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Le sexisme en entreprise au cœur des débats. Par Alina Paragyios, Avocat.
Parution : mardi 10 mars 2015
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Le 6 mars 2015, Marisol Touraine, Ministre des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes depuis le 26 août 2014, s’est vu remettre un rapport traitant de la question du sexisme par le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP).

D’ores et déjà, il convient de poser une définition précise du sexisme. La définition reprise est celle que le CSEP avait retenue dans son avis publié en date du 27 février 2014. Ainsi, le sexisme correspond à la manifestation par des propos, des comportements, des attitudes qui érigent la différence sexuelle en différence fondamentale entrainant un jugement sur l’intelligence, les comportements et/oui les aptitudes de la personne qui en est victime.

Dans ce même avis et dans le cadre d’une étude menée sur les relations de travail entre les femmes et les hommes sur la base d’une consultation des salariés de 9 grandes entreprises françaises, le CSEP après avoir interrogé 15 000 salariés des deux sexes, a rendu un avis retranscrivant les résultats de ladite enquête.

Il convient de préciser que les 9 grandes entreprises au sein desquels l’étude avait été menée en 2014 par le CSEP sont les suivantes : Radio France, France Télévisions, RATP, SNCF, Orange, GDF Suez, le Groupe La Poste, Air France, LVMH.
Cette enquête menée il y a un peu plus d’un an, révélait que 80 % des femmes interrogées considèrent que dans le monde du travail, les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou comportements sexistes.

Cette problématique du sexisme, contre laquelle la lutte s’est renforcée depuis quelques années, est ainsi aujourd’hui encore d’actualité ce qui explique la remise ce jour d’un rapport traitant de cette unique question.
Le rapport rédigé par CSEP établit une classification des différents types de sexisme.

En effet, le sexisme a aujourd’hui plusieurs visages qu’il convient de souligner.
Dans un premier temps, on peut rencontrer une forme de « sexisme hostile » consistant en la considération simple que les femmes, du fait même de leur qualité, sont inférieures aux hommes dans certains domaines. Dans un second temps vient le « sexisme subtil » qui repose sur l’humour et enfin le « sexisme ambivalent » se traduisant par un fort sentiment de paternalisme.
Il est évident qu’en soulignant ces trois formes de sexisme, la volonté du CSEP était de lutter au mieux en dénonçant l’ensemble des hypothèses.

Face à un tel constat, le CSEP émet 35 recommandations parmi lesquelles ressort clairement la volonté de mettre en lumière le sexisme et les entreprises qui respectent les dispositions légales et tentent d’instaurer un climat de sérénité en leur sein. Une sorte de tableau d’honneur pour les bons élèves.

Ainsi, il convient de souligner qu’il est notamment recommandé de faire apparaitre la lutte contre le sexisme dans le règlement intérieur des entreprises ou encore élargir le label égalité s’appliquant aux entreprises et administrations soit étendu à la lutte contre le sexisme. De même, il serait préconisé de mettre en place des formations permettant de lutter au mieux contre le sexisme.

A la lecture de ces propositions on peut être légèrement déçu dans la mesure où il n’est pas évident de cerner les améliorations concrètes qu’elles pourraient engendrer. En effet, il semblerait que ces propositions s’attaquent uniquement à la question de la réputation.

Un tel constat choque puisqu’il semblerait que les pratiques sexistes ne pourraient qu’être enrayées par la peur des entreprises ou administrations de se voir pointer du doigt en raison d’une politique interne plus ou moins connue.

Cependant, il est aussi intéressant de saluer que ces propositions, ayant pour objectif de « faire reculer la loi du silence » comme l’indiquait Marisol Touraine, s’attaquent au cœur du débat et ont vocation à appuyer sur les faiblesses des entreprises.
La volonté est de rendre visible en espérant qu’une dénonciation sur la place publique échaudera. Ainsi, cette démarche est primordiale car il est difficile, si ce n’est impossible, de lutter contre le mal que l’on ne saurait voir.

Cependant, sur cette question du sexisme, on est face à un vide législatif. En effet, l’arsenal à la disposition des salariées est aujourd’hui inadapté à la réalité du monde de l’entreprise, ou de l’administration et la protection n’en est dès lors pas optimale.
La carrière professionnelle des femmes se voit déjà octroyer une protection par le biais de l’article L1142-1 du Code du travail qui énonce le principe de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes que ce soit au stade de l’embauche mais également lors de la totalité de leur carrière professionnelle.

Également, le Code du travail traite aux termes des articles L1152-1 et L1153-1 des problématiques de harcèlement moral ou sexuel. Il en va de même du Code pénal, mais le silence quant au sexisme est de plus impressionnant.
Les propos et comportements sexistes sont ainsi uniquement, et pour le moment, que des éléments caractéristiques, des indices, permettant de qualifier l’existence d’un harcèlement moral ou sexuel. (Cass. soc. 24 septembre 2014, n°12-29.979 ; Cour d’appel DOUAI, 29 mars 2013, n°13/01187)

Alors même que l’on promeut aujourd’hui l’égalité professionnelle et prohibe la discrimination, 90% des femmes salariées interrogées dans le cadre de l’enquête, continuent de considérer qu’il est plus facile pour un homme de faire carrière.
Par conséquent, il est évident que les comportements sexistes pourraient mettre un frein à la carrière professionnelle de beaucoup de femmes.

Enfin, il convient de s’interroger sur la nature même de ces préconisations car elles sont clairement à destination des grandes entreprises, à l’instar des 9 grandes entreprises au sein desquels le CSEP avait mené une enquête.
Ainsi, au regard de cette enquête n’ayant visé qu’une partie de la population salariale, il est évident que la question des petites et moyennes entreprises est totalement éludée.

Or, le sexisme n’est pas l’apanage unique des grandes entreprises et lorsqu’une salariée en est victime dans une petite ou moyenne structure elle est d’autant plus démunie qu’il n’y a pas toujours d’instances représentative du personnel auxquelles elle peut s’exprimer.

Ainsi, l’isolement des femmes victimes de propos ou de comportements sexistes est évident et les préconisations aujourd’hui ne semblent pas adapter à cette réalité.
Rappelons que l’objectif affirmé est bien celui de lutter contre le sexisme quotidien et celui passe aussi par les petites et moyennes entreprises. Partant, il ne peut qu’être conseillé d’approfondir les réflexions engagées afin de parvenir une protection optimale de tous les salariés qu’ils soient hommes ou femmes, qu’ils soient salariés du secteur privé ou fonctionnaires, qu’ils fassent partie d’une grande entreprise ou d’une petite.

Dès lors, il est évident qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Me Alina PARAGYIOS Cabinet A-P, Avocats au Barreau de Paris http://www.cabinet-ap.fr Twitter : @cabinet_ap