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Le sort du contrat de travail en cas d’incarcération du salarié. Par Juliette Clerbout, Avocat.
Parution : lundi 2 février 2015
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En droit du travail la conséquence de l’incarcération du salarié est l’absence de ce dernier et donc son impossibilité d’exécuter sa prestation de travail. Durant la détention le principe est la suspension du contrat de travail pendant toute la durée de l’incarcération. C’est le même effet qu’en cas d’absence pour cause de maladie.

Afin que le contrat de travail soit valablement suspendu le salarié a l’obligation d’informer son employeur de son absence.

Le salarié doit délivrer à son employeur une double information. Il doit d’une part l’informer de sa durée prévisible d’absence et d’autre part l’informer du motif de son absence. Le salarié est en effet obligé d’expliquer à son employeur que la cause de son absence réside dans son incarcération. Ainsi la Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 20 juillet 1989, a considéré qu’il était possible de licencier valablement un salarié pour faute grave au motif que ce dernier a affirmé être absent en raison d’une convocation à des épreuves de pré-sélection militaire alors même que son absence résultait de sa détention provisoire.
La Cour de cassation explique en effet clairement dans cet arrêt que comme la Cour d’appel a relevé que le salarié « avait essayé de tromper son employeur en ne se présentant pas à son poste deux jours d’affilé au prétexte qu’il était soumis à des épreuves de pré-sélection militaire, alors qu’en réalité il s’était livrait à une agression sexuelle qui entraînait son arrestation et sa mise en détention provisoire  » il avait commis une faute grave justifiant son licenciement. [1]

Cette jurisprudence a depuis été confirmée.

En principe si un employeur procède au licenciement de son salarié en raison de son incarcération son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Ainsi la Cour d’appel de Douai, dans un arrêt rendu le 30 janvier 1998, a jugé que le licenciement d’une salariée placée en détention provisoire était sans cause réelle et sérieuse. La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 21 novembre 2000, a confirmé la position de la Cour d’appel en expliquant que « le placement d’un salarié en détention provisoire, présumé innocent alors que l’obstacle mis à l’exécution du contrat de travail ne lui est pas imputable entraîne la suspension du contrat de travail.  » La Cour de cassation poursuit en affirmant « que la cour d’appel, ayant constaté que cette incarcération n’avait entraîné aucun trouble dans l’organisation et le fonctionnement de l’entreprise a exactement décidé que ce fait de vie personnelle ne constituait pas une cause de licenciement. » [2]

Lorsque le salarié est détenu il n’est pas non plus possible de procéder à la rupture de son contrat de travail pour cause de force majeure. La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 1 juillet 1998, a clairement indiqué que «  la situation résultant de l’incarcération du salarié ne constituait pas un cas de force majeure  » [3]

Au principe de l’interdiction de licencier un salarié détenu il existe deux grandes exceptions :
-  Quand la détention du salarié (et par conséquent son absence au sein de l’entreprise) cause un trouble dans l’organisation et le fonctionnement de la société
-  Lorsque la détention du salarié cause un préjudice à l’entreprise

Tout d’abord l’absence du salarié peut être source de désorganisation et par conséquent constituer un trouble dans l’organisation et le fonctionnement normal de la société. Dans ce cas l’incarcération peut justifier le licenciement du salarié.

Le trouble occasionné par l’absence du salarié est évalué au regard des conséquences de l’incarcération du salarié sur l’organisation de l’entreprise. Pour que le licenciement soit justifié l’employeur devra démontrer que l’absence du salarié entraine une désorganisation dans l’entreprise. L’appréciation se fera in-concreto en fonction de la durée de l’absence, du poste occupé par le salarié et de l’impossibilité pour l’entreprise de pouvoir le remplacer temporairement.

Autrement dit si l’employeur pouvait facilement trouver un salarié pour remplacer le salarié absent le licenciement sera considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

L’autre motif pour licencier un salarié détenu est : le trouble objectif caractérisé.

Quand en raison des faits commis par le salarié l’entreprise subi un trouble le licenciement est possible. Il convient toutefois de signaler qu’il appartient dans ce cas à l’employeur de justifier par des éléments précis du préjudice subi par la société.

La Cour de cassation, dans un arrêt rendu par la chambre sociale le 9 juillet 2002, rappelle qu’en principe « s’il ne peut être procédé à un licenciement pour un fait tiré de la vie privée du salarié, il en va autrement lorsque le comportement de celui-ci a créé un trouble caractérisé à l’entreprise ». Dans cette affaire la Haute-Juridiction explique que « la cour d’appel, qui a constaté que le comportement du salarié à l’égard de sa concubine, également salariée de l’entreprise, avait entraîné son arrestation sur le lieu du travail, et que l’employeur pouvait craindre la survenance de nouveaux incidents, a fait ressortir que ce comportement avait entraîné, pour l’entreprise, un trouble objectif caractérisé.  » [4] Eu égard au trouble subi par la société le licenciement a été considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse.

En droit du travail français pour pouvoir valablement licencier un salarié il faut respecter une procédure très stricte. L’incarcération du salarié ne fait pas obstacle au respect de la procédure prévue par le Code du travail.

Juliette Clerbout Avocat à Arques (62 510) http://julietteclerboutavocat.fr/

[1pourvoi n° 86-45581.

[2Pourvoi n° 98-41.788.

[3N° de pourvoi : 96-41403.

[4N° de pourvoi : 00-45068.