie ? D’abord, sous une apparente décontraction, ta rigueur scientifique. Ensuite, ta liberté de ton. Enfin, ta capacité à « sortir de la boîte » : expliquer la tendance économique par l’histoire ou la psychologie.

Voilà, je changeais parfois (trop souvent) de radio en t’entendant. Mais que ta voix va me manquer.

Merci Bernard.

Bernard LAMON, avocat spécialiste en droit de l'informatique et des télécommunications www.lamon-associes.com et www.bernardlamon.fr