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Protection des emprunteurs particuliers (2) : taux d’endettement maximal, solvabilité et disproportion du crédit. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : vendredi 20 février 2015
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L’analyse de la solvabilité prend une part grandissante dans la responsabilité de l’octroi de crédits, sur fond de convergence des obligations conceptuellement distinctes de mise en garde, prêteurs, et de conseil, courtiers-IOBSP cf première partie.

Le taux d’endettement en crédit est-il un bon indicateur de solvabilité ? Sans aucun doute. Quel est le niveau de « taux d’endettement » acceptable, pour un particulier ? Légalement, il n’existe pas. Juridiquement, est supportable le taux qui créée une charge financière inférieure à 35 % des revenus. Avec une (large) zone de tolérance s’étage de 35 % et 50 %.

L’analyse de la solvabilité sous l’angle juridique montre l’indifférence totale de cette notion aux théories des obligations de mise en garde et de conseil : que ce soit pour le prêteur ou pour le distributeur, la solvabilité s’aborde désormais exactement sous le même angle. Ce qui confirme le désintérêt pratique qui attend la distinction entre les deux obligations, datées.

En crédit, le droit positif favorise l’obligation de conseil, fondée sur un taux d’endettement repère de 35 %.

Deuxième partie : taux d’endettement maximal et solvabilité.
Première partie –parue : convergence des obligations de mise en garde et de conseil.

La protection de l’emprunteur est assurée par les obligations des professionnels, de mise en garde et de conseil, dont nous avons constaté la convergence vers l’obligation de conseil [1]. A charge de préciser les contours et les limites de celle-ci.

Cette protection repose en grande part, sur l’analyse de la solvabilité de l’emprunteur, illustrée par la référence fréquente et abondante au taux maximal d’endettement.

Le taux d’endettement conserve-t-il du sens, pour analyser la disproportion (ou non) d’un crédit ? Quelles sont ses limites, en Jurisprudence ?

1. Ni définition légale, ni limite théorique au taux d’endettement.

Alors que le droit du crédit s’intéresse ardemment, à juste titre, à la protection des emprunteurs, la notion de « taux d’endettement » reste particulièrement flexible.

Les taux d’intérêt plutôt bas stimulent le marché du crédit, rare levier encore en état de favoriser la consommation, donc, la croissance. Le taux d’endettement ressort bien souvent comme le ratio le plus illustratif de la solvabilité de l’emprunteur.

Construit d’après « solvere » (payer, acquitter, mais aussi, dénouer et résoudre), est tout simplement solvable le débiteur dont la situation financière permet le remboursement de la dette. Est ainsi qualifié l’emprunteur « qui est capable de faire face à une dette par ses liquidités ou même par son actif à réaliser » [2].

Le crédit, « croyance de solvabilité et d’exactitude à payer », selon l’incisive formule du philologue méconnu Jean-Baptiste Bonaventure Roquefort, nécessite l’analyse préalable de cette solvabilité.

La difficulté à déterminer la solvabilité d’un emprunteur est ardue : quelles sont ses composantes ? comment évolueront-elles dans le temps ? comment cerner la probité de l’emprunteur, sa propension à rembourser ?

En synthétisant la part de revenus consacrés au paiement de la dette (et de ses intérêts et accessoires), le taux d’endettement apporte une réponse basique et maniable à la question de la solvabilité de l’emprunteur.

Pourtant, le taux d’endettement « légal » n’existe pas. Aucun texte ni aucun Code ne fixe la part maximale des revenus qu’un particulier pourrait consacrer au remboursement de ses emprunts. Adieu, mythe du 33 % ou du 30 % : autant de frontières faciles, mais inexistantes dans la loi.

L’octroi d’un crédit, par l’établissement de crédit, est discrétionnaire.

