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Le droit aux primes des agents publics en décharge de service pour mandat syndical. Par Karin Hammerer, Avocate.
Parution : vendredi 6 mars 2015
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Dans son arrêt du 11 février 2015, le Conseil d’État continue de préciser les contours du droit à rémunération des agents publics qui bénéficient d’une décharge de service en raison de leur activité syndicale (CE, 11 février 2015, Commune de Montlouis-sur-Loire, n° 371257).

Il poursuit ainsi sa recherche d’un équilibre délicat entre la protection syndicale et sa nécessaire neutralité.

L’article 8 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 garantit aux fonctionnaires l’exercice du droit syndical.

Dans ce cadre, ces agents publics peuvent bénéficier de décharges, totales ou partielles, qui leur permettent d’exercer, pendant leurs heures de service, une activité syndicale au profit de l’organisation à laquelle ils appartiennent et qui les a désignés en accord avec leur employeur [1].

Ils se trouvent alors dans une situation particulière puisqu’ils :

Ils doivent donc être traités comme s’ils continuaient à occuper leurs anciens postes même si leur maintien en service est d’autant plus fictif que – et c’est heureux – leurs employeurs publics ne peuvent ni apprécier, ni contrôler la façon dont ils remplissent leurs missions syndicales.

C’est autour de cette ambivalence que s’est construit leur régime juridique dans le souci de préserver la neutralité syndicale, qui implique que les intéressés ne puissent être ni avantagés, ni pénalisés du fait de leurs engagements militants.

Ainsi, il est prévu que leur avancement ait lieu sur la base de l’avancement moyen des fonctionnaires du cadre d’emplois, emploi ou corps auquel ils appartiennent [3].

A l’inverse, aucune disposition législative ou réglementaire ne règle la question de leur régime indemnitaire, qui est pourtant un domaine sensible s’il en est.

C’est cette carence que l’arrêt n° 371257 rendu le 11 février 2015 par le Conseil d’État est venu pallier en indiquant que :

« le fonctionnaire d’une collectivité territoriale qui bénéficie d’une décharge totale de service pour l’exercice d’un mandat syndical a droit, durant l’exercice de ce mandat, que lui soit maintenu le bénéfice de l’équivalent des montants et droits de l’ensemble des primes et indemnités légalement attachées à l’emploi qu’il occupait avant d’en être déchargé pour exercer son mandat, à l’exception des indemnités représentatives de frais et des indemnités destinées à compenser des charges et contraintes particulières, tenant notamment à l’horaire, à la durée du travail ou au lieu d’exercice des fonctions, auxquelles le fonctionnaire n’est plus exposé du fait de la décharge de service »

Autrement dit, compte tenu du caractère fictif de leur position d’activité, les agents en décharge totale de service ont droit au maintien non pas de leur régime indemnitaire mais de l’équivalent des primes et indemnités attachées à leurs anciens emplois, à l’exception :

La Haute juridiction est ainsi venue confirmer la portée générale de la solution qu’elle avait déjà donnée le 27 juillet 2012 en matière de fonction publique d’État [4] en la transposant à la fonction publique territoriale .

Toutefois, en l’espèce, elle va plus loin.

Elle ajoute qu’il faut tenir compte « de l’institution ou de la suppression de primes survenues postérieurement à la date à compter de laquelle l’agent a bénéficié de sa décharge ».

La situation indemnitaire du fonctionnaire n’est donc pas figée à la date de sa décharge de service, de sorte qu’il pourra :

Au cas présent, il s’agissait de l’institution d’une « prime liée à l’entretien professionnel », attribuée en fonction de l’évaluation des qualités de l’agent sur une année.

Le Conseil d’État en déduit le droit de l’intéressé au versement de l’équivalent de cette prime, qui n’entre pas dans le champ des exceptions précitées, peu important qu’aucun entretien professionnel ne puisse être conduit.

Restaient à connaître les modalités de calcul de cet avantage financier.

Reprenant un raisonnement similaire à celui qu’il avait tenu en matière d’avancement [5], le Conseil d’État va appliquer le taux moyen attribué aux agents occupant un emploi comparable à l’ancien poste de l’intéressé en lieu et place du taux moyen accordé à l’ensemble des agents de la collectivité.

En effet, cette prime vise à valoriser la valeur professionnelle des personnels, qui ne peut être dissociée des missions que ces derniers sont amenés à exécuter.

Entre fiction juridique et respect de la neutralité syndicale, le régime des fonctionnaires en décharge de service n’est pas toujours aisé à définir et nécessitera encore bien des éclaircissements jurisprudentiels, comme celui ici commenté.

Karin Hammerer, Avocate au Barreau de Lyon, spécialiste en droit public www.hammerer-avocat.fr

[1article 100-1 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale.

[2article 56 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale.

[3article 77 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 et article 31 du décret n° 85-397 du 3 avril 1985 pour la fonction publique territoriale.

[4CE, Section, 27 juillet 2012, Bourdois, n° 34480.

[5CE, 26 novembre 2012, Ministre de l’Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, n° 35095.

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