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Présentation générale du droit allemand de la vente. Par Françoise Berton, Avocat.
Parution : mardi 17 février 2015
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Le contrat de vente est un contrat très important en droit allemand : c’est l’un des contrats les plus conclus au quotidien dans les entreprises et entre particuliers. Dans son principe, le contrat de vente porte sur les mêmes obligations essentielles en droit allemand et en droit français : l’échange d’une chose contre paiement.

Nous présentons ci-après les caractéristiques principales du contrat de vente allemand et ses différences avec le contrat de vente en droit français.

Formation du contrat de vente en droit allemand.

Le contrat de vente étant un acte juridique synallagmatique, il est formé par deux manifestations de volonté (Willenserklärungen) identiques : l’offre et l’acceptation. L’acheteur et le vendeur doivent consentir sur les éléments essentiels du contrat de vente (essentialia negotii) que sont la chose et le prix sur lesquels porte la vente.

Sauf exceptions prévues par la loi, le contrat de vente allemand peut être conclu oralement. Une exception légale importante est, par exemple, le contrat de vente portant sur un immeuble. Le contrat doit être conclu, comme en France, sous forme d’acte notarié (§ 311b du Code civil allemand – Bürgerliches Gesetzbuch, en abrégé « BGB »). A défaut d’écrit, le contrat est nul (§ 125 et § 126 BGB).

La validité du contrat de vente.

Comme dans tout contrat synallagmatique de droit allemand, l’offre et l’acceptation doivent remplir certaines conditions : la personne qui manifeste sa volonté doit avoir la capacité juridique (Geschäftsfähigkeit), avoir un consentement éclairé (Handlungs- und Erklärungsbewusstsein) en vue de produire un effet de droit (Rechtsbindungswille).

Dans un souci d’équilibre entre la protection des parties et celle des transactions, l’interprétation de la manifestation de volonté est faite par une recherche de la volonté des parties selon le critère de la bonne foi (Treu und Glauben) et des mœurs (Verkehrssitte) aux termes des § 133 et § 157 du Code Civil allemand. De plus, la partie qui invoque la nullité de sa déclaration de volonté (Nichtigkeit) ou conteste la validité (Anfechtung) peut être obligée à dédommager ceux qui lui ont fait de bonne foi confiance (§ 122 BGB).

Si l’une des parties se trompe par exemple sur le prix ou l’une des qualités substantielles de la chose vendue (verkehrswesentliche Eigenschaften), elle peut faire valoir la nullité du contrat en raison de son erreur (Irrtum) auprès du cocontractant. A la différence du droit français qui exige dans cette situation une action judiciaire pour prononcer la nullité du contrat de vente, le contrat allemand est annulé valablement par une simple déclaration de la partie qui s’est trompée envers le cocontractant (Anfechtungserklärung). Comme en droit français, le contrat de vente est alors considéré comme n’ayant jamais existé : il est annulé « ex tunc ».

Le § 123 du Code civil allemand prévoit aussi la possibilité pour une partie au contrat de vente de remettre en cause sa manifestation de volonté si elle a été émise avec dol (arglistige Täuschung) ou viciée par la violence (Drohung).

Un contrat de vente n’est pas non plus valable si la vente viole une interdiction légale (gesetzliches Verbot, § 134 BGB), comme par exemple le recel ou si le contrat est contraire aux bonnes mœurs, ce qui est notamment le cas s’il y a une lésion (Wucher), c’est-à-dire une disproportion frappante entre la valeur de la chose et le prix.

Les obligations dans le contrat de vente et le principe de séparation (Trennungs- und Abstraktionsprinzip) du droit allemand.

Le principe de séparation et d’abstraction du droit allemand est l’une de ses grandes caractéristiques.

Selon le § 433 du Code civil allemand, le vendeur s’oblige à remettre la chose à l’acheteur et lui transférer la propriété. L’acheteur s’oblige à payer le prix et à recevoir la chose.

Contrairement au droit français, en droit allemand, le contrat de vente est exclusivement un acte générateur de l’obligation (Verpflichtungsgeschäft). Tandis que selon le Code civil français fondé sur les principes du consensualisme, la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès qu’on est convenu de la chose et du prix, en droit allemand la conclusion du contrat de vente n’a pas pour effet immédiat le transfert de propriété. Le contrat de vente de droit allemand fait seulement naître l’obligation civile du vendeur et de l’acheteur de respectivement transférer la propriété de la chose et de payer.