Chaque fournisseur de crédit dispose de ses propres méthodes de décision, fruit à la fois de ses politiques de risque, financière et commerciale. De risque, car c’est l’essence même du métier de prêteur, traduit en méthodes d’analyse du défaut de remboursement (le risque de contrepartie) ; financière, car l’établissement détermine les conditions de sa recherche de profits. Commerciale, car il peut favoriser telle classe de clients, en fonction de son positionnement, de ses autres offres, de l’analyse qu’il fait de son marché, bref, de ses priorités en marketing.

Dans l’optique du droit et de la pratique bancaire française, dans laquelle un crédit doit être remboursé à l’aide de revenus, et non d’actifs, le taux d’endettement conserve une grande place. Car il épouse précisément cette conception.

Outre l’absence de limite légale, le taux d’endettement n’est pas davantage défini dans sa composition : quels revenus ? quelles charges ? La jurisprudence peine à dégager une définition homogène de ce taux d’endettement.

Pour autant, le taux d’endettement n’est pas totalement dépourvu de références juridiques.

Il a bien fallu que la jurisprudence, saisie de la question de la juste proportion de l’endettement de l’emprunteur, se prononce sur la notion de limite du taux d’endettement. Elle confirme ainsi la croyance empirique : un tiers des revenus forme une juste et prudente proportion au remboursement des crédits.

2. Taux d’endettement en Jurisprudence… 35 % maximum !

L’analyse détaillée d’une série d’arrêts récents, principalement de Cours d’appel, permet d’étalonner le seuil de taux d’endettement qualifié d’excessif, à la date d’octroi du crédit, pour des particuliers.

En un coup d’œil, sont qualifiés comme excessifs des taux de : 36,35%, 38 %, 40 %, 54% et 70 % ; sont qualifiés d’acceptables, les taux de : 35,8 %, 38,74 % et de 54%.

Fort heureusement, la souplesse demeure.

Il convient donc, pour les professionnels comme pour les emprunteurs, de se montrer particulièrement attentifs dès lors que le taux d’endettement, justement calculé et étayé, dépasse 35 %. Et de justifier précisément le conseil à l’octroi du crédit dès lors que ce taux s’inscrit dans la « zone de tolérance » de 35 % à 50 %.

En voici quelques illustrations concrètes.

« Les demandes de financement indiquaient, pour le premier contrat, un taux d’endettement de 40 % et pour le second, de 54 % alors que le taux moyen admissible d’endettement est d’environ 1/3 des revenus de l’emprunteur ; qu’un risque d’endettement excessif existait donc bel et bien et qu’en conséquence la banque était tenue d’en alerter les époux X...  » [3].

« Si le taux d’endettement était de 54 pour-cent après souscription du prêt » […] « les époux co-emprunteurs ont signé les deux contrats de prêts sachant les motifs de leur engagement et le montant de leur endettement  » [4].

« Il résulte de la fiche de renseignement remplie par l’emprunteur que celui-ci était déjà endetté à 40 pour-cent lors de l’octroi du prêt ce qui est supérieur à la limite communément admise. Le banquier lui a tout de même accordé en quelques jours deux prêts […] qui faisaient passer son taux d’endettement à 70 pour-cent et étaient donc chacun manifestement inadaptés aux capacités financières de l’emprunteur  » [5].

« Que par ailleurs, l’examen de la fiche de renseignements [… révèle] leur endettement à 35,80 %, et non à 83,50 % comme l’évalue le conseil susvisé ;
Que le taux d’endettement certes significatif de 35,80 % était à relativiser au regard d’un patrimoine immobilier non négligeable ;
Que le montant du prêt - 22 000 euro à rembourser sur 6 ans - n’apparaît en aucun cas disproportionné par rapport aux capacités du couple
 » [6].

« Que le taux d’endettement de 38,74 % n’apparaissait pas excessif s’agissant d’un prêt pour l’acquisition de la résidence du couple, sachant que les mensualités de 702,66 euro venaient se substituer à la charge de loyers supportée précédemment ;
Que dans ces conditions le prêt consenti […] n’apparaissait pas excessif et que les appelants ne caractérisent aucun manquement de la banque à son obligation de conseil et de mise en garde
 » [7].

