Village de la Justice www.village-justice.com

Précisions en matière de reconstruction à l’identique d’un bâtiment. Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : lundi 2 février 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/Precisions-matiere-reconstruction,18843.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le délai de 10 ans durant lequel le propriétaire d’un bien détruit par un sinistre peut solliciter l’autorisation de reconstruire à l’identique son bien ne commence à courrir qu’à compter du 14 mai 2009. Néanmoins, si ce bien a été détruit avant cette date, une telle demande devra toutefois être formée dans un délai raisonnable, afin d’éviter que la reconstruction du bien intervienne plusieurs décennies après sa destruction.

En l’espèce, une EURL avait déposé une demande de permis de construire tendant à la reconstruction à l’identique d’un bâtiment.

Ce dernier bâtiment avait été partiellement détruit en 1996 à la suite d’une tempête, puis totalement détruit par un incendie en 1998.

Par arrêté en date du 22 juillet 2009, le maire de la commune avait refusé de délivrer le permis sollicité.

L’entreprise avait alors formé un recours contentieux à l’encontre de cet arrêté.

Par jugement en date du 16 janvier 2012, le Tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande.

Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles du 29 avril 2014.

L’EURL a alors formé un pourvoi en cassation.

A l’occasion de ce pourvoi, cette dernière a formé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) à l’encontre de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 13 décembre 2002 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.

L’entreprise soutenait que l’interprétation opérée par les juges du fond de ces dispositions portait atteinte au principe de sécurité juridique garantie par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et le principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de ladite déclaration.

Plusieurs rappels doivent être opérés, avant d’analyser la réponse apportée par le Conseil d’Etat.
Les dispositions de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme autorisaient initialement le propriétaire d’une construction qui avait fait l’objet d’un sinistre (incendie, tempêtes, inondations, attentat, etc.) à solliciter l’autorisation de reconstruire ce dernier à l’identique, nonobstant, les éventuelles modifications qu’avaient pu subir les règles d’urbanisme applicables (passage du POS en PLU, révision du PLU, etc.).

Ce dispositif a été institué à la suite de la violente tempête qu’a connue la France en 1999 afin de faciliter la reconstruction des constructions sinistrées.

Dans sa rédaction initiale, les dispositions de l’article L. 111-3 du code de l’urbanisme ne prévoyaient aucun délai pour former une telle demande de reconstruction.

Ainsi, en théorie, le propriétaire d’un bien sinistré pouvait solliciter un permis de construire « à l’identique » plusieurs années après la date du sinistre [1].

De même, ne constituait pas un moyen de nature à créer un doute sur la légalité de l’autorisation de reconstruire à l’identique délivrée, au sens de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la circonstance selon laquelle le sinistre à l’origine de la destruction du bâtiment serait antérieur à l’entrée en vigueur de la loi SRU [2].

Le Conseil d’Etat a toutefois, dès 2012, apporté des restrictions à l’application de ce texte [3].

Les juges du Palais Royal avaient notamment estimé que le législateur n’a pas entendu instituer un droit illimité dans le temps pour tout type de construction et qu’ainsi le droit de reconstruire à l’identique « (…) n’a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de permettre aux propriétaires d’un bâtiment détruit de le reconstruire au-delà d’un délai raisonnable afin d’échapper à l’application de règles d’urbanisme devenues contraignantes (…) ».

Ainsi, la jurisprudence, de manière assez classique et logique, faisait déjà référence à la notion de délai raisonnable dont elle fait application en de très nombreux domaines.

Pour combler cette lacune, la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures est venue apporter deux innovations majeures en matière de reconstruction à l’identique.

D’une part, il est désormais possible de solliciter une autorisation de reconstruire à l’identique une construction alors même que cette dernière n’a pas été détruite suite à un sinistre, mais par des travaux de démolition.

D’autre part, une telle demande de reconstruction à l’identique ne peut désormais intervenir que dans un délai de 10 ans.

Malgré ses évolutions jurisprudentielles et législatives une question est restée en suspens.

Comment calculer le délai de 10 ans instauré par la loi de mai 2009 à l’égard des bâtiments détruits antérieurement à son entrée en vigueur ?

C’est la réponse que vient apporter la décision commentée.

Le Conseil d’Etat a, assez logiquement estimé, en application du principe de sécurité juridique, que ce délai n’était opposable qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi du 12 mai 2009.

Ainsi, le délai de 10 ans instauré par les dispositions de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme ne commence à courir qu’à compter du 14 mai 2009.

Une application stricte de ce principe aurait toutefois conduit, comme par le passé, à autoriser la reconstruction de biens détruits depuis plusieurs décennies jusqu’en mai 2019.

Le Conseil a donc fait usage du principe dégagé dans sa jurisprudence SCI l’Orée du Bois de 1979 [4] et a complété sa jurisprudence de 2012.
En application de ce principe, lorsqu’une loi nouvelle vient modifier un délai de prescription d’un droit précédemment ouvert, le nouveau délai est immédiatement applicable à compter de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Ce nouveau délai ne saurait toutefois avoir d’application rétroactive.

En outre, si le nouveau délai venait à expirer avant le terme initialement prévue par l’ancien droit, ce dernier ne trouve pas à s’appliquer.

En pareille hypothèse, il convient alors de faire usage de la notion de délai raisonnable.

Ainsi, une marge d’appréciation est laissée aux services instructeurs et au juge. Il appartient à ces derniers d’estimer si la destruction du bien est intervenue dans un délai raisonnable avant le 14 mai 2009 et en prenant en compte le nouveau délai de 10 ans applicable depuis lors.

Il conviendra donc d’être vigilant aux futures décisions rendues en ce domaine afin de savoir à partir de quelle durée les juges vont estimer que le propriétaire d’un bien n’a pas été diligent et a laissé s’écouler un délai anormalement long pour solliciter l’autorisation de reconstruire à l’identique son bien.

A notre sens, nous pouvons d’ores et déjà considérer que le sinistre à l’origine de la destruction du bâtiment devra être postérieur à mai 1999, pour que la demande de reconstruction à l’identique soit acceptée.

En effet, à défaut de retenir une telle analyse, cela reviendrait à autoriser la reconstruction de biens plus de 20 ans après leur destruction, soit deux fois le délai désormais applicable.

Tirant les conséquences de ces éléments, le Conseil d‘Etat a estimé que l’EURL requérante n’était pas fondée à soutenir que les dispositions de l’article L. 111-3 du Code de l’urbanisme méconnaissaient le principe de sécurité juridique, ces dernières n’ayant pas d’effet rétroactif.

La QPC n’a donc pas été transmise au Conseil constitutionnel.

Néanmoins, la Haute Assemblée a censuré pour erreur de droit l’arrêt attaqué.

L’affaire a été renvoyée devant cette même Cour autrement composée.

Références : CE, 21 janvier 2015, EURL 2B, n°382902 ; CAA Marseille, 7 février 2008, n°05MA00811 ; CE, 5 mars 2003, Monsieur Lepoutre, n°252422 ; CE, 9 mai 2012, Commune de Tomino, Commune de Meria, n°341259 ; CE, 7 novembre 1979, SCI l’Orée du Bois, n°12844

Antoine Louche, Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1voir notamment en ce sens CAA Marseille, 7 février 2008, n°05MA00811 pour un sinistre survenu en 1982.

[2CE, 5 mars 2003, Monsieur Lepoutre, n°252422.

[3CE, 9 mai 2012, [[Commune de Tomino, Commune de Meria, n°341259.

[4CE, 7 novembre 1979, SCI l’Orée du Bois, n°12844.