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Affaire Orqual / Tridim : sur la qualité d’auteur d’une personne morale, le principe de personnalisme et l’oeuvre collective. Par Antoine Cheron, Avocat.
Parution : lundi 16 février 2015
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Face aux nouvelles technologies et réalités économiques le droit d’auteur est appelé à s’adapter. Doit-il notamment accorder la qualité d’auteur aux personnes morales en dehors de l’exception légale qu’est l’œuvre collective ? C’est en substance la question que l’on est amené à se poser à la lecture d’un récent arrêt de la Cour de cassation à propos de droits d’auteur portant sur un logiciel (1ère Chambre civile, 15 janvier 2015, Orqual / Tridim et autres).

L’arrêt de la 1re Chambre civile destiné à paraître au bulletin est sans espoir à ce sujet puisque la Cour de cassation censure la Cour d’appel en décidant sous le visa de l’article L.113-1 du CPI qu’« une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur ».

Le laconisme de la formule ne permet pas de dire avec certitude ce qui a motivé au fond les magistrats de la Cour à retenir cette interprétation de l’article L.113-1 du CPI. Toutefois, la lecture des dispositions relatives au droit d’auteur et l’analyse de la jurisprudence sur la question peuvent nous aider à décrypter cette solution.

Les faits : une question de revendication des droits d’auteur sur des logiciels

Dans cette affaire, un professeur en médecine et un informaticien ont créé la société Tridim avec pour objet social la mise au point puis la distribution de deux logiciels d’analyse médicale dont celui dénommé Tridim-Delaire.

L’informaticien s’est ensuite séparé de son associé afin de créer ses propres structures dénommées Oraqual et Orthalis. Des dissensions sont apparues en ce qui concerne l’attribution des droits nés de la création des logiciels. La société Orthalis a ainsi fait interdiction à la société Tridim de concéder le droit de distribution des logiciels et a par ailleurs bloqué les codes d’accès aux logiciels rendant impossible à la société Tridim toute exploitation de ceux-ci.

La société Tridim qui avait alors assigné les deux sociétés devant le TGI de Rennes pour faire consacrer son entière propriété sur le logiciel Tridim-Delaire voit sa demande rejetée.

Devant la Cour d’appel en revanche, sa demande portant sur la qualification d’œuvre collective des logiciels dont elle serait l’initiatrice, est favorablement accueillie. Les juges d’appel considèrent en effet sur le fondement de l’article L.113-1 du CPI que le logiciel Tridim-Delaire a été divulgué sous le nom de la société Tridim qui est donc présumée en être l’auteur.

Le pourvoi formé par la société Orqual comprend 4 moyens mais seul le 1er d’entre eux sera décisif et repris textuellement par la 1ère Chambre civile. Selon l’avocat aux Conseils, une « personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur  » et la Cour d’appel qui a jugé que Tridim était l’auteure des logiciels a violé les articles L.113-1 et L.113-5 du CPI.

La Cour de cassation censure donc la décision de la cour d’appel au visa de l’article L.113.1 du CPI, au motif qu’« une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur ». En l’espèce, ce sont probablement les difficultés à établir l’existence d’une œuvre collective qui ont conduit la 1re Chambre civile à défendre une conception plus classique du droit d’auteur.

1. La Cour affirme son attachement au principe du personnalisme

En affirmant qu’« une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur  » la solution de la Cour signifie a contrario que seule une personne physique peut disposer de cette qualité. La Cour se réfère implicitement au principe du personnalisme, principe essentiel du droit d’auteur.

Préalablement il faut préciser qu’avoir la qualité d’auteur signifie disposer de l’ensemble des droits portant sur l’œuvre, c’est-à-dire aussi bien les droits patrimoniaux que moraux. Une personne morale n’est pas apte à disposer de l’ensemble de ces droits sur une œuvre, hormis le cas de l’œuvre collective, exception légale, où semblerait-il la personne morale disposerait également des prérogatives intellectuelles.

En revanche, il ne fait pas de doute qu’une personne morale peut être titulaire des droits patrimoniaux sur une œuvre grâce à une cession dans le cadre d’un contrat. Elle peut l’être aussi grâce à la présomption de titularité d’origine prétorienne au profit des personnes morales agissant en contrefaçon.

La question de savoir si une personne morale peut avoir la qualité d’auteur est portée devant la Cour de cassation car il existe des incertitudes quant à l’interprétation des dispositions sur le droit d’auteur. En effet, les dispositions sur le droit d’auteur n’affirment pas clairement s’il convient d’exclure ou pas les personnes morales de la possibilité d’avoir la qualité d’auteur, bien que ce soit la personne physique qui le plus souvent revient explicitement dans les articles consacrés à la titularité des droits d’auteur.

Ainsi, l’article L.113-1 en vertu duquel «  la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée  » suscite quelques difficultés d’interprétations. Tandis que la lettre du texte permettrait d’y inclure la personne morale, son esprit s’y refuserait. En effet quel est l’esprit du droit d’auteur sinon celui du personnalisme.

