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Mariages et divorces franco-marocains : quelles nouveautés en 2015 ? Par Ali Chellat, Avocat.
Parution : mercredi 18 février 2015
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En droit international, une convention est utilisée pour décrire des déclarations formelles de principes. Ces conventions doivent être ratifiées par des États pour obtenir une force obligatoire et devenir un traité international.

En fait, au vu des relations personnelles et familiales entre les ressortissants des deux États et de la nécessité de conserver aux personnes les principes fondamentaux de leur identité nationale, la République Française et le Royaume du Maroc ont signé une Convention en date du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire.

Cette convention a, d’une part, pour but de protéger et de renforcer des liens existants ou susceptibles de se créer entre les ressortissants des deux États.
Elle vise, d’autre part, à établir des règles communes de gestion de conflit des lois et de juridictions relatives au statut des personnes et de la famille.
Elle traite, enfin, du renforcement des relations de coopération judiciaire entre les deux États pour mieux assurer la protection des enfants et des créanciers d’aliments.
Depuis son entrée en vigueur en 1983, les juristes et les époux concernés ont pensé que la question de la compétence de la juridiction et de la loi applicable au divorce était réglée ainsi que la question de l’exéquatur des décisions rendues par les deux États. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

A la lecture d’un certain nombre de décisions, les réponses apportées par la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 demeurent insuffisantes et inefficaces par rapport aux questions soulevées par les époux. Mais de nombreux problèmes d’application de cette convention ont été posés aux juges et aux avocats même après la réforme du Code de la famille marocain, effectuée en 2004.

Cette convention internationale soulève des questions sur le plan juridique :
La première concerne la supériorité des conventions sur les lois. Est-ce que la convention prévaut toujours sur la loi ?
La seconde concerne celle de la convention : peut-elle être invoquée si elle n’est pas appliquée ?
A quoi sert la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 ? Est-ce pour la forme ? Est-elle là pour résoudre ou créer des problèmes pour et entre les deux États ainsi qu’à leurs ressortissants ?

Afin de répondre à ces questions, nous essayons d’analyser, dans un premier temps, la convention à la lumière de l’ordre public international et d’examiner, dans un second temps, quels sont les effets de l’ordre public international sur la convention franco-marocaine ?

I. La convention franco-marocaine du 10 août 1981 est écartée au regard de l’ordre public international

Quelle est la nouvelle place des conventions internationales par rapport à la loi nationale ? Existe-t-il toujours une supériorité des traités sur les lois ?
En droit français, l’article 144 du Code Civil dispose que : « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ».
En droit marocain, l’article 4 du Code de la Famille dispose que : « Le mariage est un pacte fondé sur le consentement mutuel en vue d’établir une union légale et durable, entre un homme et une femme ».

En l’espèce, il ressort de cet article que le Maroc interdit le mariage pour les personnes de même sexe.
Récemment, en date du 28 janvier 2015, la Cour de cassation a rendu un arrêt validant le mariage d’un couple homosexuel franco-marocain et écarté la convention franco-marocaine au nom de l’ordre public international au regard de l’atteinte à la liberté de se marier, reconnue en France pour les couples homosexuels.
Elle ajoute que le mariage entre personnes de même sexe est une liberté fondamentale à laquelle une convention passée entre la France et le Maroc ne peut faire obstacle si le futur époux marocain a un lien de rattachement avec la France, en l’espèce, son domicile.

Elle a, en effet, relevé que la loi marocaine, qui interdit le mariage homosexuel, pouvait être écartée, en application de l’article 4 de la convention franco-marocaine.
L’arrêt de la Cour de Cassation est, par conséquent, en contradiction avec cette convention bilatérale liant la France et le Maroc.

D’autre part, l’article 55 de la Constitution dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie. »

Il ressort de cet article que la Constitution reconnaît pourtant à une telle convention une autorité supérieure à celle de la loi, en l’espèce à celle du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.

En outre, le droit français s’appuie sur les textes fondamentaux dans l’ordre qui suit :
1. La Constitution.
2. Les Traités internationaux.
3. La Loi.
4. Le Décret.
5. L’Ordonnance.
6. L’Arrêté.

Or, cet arrêt, en date du 28 janvier 2015, démontre la supériorité des lois nationales sur les conventions internationales.
Qu’en est-il des effets de cette décision ?