« La Caisse […] indique elle-même que les concours consentis par elle représentaient 36,35% de la capacité contributive des époux, ce qui représente un taux non négligeable.
Cette situation appréhendée globalement présentait un risque d’endettement qui s’est effectivement concrétisé à l’issue du différé et sur lequel les emprunteurs n’ont pas été mis en garde
 » [8].

« Ce devoir de conseil oblige le prêteur à se renseigner sur les capacités de remboursement de l’emprunteur compte tenu de son patrimoine et de ses revenus prévisibles afin de ne pas accorder à ce dernier un crédit excessif, le prêteur devant en outre alerter l’emprunteur sur les risques de non remboursement au regard de la nature du crédit.
Concernant les revenus, la banque doit tenir compte des revenus prévisibles et concernant les charges, de l’existence de crédits en cours ou prévisibles.
Le crédit consenti […] a porté leur charge de remboursement au titre des crédits à […] plus de 38% de leurs revenus, ce qui constituait une lourde charge, imposant à la banque d’alerter les emprunteurs sur les risques de non remboursement du crédit contracté pour une somme relativement importante au regard des revenus du couple
 » [9].

Ces éléments de Jurisprudence aident à cerner le niveau tangible du taux d’endettement.

Bien souvent, comme déjà signalé, des Cours d’appel n’hésitent pas à qualifier de « devoir de conseil  » l’obligation du prêteur, notamment dans cette analyse de la solvabilité. Ceci rappelle le lien étroit entre analyse de solvabilité et obligations de mise en garde, ou de conseil, tout en illustrant encore leur parfaite identité.

En conclusion, le taux d’endettement demeure un indicateur solide de la solvabilité des emprunteurs particuliers.

La Jurisprudence permet de mieux le cerner, même si ses composantes pourraient être davantage précisées par les Tribunaux ; l’abondant contentieux du crédit procure déjà la lecture de son étalonnage, éclairage utile aux professionnels, prêteurs, distributeurs intégrés (conseillers des agences bancaires) comme distributeurs indépendants (Courtiers-IOBSP).

Rapprochée des éléments présentés en première partie, la production jurisprudentielle montre également l’indifférence de la question de la solvabilité, quant au débat théorique entre obligation de mise en garde et obligation de conseil.

L’analyse poussée de la solvabilité ressort comme un objectif partagé de l’établissement de crédit, et du Courtier – IOBSP. Les contrats de crédit et les procédures internes de tous les distributeurs de crédits gagneraient certainement à tirer les conséquences pratiques de ce constat.

Quant à Sainte-Pélagie, la « prison pour dettes » voir première partie, après avoir été une réponse du Droit aux difficultés des emprunteurs, elle a été fort heureusement démolie en 1899.

Les données juridiques récentes montrent, en un siècle, la capacité d’adaptation des solutions apportées par le Droit, dans cette question fondamentale des rapports entre prêteurs et emprunteurs (un français sur deux dispose d’un crédit).
Puisse cette évolution se poursuivre en surmontant les arriérés conceptuels, afin d’entretenir le bon équilibre entre les responsabilités des professionnels et celles des emprunteurs.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires Intervenant à l\'ISFI / Formations bancaires (www.isfi.fr) www.droit-distribution-bancaire.fr

[1cf première partie

[2G. Cornu, « Vocabulaire juridique  », PUF

[3Cour de cassation, Civ. 1ère 11 mars 2014

[4Cour d’appel de Versailles, 14 janvier 2014

[5Cour d’appel de Basse-Terre, 19 décembre 2013

[6Cour d’appel de Riom, 26 mars 2014

[7Cour d’appel de Colmar, 28 mai 2014

[8Cour d’appel de Toulouse, 29 juin 2014

[9Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 23 septembre 2014

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