Le vendeur doit ensuite transmettre effectivement le bien vendu à l’acheteur et les parties doivent consentir au transfert (dingliche Einigung). Le transfert effectif de propriété fait l’objet d’un deuxième acte juridique, l’acte de disposition (Verfügungsgeschäft/Erfüllungsgeschäft), par lequel le vendeur transfère la propriété à l’acheteur.

Les deux actes juridiques, l’acte générateur de l’obligation et l’acte de disposition, existent parallèlement. Dès lors, la nullité de l’un n’entraine pas automatiquement la nullité de l’autre. C’est la raison pour laquelle on parle du principe de séparation et d’abstraction (Trennungs-und Abstraktionsprinzip). Si une relation contractuelle de droit allemand relative à une vente s’avère problématique, il convient de bien vérifier à l’aide d’un avocat franco-allemand les bases juridiques applicables du droit des obligations ou du droit des biens pour obtenir le bon résultat.
Cette distinction entre l’acte générateur de l’obligation et l’acte de disposition est invisible, lorsque, comme c’est le plus souvent le cas, les parties concluent le contrat de vente sur un bien meuble (par exemple, une voiture) et simultanément, la propriété de ce bien meuble est transférée. De ce fait, le second accord qui suppose la remise de la chose est conclu immédiatement.

Par contre, dans le mécanisme de la vente d’un immeuble par exemple, le principe de séparation et d’abstraction est beaucoup plus visible. Le contrat de vente est conclu par acte notarié mais l’acheteur ne devient propriétaire que par le consentement sur le transfert de propriété (qu’on appelle Auflassung dans le cas d’un immeuble) et l’inscription au livre foncier (Eintragung). En pratique, le transfert de propriété portant sur un immeuble n’intervient qu’après le paiement du prix de vente postérieurement à la conclusion du contrat de vente.

En droit allemand, le vendeur peut valablement conclure un contrat de vente portant sur la chose d’autrui, le cas de la chose volée n’étant pas visé ici. Par contre, le vendeur ne peut pas en principe en transférer la propriété, sauf s’il y est autorisé par le propriétaire (§ 185 BGB) ou si l’acheteur est de bonne foi, comme le prévoit le § 932 du Code Civil allemand. L’acte générateur de l’obligation étant valablement conclu, mais l’acte de disposition étant en principe impossible, le vendeur encourt donc le risque de devoir dédommager son cocontractant. L’acheteur peut quant à lui être évincé par le propriétaire de la chose, qui a un droit de restitution (Herausgabeanspruch).

Délivrance conforme et garantie des vices cachés dans le droit allemand de la vente.

Le vendeur doit livrer une chose conforme et exempte de vices matériels et juridiques (frei von Sach- und Rechtsmängeln). Un vice matériel peut résider dans la non-conformité de la chose, dans une faute de montage commise par le vendeur ou encore dans la livraison d’une chose différente (aliud) ou une livraison insuffisante (Quantitätsmangel). Le vice matériel est constitué en cas de droits des tiers sur la chose (p.ex. hypothèques) s’ils n’ont pas été pris en considération dans le contrat de vente.

Le droit allemand ne connaît pas la distinction faite par le droit français entre le défaut de conformité et le vice de la chose. Le défaut de conformité est considéré comme étant une différence entre la chose promise et la chose livrée, tandis que le vice est conçu étant une malfaçon qui rend la chose impropre à son usage normal. Le droit allemand connaît l’action globale des « Gewährleistungsansprüche ».

A l’intérieur de la même action, différents délais s’appliquent, comme par exemple le délai pour l’exercice de l’action en réparation du dommage causé qui est de deux ans et celui plus spécifique pour les immeubles, qui est de cinq ans (§ 438 I n° 2 du Code Civil allemand).

Par ailleurs, le droit de la vente allemand ne contient pas une garantie spécifique du vice caché en tant que telle. Néanmoins, le point de départ de l’action du vendeur n’est pas la date de livraison mais le premier jour de l’année suivant celle de la découverte du vice (§§ 438 III, 195, 199 I BGB), lorsque le vice était caché et que le vendeur était de mauvaise foi (arglistig verschwiegener Mangel). Par ailleurs, le délai pour agir est plus long que le délai général dans le contrat de vente.
Si la chose livrée n’est pas conforme, c’est-à-dire non-conforme au sens strict ou viciée, le code civil allemand confère à l’acheteur en principe le droit de :
• demander l’exécution de la vente (Nacherfüllung),
• de résilier le contrat (Rücktritt) ou
• de diminuer le prix (Kaufpreisminderung)
• et de demander des dommages et intérêts (Schadensersatz statt der Leistung) ou le remboursement des frais occasionnés par la vente qui se sont révélés sans utilité (Ersatz vergeblicher Aufwendungen).

