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Comment apprécier les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par conventions ou accords collectifs ? Par Laurent Vovard, Avocat.
Parution : jeudi 29 janvier 2015
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Un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 27 janvier 2015 (n°13-22179) est l’occasion de faire le point sur l’appréciation des différences de traitement entre catégories professionnelles résultant des conventions et accords collectifs.

Le principe d’égalité de traitement est aujourd’hui bien ancré en droit du travail, qu’il se traduise au travers de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes [1], du principe « à travail égal, salaire égal » [2], etc…

La question avait été posée s’agissant des avantages résultant d’un accord collectif. En d’autres termes, un accord collectif peut-il valablement octroyer des avantages différents en fonction de la catégorie professionnelle à laquelle les salariés appartiennent ?

La Chambre sociale de la Cour de Cassation avait estimé, suivant un arrêt du 1er juillet 2009 [3], et au visa du « principe de l’égalité de traitement », que :

« la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ».

Était en cause un accord collectif octroyant un nombre de jours de congés payés aux cadres supérieur à celui accordé aux non cadres.

La Cour de cassation invitait ainsi les juges du fond à déterminer si la différence de traitement reposait sur des raisons objectives dont il devait, selon la formule consacrée, « contrôler la réalité et la pertinence ». S’il ne l’était pas, l’employeur était ainsi exposé à un rappel de salaires au profit du ou des salariés concernés.

Les critères d’appréciation ont ensuite été précisés par la Chambre sociale de la Cour de cassation, notamment par deux arrêts du 8 juin 2011 [4], toujours au visa du principe de « l’égalité de traitement », dans une affaire ou étaient en cause certaines dispositions de la convention collective régionale du bâtiment et des travaux publics :

« la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier, pour l’attribution d’un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge doit contrôler concrètement la réalité et la pertinence ; que repose sur une raison objective et pertinente la stipulation d’un accord collectif qui fonde une différence de traitement sur une différence de catégorie professionnelle, dès lors que cette différence de traitement a pour objet ou pour but de prendre en compte les spécificités de la situation des salariés relevant d’une catégorie déterminée, tenant notamment aux conditions d’exercice des fonctions, à l’évolution de carrière ou aux modalités de rémunération »

Étaient ainsi fixés plusieurs critères pour jauger de la pertinence de différences de traitement entre catégories professionnelles, sans que ceux-ci soient limitatifs : conditions d’exercice des fonctions, évolution de carrière et modalités de rémunération.

L’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 27 janvier 2015 [5] apporte des précisions importantes s’agissant de l’appréciation des différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par les conventions et accords collectifs.

Étaient en cause un certain nombre de dispositions de la convention collective SYNTEC qui marquaient une différence de traitement entre les ingénieurs et cadre et les non cadres, dont la Fédération nationale des personnels des sociétés d’études, du conseil et de prévention CGT demandait l’annulation : préavis en cas de licenciement, modalités de calcul de l’indemnité de licenciement, primes et gratifications…

La Cour d’appel de Paris avait rejeté les demandes de la CGT par un arrêt du 30 mai 2013.

La Chambre sociale de la Cour de cassation va plus loin.

Elle estime, en effet, que :

« (…) les différences de traitement entre catégories professionnelles opérées par voie de conventions ou d’accords collectifs, négociés et signés par des organisations syndicales représentatives, investies de la défense des droits et intérêts des salariés et à l’habilitation desquelles ces derniers participent directement par leur vote, sont présumées justifiées de sorte qu’il appartient à celui qui les conteste de démontrer qu’elles sont étrangères à toute considération de nature professionnelle  ».

Pour en conclure :

« Et attendu que, par motifs propres et adoptés, la cour d’appel ayant retenu que la Fédération nationale des personnels des sociétés d’études du conseil et de prévention CGT n’établissait pas que les différences de traitement opérées par la convention litigieuse au profit des ingénieurs et cadres par rapport aux employés, techniciens et agents de maîtrise étaient étrangères à toute considération de nature professionnelle, a légalement justifié sa décision »

Il s’agit d’une véritable reconsidération des conventions ou accords collectifs par la Cour de cassation, et surtout de la situation des entreprises qui devaient justifier à leur niveau, des dispositions établies au niveau de la branche… Le communiqué publié par la Cour de cassation au sujet de cet arrêt précise ainsi que « dans le domaine du droit négocié, l’expérience a montré que cette exigence de justification se heurtait à des difficultés tenant notamment au fait qu’elle pesait le plus souvent sur un employeur pris individuellement alors qu’était en cause une convention ou un accord conclus au plan national. Indépendamment de ces difficultés, il pouvait être soutenu que les négociateurs sociaux, agissant par délégation de la loi, devaient disposer dans la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement d’une marge d’appréciation comparable à celle que le Conseil constitutionnel reconnaît au législateur…. »

Toute en indiquant que le principe d’égalité de traitement reste applicable aux conventions et accords collectifs, la Cour de cassation opère une inversion de la charge de la preuve et de son objet. Selon le communiqué : « C’est à celui qui conteste le bien-fondé des différences de traitement de démontrer qu’elle sont étrangères à toute considération de nature professionnelle. L’objet de la preuve est lui-aussi redéfini de façon plus synthétique et en lien avec les prérogatives dont les organisations syndicales peuvent légalement faire usage dans la négociation collective. »

Laurent Vovard Avocat au Barreau de Paris https://vovard-avocat.com/

[1art. L2245-5 et suivants du code du travail.

[2Cass. Soc. 29 octobre 1996, n°92-43680.

[3n°07-42675.

[4n°10-11933 et 10-13663.

[5n° 13-22179.