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Affaire Marie-France M / Google : sur le déréférencement, le droit à l’oubli et les données personnelles. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : lundi 19 janvier 2015
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Depuis que la société Google est astreinte, à la demande d’une personne, à une obligation de déréférencement de liens préjudiciables à la vie privée de cette personne, on constate un accroissement du contentieux devant les tribunaux.

S’il y a contentieux c’est parce que précisément la société Google ne répond pas toujours favorablement à la demande de suppression des données personnelles. Ce qui peut se comprendre, dans la mesure où ce qui est en cause c’est de l’information et que le moteur de recherche s’alimente et fonctionne grâce à la circulation de l’information.

(TGI DE PARIS, Ordonnance de Référé du 19 DECEMBRE 2014
Marie-France M. / Google France et Google Inc.)

Néanmoins, parmi les récentes décisions, on peut relever que les tribunaux acceptent de condamner la société Google au déréférencement de liens vers une page Web contenant des informations sur le passé pénal d’une personne.

C’était le cas d’une décision du TGI de Paris en date du 16 septembre 2014 qui avait enjoint à la société Google France de faire procéder à la suppression des liens référencés [1].

La société Google vient de nouveau d’être condamnée par le TGI de Paris à déréférencer des liens portant préjudice à la vie privée d’une personne [2].

Cette dernière décision est intéressante en ce qu’elle permet de s’arrêter sur le travail des magistrats à propos de la mise en balance des différents droits en présence, c’est-à-dire entre le droit à la protection des données personnelles et le droit d’expression et d’information.
Par ailleurs, par la présente décision, le TGI de Paris vient remettre en cause un point important de sa décision rendue le 16 septembre dernier. En effet, les magistrats font désormais peser l’obligation de déréférencement sur Google Inc., et non plus sur Google France.

En l’espèce, Madame M. avait assigné Google France pour voir supprimer des liens Internet qui renvoyaient à un article publié sur le site Web du journal le Parisien et relatant une affaire d’escroquerie pour laquelle elle avait été condamnée à une peine de prison ferme.

En effet, après chaque formulation d’une requête sur Google portant sur ses nom et prénom, les premiers résultats de la recherche renvoyaient sur l’article en question, paru il y a huit ans dans les colonnes du journal.

Sur le fondement de l’article 38 de la loi Informatique et liberté de 1978 Madame M. fait donc valoir son droit à opposition concernant le traitement de ses données personnelles, en mettant en avant une atteinte à sa vie privée et en faisant état d’un préjudice que ce référencement lui causerait dans sa recherche d’emploi.

Par ailleurs, elle sollicite sur la base des dispositions de l’article 6 de la directive de 1995 le déréférencement du lien préjudiciable du fait que ses données personnelles, indexées par le moteur de recherche et concernant une affaire définitivement jugée il y a 8 ans, sont désormais inadéquates et excessives.

Google Inc. est intervenue volontairement à l’instance pour requérir la mise hors de cause de Google France et faire valoir son droit à informer les internautes sur des faits afférant à un jugement pénal rendu publiquement.
Le TGI, après avoir pris en considération l’ensemble des droits en conflit, se prononcera en faveur de la suppression du lien Internet. Avant cette mise en balance des droits, le tribunal s’est attaché à déterminer qui de Google Inc. ou de Google France doit supporter l’obligation de déréférencement.

1/ Sur la responsabilité du traitement des données personnelles (Google Inc.)

A la suite de la décision du 16 septembre dernier, on s’attendait légitimement à ce que ce soit sur Google France que repose l’obligation de déréférencer le lien préjudiciable. En effet, le TGI avait retenu que "les activités de l’exploitant du moteur de recherche et celles de son établissement situé dans l’Etat membre concerné sont indissociablement liées ".

Or, dans la présente décision c’est sur Google Inc. que le tribunal fait reposer la charge de désindexer le lien renvoyant vers la page Web du journal le Parisien. Il rejette donc la demande en déréférencement introduite par Madame M. à l’encontre de Google France.

Le juge n’écarte pas l’idée que la Sarl Google France participe à l’activité du groupe Google par le biais de ses activités publicitaires, mais cela reste insuffisant à la faire qualifier de responsable du traitement des données.

Il est certain selon le tribunal que le traitement des données est opéré en France, ce qui donne lieu à l’application de la loi française, mais c’est le propriétaire du moteur de recherche, c’est-à-dire Google Inc., qui est responsable de ce traitement de données personnelles.

Le Tribunal fonde notamment sa décision sur l’article 3 de la loi Informatique et liberté de 1978 aux termes duquel, le responsable du traitement des données personnelles est «  la personne qui détermine les finalités et les moyens » de ce traitement.

Or en l’espèce, cette personne est celle qui exploite le moteur de recherche c’est-à-dire Google Inc. Le critère déterminant est donc celui de l’exploitation du moteur de recherche.

La notion d’exploitation du moteur de recherche est une qualification économique, dont on peut présumer qu’elle tient à des pouvoirs de direction et d’orientation des politiques de la société.
Dans ce cadre, on peut comprendre que Google France n’exploite pas directement ou indirectement le moteur de recherche et ne peut de ce fait être qualifiée de responsable du traitement des données.