Mais l’acheteur doit apporter la preuve de l’existence du défaut au moment du transfert des risques (Gefahrübergang), qui est généralement le moment de la livraison.

La notion de vice apparent n’est pas prévue expressément en droit allemand de la vente. Il est prévu néanmoins dans les relations entre commerçants que l’acheteur professionnel est tenu de vérifier la conformité de la chose livrée et de signaler les vices apparents à la livraison (Mängelrügeobligenheit, § 377 HGB). S’il ne le fait pas et que le vice était apparent, il perd ses droits pour non-conformité. Seuls les vices cachés peuvent alors être encore invoqués.

Pour faire valoir ses droits, l’acheteur est tenu de respecter les conditions de chacun des droits et un ordre à respecter dans les actions qui lui sont ouvertes. L’une de ces règles de base est que l’acheteur qui a reçu une chose non-conforme doit d’abord sommer le vendeur d’exécuter son obligation (Nacherfüllung) en faisant le choix entre une réparation du vice (Nachbesserung) et un échange de la chose (Nachlieferung). Cette priorité s’explique par le fait que la résiliation est désavantageuse pour le vendeur parce que la chose n’étant plus neuve après la première vente, elle aura perdu de la valeur. La résiliation du contrat peut intervenir par simple déclaration de l’acheteur après mise en demeure du vendeur restée infructueuse. Le Code Civil allemand dispose comme condition supplémentaire, également avec l’objectif d’éviter au vendeur une résiliation abusive que le défaut doit être majeur (erheblich). L’effet de la résiliation est la naissance d’une obligation de remise des choses en l’état, le cas échéant par une restitution (Rückgewährschuldverhältnis).

Les actions ouvertes à l’acheteur dans un contrat de droit allemand sont globalement les mêmes que celles du droit français, avec le choix de l’acheteur entre l’action rédhibitoire (remboursement du prix et restitution de la chose) et estimatoire (réduction du prix). Néanmoins, les modalités de mise en œuvre de ces droits et les délais d’action diffèrent.

Dans le cas d’un contrat de vente allemand, si l’acheteur veut garder la chose non-conforme, il peut opter pour la réduction du prix de vente (Kaufpreisminderung) au lieu de la résiliation du contrat de vente. Les conditions de la réduction sont les mêmes que celles de la résiliation, à la différence près que le critère du degré d’importance du défaut de la chose ne s’applique pas pour la réduction du prix de vente.

L’acheteur qui a reçu une chose non-conforme peut également réclamer la réparation du préjudice causé par l’inexécution. Du point de vue des sources légales, comme pour la résiliation, les dispositions spéciales sur le droit de la vente du Bürgerliches Gesetzbuch renvoient à celles du droit des obligations générales. L’acheteur peut demander des dommages et intérêts moratoires au titre du préjudice dû au retard de la livraison conforme (Verzögerungsschaden), des dommages et intérêts compensatoires au lieu de l’exécution (Schadensersatz statt der Leistung) pour réparer le dommage lié au vice de la chose (Mangelschaden) et pour la réparation des dommages sur les autres droits et biens de l’acheteur causés par la chose non-conforme (Mangelfolgeschaden). Dans tous les cas il faut que la livraison de la chose non-conforme soit liée à une faute du vendeur, qui est présumée en droit général des obligations contractuelles. De manière générale, le droit commercial allemand prévoit un certain nombre de règles dérogatoires au droit civil allemand de la vente pour les contrats entre commerçants et professionnels.

Par ailleurs, à l’opposé du principe de non-cumul du droit français, en droit allemand l’acheteur a aussi la possibilité d’engager la responsabilité délictuelle (§§ 823 ss.BGB) du vendeur.
Pour la rédaction d’un contrat de vente ou l’évaluation précise des droits et actions ouvertes à l’acheteur ou au vendeur en cas de conflit, les grands principes du droit de la vente allemand exposés ci-dessus ne peuvent pas suffire. En effet, le droit de la vente est très formel et contient de nombreuses exceptions. Il convient de consulter un professionnel du droit capable de déterminer quel droit s’applique, comment il s’applique et quelles conséquences juridiques exactes découlent du contrat de vente. A défaut, le vendeur et l’acheteur peuvent, sans s’en rendre compte, renoncer à des droits ou créer des obligations importantes à leur charge.

Françoise Berton, Avocate et Rechtsanwältin http://www.berton-associes.fr www.berton-associes.fr
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