Le personnalisme est un principe selon lequel seule une personne physique peut créer une œuvre de l’esprit et donc avoir la qualité d’auteur. D’ailleurs, la condition essentielle de la protection par le droit d’auteur est l’originalité de l’œuvre, or selon la jurisprudence c’est dans l’empreinte de la personnalité de l’auteur que celle-ci réside.

Par conséquent, dès lors que l’œuvre reflète la personnalité de l’auteur, il y a originalité et donc qualité d’auteur. C’est à ces conditions que l’auteur disposera du droit moral attaché à son œuvre. Or dans la présente affaire, la cour d’appel a jugé que la société Tridim avait la qualité d’auteur et donc un droit moral sur les logiciels en cause alors qu’une personne morale, simple fiction juridique, n’est pas apte à imprimer à l’œuvre une quelconque empreinte de personnalité.

Bien que toutefois, on peut relever un récent arrêt dans lequel la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait accordé la qualité d’auteur à une société sans avoir recherché en quoi « les choix opérés témoignaient d’un apport intellectuel propre et d’un effort personnalisé de celui (une société) qui avait élaboré le logiciel litigieux, seuls de nature à lui conférer le caractère d’une œuvre originale protégée, comme telle, par le droit d’auteur  » [1].

Reste qu’en l’espèce la divulgation du logiciel sous le nom Tridim ne permet pas de conférer à cette société la qualité d’auteur. Il faut donc en conclure que l’article L.113-1 du CPI n’entend attribuer la qualité d’auteur sur une œuvre qu’à la personne ou aux personnes physiques sous le nom de qui l’œuvre est divulguée, à l’exclusion des personnes morales.

2. L’exception de l’œuvre collective

Ce principe du personnalisme connait par ailleurs une exception avec l’œuvre collective prévue à l’article L.113-5 du CPI. Ce texte précise que l’œuvre collective permet d’investir la personne morale des droits d’auteur et il suffit pour cela que cette dernière soit l’initiatrice de l’œuvre et qu’elle soit divulguée sous son nom.

Il s’agit d’une exception légale mais qui ne va pas semble-t-il jusqu’à conférer à la personne morale la qualité d’auteur mais simplement à lui accorder la titularité des droits sur l’ensemble de l’œuvre. Il existe toutefois plusieurs décisions reconnaissant à la personne morale des droits moraux sur l’œuvre collective [2].

C’est sur le fondement de cette jurisprudence que la société Tridim a cherché en l’espèce à voir qualifier les logiciels d’œuvre collective, afin précisément d’être pleinement propriétaire de l’œuvre.

Ce débat sur l’œuvre collective susceptible de conférer ou pas un droit moral au profil de la personne morale n’a pas retenu en l’espèce l’attention de la Cour de cassation. Pourtant, il existe une jurisprudence établie qui accorde le droit moral à une personne morale en cas d’œuvre collective.

Pas d’œuvre collective, pas de qualité d’auteur accordée à la personne morale

Une partie de la doctrine milite pour une modification des règles sur le droit d’auteur en vue d’une reconnaissance de la qualité d’auteur en faveur des entreprises, même en l’absence d’œuvre collective, afin d’être en cohérence avec le monde des affaires et des réalités économiques.

En effet, en contrepartie des investissements financiers qu’elles réalisent dans la création de logiciels, il serait justifié d’accorder aux personnes morales, à l’image des personnes physiques, l’ensemble des droits portant sur l’œuvre, y compris donc les droits moraux (droit de divulgation, droit au respect etc..).

La jurisprudence accorde déjà un droit moral à la personne morale en cas d’œuvre collective : « la personne physique ou morale à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral » [3].

Un autre courant jurisprudentiel plus audacieux fait son chemin et permet par exemple d’accorder la qualité d’auteur à une société qui a imprimé sa marque sur des jardinières qualifiées d’œuvre de l’esprit, non pas la marque de fabrique comme signe distinctif, mais son empreinte et son style. [4].

Il s’agit pour le moment d’une jurisprudence marginale et émanant de la Chambre commerciale. La 1re Chambre civile qui avait semblé faire un pas vers cette jurisprudence, notamment avec l’arrêt précité [5] semble revenir aujourd’hui sur une conception plus classique du droit d’auteur en refusant d’accorder la qualité d’auteur à une personne morale en dehors de l’existence d’une œuvre collective.

{{Antoine Cheron ACBM Avocats }} [email->acheron@acbm-avocats.com]

[11re Chambre civile, 17 octobre 2012 n°11-21641.

[21re Chambre civile, 8 déc. 1993 ; 1re Chambre civile, 3 avr. 2002, n° 00-13.139.

[31re Chambre civile 22 mars 2012, n°11-10 .132.

[4Chambre commerciale, 15 juin 2010 n°08-20.999.

[51re Chambre civile, 17 octobre 2012 n°11-21641.