Le tribunal rejettera donc la demande de déréférencement formulée par Madame M. à l’encontre de Google France. En prononçant la mise hors de cause de Google France les juges vont nécessairement considérer Google Inc. comme le responsable du traitement et par suite, « la personne » sur qui doit reposer éventuellement l’obligation de déréférencer un lien inapproprié.

2/ Sur le déréférencement du lien et la responsabilité de Google Inc

Pour condamner Google Inc. à désindexer sur son moteur de recherche le lien portant préjudice à Madame M., le tribunal s’est intéressé d’une part au temps écoulé depuis la première publication de l’article et d’autre part à l’absence de mention de la condamnation pénale sur le bulletin n° 3 du casier judiciaire.

S’agissant du temps écoulé, les magistrats vont considérer sur le fondement de l’article 6 de la directive européenne du 24 octobre 1995 que la condamnation pénale prononcée il y a plus de huit ans à l’encontre de Madame M., ne constitue plus aujourd’hui une donnée personnelle adéquate et pertinente au regard des finalités pour lesquelles elle a été collectée.

Par conséquent, poursuit le tribunal, Madame M. qui subit un certain préjudice dans sa recherche d’emploi du fait du traitement par Google Inc. de cette donnée personnelle, devenue inadéquate, justifie d’un motif légitime pour exiger la suppression du lien en cause.

On voit ainsi que le responsable d’un traitement de données doit tenir compte du facteur temps et s’assurer, conformément aux dispositions de la directive de 1995 que les données sont traitées loyalement et mises à jour.

On peut comprendre ici que du fait de la nature sensible des données relatives à la condamnation, ancienne de huit ans, les droits de Madame M. prévalent sur l’intérêt qu’ont les internautes à être informés.

Au demeurant, hormis la satisfaction d’une certaine curiosité de l’internaute, on ne voit pas très bien quel serait l’intérêt pour l’internaute à être informé d’une telle condamnation déjà ancienne de huit ans.

Certes un employeur potentiel pourrait probablement y avoir un intérêt. Mais il conviendrait alors de se poser la question de savoir si huit années ne constituent pas un délai suffisant pour prétendre au droit à l’oubli.

Il faut toutefois mentionner un élément qui aurait très bien pu conduire les magistrats à refuser d’enjoindre un déréférencement du lien. En effet, il est précisé que Madame M. s’était présentée en 2014 à une élection municipale mais a été contrainte de démissionner en raison de la circulation d’un tract qui reprenait le contenu du jugement de sa condamnation pénale.

Or, la CJUE a indiqué dans sa décision Google Spain du 14 mai 2014 que l’intérêt du public à recevoir une information pouvait dépendre du degré de sensibilité de l’information pour la vie privée de la personne concernée mais aussi du rôle joué par cette personne dans la vie publique.

Pourrait-on considérer en l’espèce que les électeurs n’avaient pas un droit légitime à être informés à propos de données personnelles d’une personne intervenant dans la vie publique ?

Les magistrats ont décidé que non et ont fait prévaloir les droits de la personne sur l’intérêt des internautes à être informés.

Le second élément qui a retenu l’attention des magistrats et leur a permis de conclure à la prévalence du droit de la personne concernée sur le droit de l’internaute à être informé, concerne l’absence de mention de la condamnation sur le bulletin n°3 du casier judiciaire de Madame M.

En effet, à la demande du TGI, dans le cadre d’une première ordonnance de référé en date du 24 novembre 2014, Madame M. a produit le bulletin n° 3 de son casier judiciaire afin d’établir que sa condamnation pénale n’y est pas mentionnée.

Le bulletin n°3 mentionne les infractions les plus graves commises par une personne et une juridiction peut décider à la demande de la personne condamnée de ne pas faire mentionner telle ou telle infraction sur ce bulletin.

Il existe par ailleurs une loi prévoyant le contenu de ce bulletin n°3 et les conditions dans lesquelles les tiers peuvent prendre connaissance de l’état pénal d’une personne.
Dès lors, si la condamnation dont a été l’objet Madame M. n’a pas été inscrite par la juridiction de jugement, à la demande très certainement de Madame M et dans son intérêt, Google Inc. ne peut légitimement référencer une telle information sans entrer en contradiction avec la réglementation encadrant l’accès au casier judiciaire d’une personne.

C’est donc en considération du temps écoulé et de l’absence d’inscription de la condamnation sur le bulletin n°3 du casier judiciaire, que le TGI de Paris est parvenu à la conclusion que Madame M. justifiait de raisons prépondérantes et légitimes à la suppression de ses données personnelles sur le moteur de recherche.

Antoine Cheron ACBM Avocats [email->acheron@acbm-avocats.com]

[1TGI de Paris, Ord. de réf., 16 septembre 2014, M. et Mme X et M. Y / Google France.

[2TGI de Paris, Ord. de réf., 19 déc. 2014, Marie-France M. / Google France et Google Inc.