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Diffamation et atteinte à la vie privée : la double qualification est prohibée. Par Stéphanie Dalet-Venot, Avocat.
Parution : mercredi 4 mars 2015
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Les mêmes faits ne peuvent être poursuivis sur le double fondement de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 et de l’article 9 du Code Civil.

L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que : « La citation précisera et qualifiera le fait incriminé, elle indiquera le texte de loi applicable à la poursuite (…). Ces formalités seront observées à peine de nullité de la poursuite  ».

En matière de droit de la presse, le choix de la qualification des propos, à la base de la poursuite, est essentiel : la Cour de cassation considère, de façon constante, que l’acte initial de poursuite fixe définitivement et irrévocablement la nature, l’étendue et l’objet de la poursuite, ainsi que les points sur lesquels le prévenu aura à se défendre. (Cass. Crim. 30 octobre 1989 : Bull. crim. 1989, n°388)

L’acte de poursuite ne doit donc laisser au prévenu aucun doute sur la qualification des faits qui lui sont reprochés et ce, afin qu’il puisse préparer utilement sa défense.

Ainsi, par exemple, un prévenu qui se voit reprocher des faits qualifiés de diffamatoires, pourra tenter de faire la preuve de la vérité desdits faits dans les 10 jours de la signification de l’acte de poursuite…ce qu’il ne pourrait pas faire s’il ne savait pas qu’il est poursuivi en diffamation..

Sont donc prohibés toute qualification cumulative, ou même alternative, pour deux mêmes faits. A cet égard, la Cour de cassation précise qu’est nulle « une citation visant, pour un fait unique, des qualifications cumulatives ou alternatives de nature à créer, dans l’esprit du prévenu, une incertitude quant à l’objet de la poursuite  ». (Cass. Crim. 30 mars 2005, n°04-84.976)

La Juridiction suprême prohibe même le fait d’engager successivement des actions en justice contre les mêmes faits sur des fondements juridiques différents. En effet, la Cour considère, au terme d’un attendu de principe très explicite, que « les mêmes faits ne sauraient recevoir une double qualification sans créer une incertitude dans l’esprit du prévenu, et que, si des instances relatives aux mêmes imputations qualifiées différemment et visant des textes de loi distincts ont été engagées successivement, la seconde se trouve frappée de nullité  » (Cass. crim., 28 nov. 2006, n° 05-83.492)

Une application classique de cette jurisprudence est la prohibition de poursuivre des mêmes propos en les qualifiant cumulativement ou alternativement de diffamatoires et d’injurieux.

Qu’en est-il des faits susceptibles de revêtir la qualification de délits de presse et d’atteinte à la vie privée ou d’atteinte à la présomption d’innocence ?

S’agissant de la qualification cumulative d’un fait sur le fondement de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 et sur le fondement de l’article 9 du Code Civil qui, rappelons-le, dispose « Chacun a droit au respect de sa vie privée (…) », il avait déjà été jugé, par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, qu’il n’était possible d’invoquer concurremment l’article 9 du Code Civil et la loi du 29 juillet 1881 qu’en distinguant précisément les faits sur lesquels portaient les deux demandes. (TGI Nanterre, 1ère Chambre, 27 mai 2002 : Legipresse 2002, n°196, I, p. 140).

La Cour de Cassation, dans un arrêt de la 1ère Chambre Civile du 4 février 2015 vient conforter cette jurisprudence dans les termes suivants :

«  Vu l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;

Attendu que, selon ce texte, l’assignation doit, à peine de nullité, préciser et qualifier le fait incriminé et énoncer le texte de loi applicable ; qu’est nulle une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9 du Code Civil . (Cass. Civ. 1ère, 4 février 2015, n°13-16.263)

Ce même jour, la Cour de Cassation, dans une autre affaire, a également précisé sa jurisprudence sur la possibilité de qualifier un même fait de diffamatoire et d’attentatoire à la présomption d’innocence au sens de l’article 9-1 du Code Civil. (Cass. Civ. 1ère, 4 février 2015, n°13-19.455)

Dans une affaire où les titres de trois articles de presse avaient été poursuivis comme étant « diffamatoires ou constituant une atteinte à la présomption d’innocence », la Cour de Cassation a invalidé l’arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence qui avait statué sur les mérites d’une assignation fondée sur cette double qualification et a clairement retenu : « Qu’est nulle une assignation qui retient pour les mêmes faits une double qualification fondée sur la loi du 29 juillet 1881 et sur l’article 9-1 du Code Civil ».

L’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 continue donc à être d’application extrêmement stricte !

Stéphanie Dalet-Venot Avocat au Barreau de Paris Modifier Changer la vue http://www.avocatsdaletvenot.fr/ http://www.legavox.fr/blog/e-reputation-et-droit