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Détermination de l’effectif pour les élections professionnelles : gare aux CDD ! Par Franck Guenard, Juriste.
Parution : vendredi 16 janvier 2015
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Analyse et commentaire de l’arrêt rendu le 17 décembre 2014 par la Chambre sociale de la Cour de Cassation (pourvoi n°14-13.712)

Dans le cadre de la mise en oeuvre d’élections professionnelles les entreprises doivent faire face à une première étape délicate : le calcul des effectifs. Celui-ci permet en effet de déterminer plusieurs éléments fondamentaux : dois je mettre en place ou non des instances du personnel ? Combien de sièges de représentants du personnel doivent être attribués ? Quels seront leurs futurs crédits d’heures de délégation ?

Que ce soit pour les élections des délégués du personnel, du comité d’entreprise ou même de la délégation unique du personnel le Code du travail dispose que "les modalités de calcul des effectifs sont celles prévues aux articles L. 1111-2 et L. 1251-54".

A titre liminaire on prendra soin de rappeler que :

- Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein et les travailleurs à domicile sont pris intégralement en compte dans l’effectif de l’entreprise.
- Les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés titulaires d’un contrat de travail intermittent, les salariés mis à la disposition de l’entreprise par une entreprise extérieure qui sont présents dans les locaux de l’entreprise utilisatrice et y travaillent depuis au moins un an, ainsi que les salariés temporaires, sont pris en compte dans l’effectif de l’entreprise à due proportion de leur temps de présence au cours des douze mois précédents (sauf lorsqu’ils remplacent un salarié absent ou dont le contrat de travail est suspendu, notamment du fait d’un congé de maternité, d’un congé d’adoption ou d’un congé parental d’éducation.)

On le comprend donc aisément : la détermination des effectifs de l’entreprise en matière d’élections professionnelles est source d’enjeux et de débats importants, tant pour l’employeur que pour les salariés et syndicats.

En l’espèce un syndicat représentatif dans l’entreprise avait saisi le juge d’instance pour qu’il soit reconnu que l’effectif de l’entreprise était supérieur au chiffre annoncé par la Direction, au motif que les CDD d’un certain nombre de salariés devaient être requalifiés en CDI.

Pour rappel le Tribunal d’instance est en effet le "juge de l’élection", compétent pour apprécier la régularité des candidatures et des opérations électorales, notamment sur l’appréciation des effectifs [1].

Dans l’arrêt rendu le 17 décembre 2014 dernier par la Chambre sociale, l’employeur s’était pourvu en cassation suite à la décision du Tribunal d’instance qui avait considéré que les salariés en CDD dans l’entreprise devait être décompté selon les mêmes modalités que les CDI pour le calcul des effectifs dans le cadre des élections professionnelles.

En effet l’employeur considérait notamment que :

- l’action en requalification d’un CDD en CDI est en principe réservée au salarié, qui doit l’exercer auprès du Conseil de Prud’hommes compétent (en ce sens : Cass. Soc. 30 octobre 2002 n° 00-45572). En effet l’article L.1245-1 du Code du Travail ayant été institué pour protéger le salarié, seul ce dernier est habilité à se prévaloir de son inobservation.
- Le juge lui-même ne peut pas procéder d’office à cette requalification [2]. Il est toutefois possible pour les organisations syndicales représentatives de saisir également le Conseil de prud’hommes afin d’obtenir cette requalification d’un CDD en CDI, et ce en vertu de l’article L1247-1 du Code du travail. Cependant le syndicat doit informer le salarié par LRAR, laquelle doit comporter toutes les mentions prévues par l’article D1247-1.
- Les salariés eux mêmes n’avaient jamais émis de critiques ou de demandes particulières concernant l’exécution de leurs contrats, et n’avaient à ce titre jamais formulé de demande de requalification auprès du CPH.

A ce titre l’employeur soulevait que le juge d’instance n’était pas compétent pour ordonner la requalification des CDD litigieux en CDI et - par voie de conséquence indirecte - modifier le mode de calcul de leur prise en compte pour la détermination des effectifs en matière d’élections professionnelles.

A tort selon la Cour de cassation qui vient préciser - pour la première fois à ma connaissance - que "si les salariés engagés à durée déterminée peuvent seuls agir devant le juge prud’homal en vue d’obtenir la requalification de leurs contrats en contrats à durée indéterminée, les syndicats ont qualité pour demander au juge d’instance, juge de l’élection, que les contrats de travail soient considérés comme tels s’agissant des intérêts que cette qualification peut avoir en matière d’institutions représentatives du personnel et des syndicats, notamment pour la détermination des effectifs de l’entreprise ".

Il faudra au préalable démontrer que les CDD concernés avaient été conclus de manière abusive ou irrégulière.

La nuance terminologique de l’arrêt n’est pas sans importance : le juge d’instance n’a pas opéré de "requalification" du contrat au sens strict du terme (il n’en a pas le pouvoir), mais peut en revanche imposer à l’employeur qu’ils soient "considérés" comme des CDI (on pourrait même dire "valorisés") dans le calcul des effectifs en lien avec les élections professionnelles.

Cet arrêt doit inciter les employeurs à la prudence pour leurs prochaines échéances électorales en ce qu’il pourrait devenir - éventuellement - le nouveau "cheval de bataille" des organisations syndicales de salariés pour remettre en cause la détermination des effectifs opérée.

Franck GUÉNARD Juriste en droit social

[1en ce sens : Cass. Soc. 27 février 1985, n°84-60.677

[2en ce sens : Cass.Soc. 20 février 2013 n°11-12262