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Du droit commun des contrats à l’animal : le projet de loi sur la “modernisation et simplification du droit et des procédures” adopté. Par Sandrine Rouja, Juriste.
Parution : mardi 3 février 2015
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« Dans un monde idéal, dans un monde parfait, je serais d’accord avec les sénateurs (...). Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, ni parfait... »

Ces quelques mots explicitent la raison de l’échec de la Commission mixte paritaire (CMP) du projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, adopté, ce 28 janvier 2015, en lecture définitive par l ’Assemblée nationale (et ce, après engagement de la procédure accélérée le 27 novembre 2013).

Le Sénat était contre, l’Assemblée nationale a fini par l’emporter [1] : le Gouvernement devrait pouvoir réformer le droit des contrats et des obligations, sans présentation d’amendements ni de navette parlementaire. Il s’agit ici d’un exemple rare de désaccord persistant en CMP qui permet au Gouvernement d’user de la faculté de laisser le dernier mot à l’Assemblée nationale.

La raison avancée par la rapporteure de la commission des lois de l’Assemblée sur la position des députés est la suivante :

« En réalité, la divergence entre nos deux assemblées porte sur la méthode, à savoir le recours à une ordonnance. Dans un monde idéal, dans un monde parfait, je serais d’accord avec les sénateurs : il aurait été plus agréable que cette réforme emprunte la voie d’un projet de loi ordinaire. Mais nous ne vivons pas dans un monde idéal, ni parfait : plutôt que de nous enfermer dans « un » rejet de principe, nous préconisons de tenir compte du principe de réalité. Cette réalité est très simple : soit nous acceptons que cette réforme soit opérée par ordonnance, et elle se fera, soit nous suivons les sénateurs, et cette réforme sera reportée sine die, comme cela a été le cas au cours des cinq années précédentes. Autant dire que, dans le second cas, elle ne se fera jamais. Les positions des sénateurs étant inconciliables avec les nôtres, la CMP a malheureusement échoué. »

Le projet adopté comporte diverses dispositions autorisant le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures relevant du domaine de la loi, conformément à l’article 38 de la Constitution. Nous relèverons ici, à l’article 8 du projet, l’habilitation de modifier la structure et le contenu du livre III du code civil [2], afin de « moderniser, de simplifier, d’améliorer la lisibilité, de renforcer l’accessibilité du droit commun des contrats, du régime des obligations et du droit de la preuve, de garantir la sécurité juridique et l’efficacité de la norme » (1).
Il consacre, d’autre part, une définition juridique de l’animal, un être vivant et doué de sensibilité, sans changer son régime juridique (2).

1. Habilitation au Gouvernement : le droit commun des contrats, le régime des obligations et le droit de la preuve, la sécurité juridique et l’efficacité de la norme

Parmi les différentes habilitations pour légiférer, le Gouvernement pourra, dans une période de douze mois à compter de la publication de la loi :

« 1° Affirmer les principes généraux du droit des contrats tels que la bonne foi et la liberté contractuelle ; énumérer et définir les principales catégories de contrats ; préciser les règles relatives au processus de conclusion du contrat, y compris conclu par voie électronique, afin de clarifier les dispositions applicables en matière de négociation, d’offre et d’acceptation de contrat, notamment s’agissant de sa date et du lieu de sa formation, de promesse de contrat et de pacte de préférence ;
2° Simplifier les règles applicables aux conditions de validité du contrat, qui comprennent celles relatives au consentement, à la capacité, à la représentation et au contenu du contrat, en consacrant en particulier le devoir d’information et la notion de clause abusive et en introduisant des dispositions permettant de sanctionner le comportement d’une partie qui abuse de la situation de faiblesse de l’autre ;
3° Affirmer le principe du consensualisme et présenter ses exceptions, en indiquant les principales règles applicables à la forme du contrat ;
4° Clarifier les règles relatives à la nullité et à la caducité, qui sanctionnent les conditions de validité et de forme du contrat ;
5° Clarifier les dispositions relatives à l’interprétation du contrat et spécifier celles qui sont propres aux contrats d’adhésion ;
6° Préciser les règles relatives aux effets du contrat entre les parties et à l’égard des tiers, en consacrant la possibilité pour celles-ci d’adapter leur contrat en cas de changement imprévisible de circonstances ;
7° Clarifier les règles relatives à la durée du contrat ;
8° Regrouper les règles applicables à l’inexécution du contrat et introduire la possibilité d’une résolution unilatérale par notification [3] ;
9° Moderniser les règles applicables à la gestion d’affaires et au paiement de l’indu et consacrer la notion d’enrichissement sans cause ;
10° Introduire un régime général des obligations et clarifier et moderniser ses règles ; préciser en particulier celles relatives aux différentes modalités de l’obligation, en distinguant les obligations conditionnelles, à terme, cumulatives, alternatives, facultatives, solidaires et à prestation indivisible ; adapter les règles du paiement et expliciter les règles applicables aux autres formes d’extinction de l’obligation résultant de la remise de dette, de la compensation et de la confusion ;
11° Regrouper l’ensemble des opérations destinées à modifier le rapport d’obligation ; consacrer, dans les principales actions ouvertes au créancier, les actions directes en paiement prévues par la loi ; moderniser les règles relatives à la cession de créance, à la novation et à la délégation ; consacrer la cession de dette et la cession de contrat ; préciser les règles applicables aux restitutions, notamment en cas d’anéantissement du contrat ;
12° Clarifier et simplifier l’ensemble des règles applicables à la preuve des obligations ; en conséquence, énoncer d’abord celles relatives à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux conventions sur la preuve et à l’admission de la preuve ; préciser, ensuite, les conditions d’admissibilité des modes de preuve des faits et des actes juridiques ; détailler, enfin, les régimes applicables aux différents modes de preuve. »

Il s’agit, selon les débats parlementaires, d’« entrer dans une nouvelle pratique juridique et contractuelle », le droit des contrats ayant évolué depuis vingt ans, non du fait de la loi, mais de la jurisprudence. Ceci qui peut critiquer dans la mesure où par nature, cette dernière fluctue, limitant la possibilité de prévoir les décisions. Or, « les règles de droit auxquelles tout intéressé doit se référer à défaut de dispositions spéciales datent de plus de deux siècles », souligne l’étude d’impact.