II. Les effets directs de l’ordre public international sur la convention franco-marocaine du 10 août 1981

Plusieurs questions se posent actuellement :
• Ne faut-il pas conclure à la fin de cette convention franco-marocaine ?
• Dans quelle mesure une juridiction peut-elle écarter une convention internationale en imposant à un autre État souverain son point de vue juridique ? Cette décision s’appliquera-t-elle à d’autres pays signataires d’une convention similaire ?
• Quels sont les conséquences de l’ordre public international français sur les engagements
de la France ?

A notre avis, nous assistons à la fin d’une convention qui a duré plusieurs années. Auparavant, il y avait déjà des difficultés pour l’exéquatur des décisions marocaines en France et notamment avant la réforme de la Moudawana (Code de la famille marocain).

Faut-il craindre que les juridictions marocaines déclarent la loi française incompatible avec l’ordre public national marocain ? Nous constaterons peut-être qu’il n’y aura plus d’exécution des décisions françaises au Maroc. Pour ce faire, les juridictions marocaines peuvent se fonder sur l’article 4 de ladite Convention qui précise que « la loi de l’un des deux États désignés par la présente Convention ne peut être écartée par les juridictions de l’autre État que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public ».

Dès lors, pour la validité des mariages célébrés en France par les ressortissants marocains, ces mariages doivent être enregistrés au Consulat.
En déclarant que la loi française est incompatible avec l’ordre public national marocain, les mariages célébrés en France par les ressortissants marocains ne pourront plus être enregistrés directement comme avant auprès des services consulaires. Le seul point de convergence concernant la convention franco-marocaine se trouve au niveau de la transcription ou de la reconnaissance des mariages célébrés dans l’un des deux États.

En conséquence, les époux seront dans l’obligation d’entamer au Maroc de nouvelles démarches concernant leur mariage ou leur procédure de divorce puisque leurs démarches et procédures effectuées en France ne seront pas reconnues.
En guise de conclusion, cette évidente injustice devrait conduire les législateurs des deux pays à trouver des remèdes à la délicate question de la double procédure en matière de divorce.

Il convient de souligner que la majorité des époux se plaignent d’un certain nombre de problèmes concernant leur divorce qui ne sont pas nouveaux et qu’aucun des deux États n’essaie de se pencher sur ses questions.
Cela évitera pour les époux des doubles procédures de divorce trop coûteuses et un déchirement, ainsi qu’une souffrance des enfants, pour obtenir un divorce devant les deux juridictions.
Le bilan des divorces a actuellement des effets pervers auxquels la convention n’a pas trouvé de remèdes. Mais comment les résoudre ?
Pour remédier au détournement et aux insuffisances de cette convention, il faut se rendre à l’évidence et prendre en compte le choix des époux au moment du mariage : quelle loi sera applicable et quel tribunal sera compétent au moment de la dissolution de leur mariage ?

Vu le flou juridique concernant cette convention, il est souhaitable de prendre en compte la volonté des époux au moment du mariage pour la maîtrise de leur séparation.

Une convention de divorce, au moment du mariage, est un des outils qui peut être utilisé pour régler la séparation des époux.
Certes, cette convention présente des avantages et des inconvénients. Celle-ci permettra aux époux de leur conférer une autonomie de volonté et un pouvoir de contrôle sur leur séparation. Elle leur permettra d’anticiper les conséquences de leur séparation et de les diriger, ainsi, vers les solutions les mieux adaptées à leur situation. Ces solutions seront mieux exécutées.

En l’absence de cette convention de divorce, il conviendrait de développer une éthique de responsabilité par l’explication des dangers des doubles procédures et expliciter ses coûts ainsi que ses délais d’attente.
Aujourd’hui, il nous paraît nécessaire d’établir une nouvelle convention franco-marocaine qui donne aux époux la possibilité de construire un mariage et un divorce à la carte. Elle doit être accompagnée d’une refonte des règles de procédure pour éviter la contrariété des décisions, dans l’intérêt de la France et du Maroc ainsi que des ressortissants. Ceci permettra de garantir la sécurité juridique des procédures internationales en matière de mariage et de divorce.

Des réflexions doivent être menées par les deux États d’autant plus que le législateur marocain a mis le Code de famille en conformité avec les instruments internationaux et que les droits des époux notamment y sont bien garantis.

Maître Ali CHELLAT Avocat au Barreau de RENNES Docteur en Droit [E-mail->chellat-avocat@laposte.net]
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