Le projet de loi inscrit par ailleurs dans le code civil la définition juridique de l’animal.

2. Les statut et régime juridiques de l’animal, un être vivant et doué de sensibilité

« En fait, l’immense majorité des animaux ne sont pas des biens et ne sont donc pas pris en compte par le code civil » observait, il y a peu, le Pr Philippe Malinvaud [4]. Voilà qui est chose faite avec cette définition insérée dans un nouvel article 515-14, « avant le titre Ier du livre II » [5], par un amendement de l’Assemblée nationale du 15 avril 2014 ainsi rédigé :

« Art. 515-14. – Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. »

La justification de cet amendement est la suivante :

« Alors que le code rural et le code pénal reconnaissent, explicitement ou implicitement, les animaux comme des « êtres vivants et sensibles », ces derniers sont encore considérés par le code civil comme des « biens meubles » (art. 528) ou des « immeubles par destination » quand ils ont été placés par le propriétaire d’un fonds pour le service et l’exploitation de celui ci (art. 524).

Cet amendement a pour objet de consacrer l’animal, en tant que tel, dans le code civil afin de mieux concilier sa qualification juridique et sa valeur affective. Pour parvenir à un régime juridique de l’animal cohérent, dans un souci d’harmonisation de nos différents codes et de modernisation du droit, l’amendement donne une définition juridique de l’animal, être vivant et doué de sensibilité, et soumet expressément les animaux au régime juridique des biens corporels en mettant l’accent sur les lois spéciales qui les protègent. »

Autre exemple résultant de cet amendement, à l’article 564, issu de la Section 1 : Du droit d’accession relativement aux choses immobilières, les mots : « ces objets » sont remplacés par les mots : « ces derniers » :

« Les pigeons, lapins, poissons, qui passent dans un autre colombier, garenne ou plan d’eau visé aux articles L. 431-6 et L. 431-7 du code de l’environnement appartiennent au propriétaire de ces derniers, pourvu qu’ils n’y aient point été attirés par fraude et artifice. »

Ou encore à l’article 524, premier alinéa, les mots « Les animaux et les objets » sont remplacés par les mots : « Les biens » et le premier alinéa se multiplie en deux alinéas :

“ Les biens que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds sont immeubles par destination.”

Les animaux que le propriétaire d’un fonds y a placés aux mêmes fins sont soumis au régime des immeubles par destination. »

Dernière illustration, à l’article 528 le terme « animaux » disparaît. L’article avant réforme :

Sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre, soit qu’ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par l’effet d’une force étrangère

devient avec le projet de loi :

Sont meubles par leur nature les biens qui peuvent se transporter d’un lieu à un autre

Exit donc pour l’animal le fait qu’il soit meuble par nature ou immeuble par destination. Si les nouvelles dispositions n’évoquent pas les animaux en tant que biens, elles indiquent qu’ils sont des « êtres vivants », « soumis au régime des biens ». L’avancée, si modeste soit-elle, réside en cela. Cette réforme vise à reconnaître la qualité d’être sensible aux animaux dans le code civil : modifier leur statut juridique, sans modifier leur régime juridique, celui des biens ; Est-ce là une ouverture pour qu’ils deviennent par la suite de véritables sujets de droit ? [6]

Le projet de loi, qui n’est pas encore tout à fait définitif, doit encore passer le filtre du Conseil constitutionnel, saisi le 29 janvier par au moins 60 sénateurs (Affaire n° 2015-710 DC).

Sandrine Rouja Juriste, responsable veille, formatrice Juriscom.net Twitter : Twitter.com/SandRouja Blog : LexGo, la revue juridique

[1- « A condition que vous n’abusiez pas des ordonnances, madame la garde des sceaux », lança lors des débats Jean-Yves Le Bouillonnec. « Je vous le promets. » répondit Christiane Taubira qui avait auparavant fourni la matrice des ordonnances aux parlementaires.Dont acte.

[2des différentes manières dont on acquiert la propriété.

[3Le code civil actuel n’envisage de résolution que judiciaire (article 1184).

[4Recueil Dalloz 2015 p. 87, L’animal va-t-il s’égarer dans le code civil ?, http://www.dalloz-actualite.fr/revu....

[5Lequel est relatif aux biens et aux différentes modifications de la propriété, le Livre I étant consacré aux personnes.

[6Robots et animaux : des droits extra-humains ? Lesechos.fr, 07/12/2014, http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-119662-robots-animaux-des-droits-extra-humains-1072232.php. A noter par ailleurs que la définition nouvelle des animaux à l’article 515 se trouve juste après le Livre 1er traitant des personnes, puisque les différentes déclinaisons de l’article 515 se situent juste avant le Livre 2 relatif aux biens.