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Pascale Clark est-elle Journaliste ou Productrice, salariée intermittente du spectacle ? Par Frédéric Chhum, avocat.
Parution : samedi 21 mars 2015
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Pascale Clark produit et présente, depuis la rentrée 2014, une émission intitulée A’live, diffusée chaque semaine, du lundi au jeudi de 21 heures à 23 heures, sur France Inter.
Son émission mêle débats, interviews et musique en direct.

Pourtant, le 9 mars 2015, la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels (CCIJP) refuse de renouveler sa carte de presse, qu’elle possédait depuis 30 ans.

Pour motiver ce refus, la CCIJP avance deux arguments :
-  L’émission A’live présentée par Pascale Clark ne présenterait pas le caractère d’une émission journalistique ;
-  Pascale Clark ne pourrait pas être journaliste professionnelle dès lors qu’elle est également Productrice de l’émission et qu’elle est employée en qualité de salariée, intermittente du spectacle.

Si la carte de presse n’est pas une condition pour prétendre à la qualité de journaliste professionnel, elle reste toutefois un moyen de preuve permettant de se prévaloir de cette qualité et de bénéficier des avantages réservés aux journalistes.

A défaut, le salarié peut toujours prouver, par tout autre moyen, qu’il remplit les conditions pour prétendre à la qualité de journaliste professionnel.

Le présent article est rédigé sur la base des faits issus de la presse française et non des pièces de la procédure concernant Pascale Clark devant la CCIJP.

1) Qu’est-ce qu’un journaliste professionnel ?

Aux termes de l’article L. 7111-3 du Code du travail, est journaliste professionnel « celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». [1]

Est journaliste celui qui apporte une collaboration intellectuelle et permanente à une publication périodique en vue de l’information des lecteurs. [2]

La qualité de journaliste implique la réunion de 4 conditions cumulatives :

-  L’exercice de la profession de journaliste ;
-  A titre principal ;
-  Dont le salarié tire l’essentiel de ses ressources ;
-  Au sein d’une ou plusieurs publications ou agences de presse.

L’exercice de la profession de journaliste doit constituer pour l’intéressé une occupation principale, régulière et rétribuée.

Par ailleurs, sont assimilés aux journalistes professionnels « les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l’exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n’apportent, à un titre quelconque, qu’une collaboration occasionnelle ». [3]

La qualité de journaliste permet notamment de bénéficier de la convention collective des Journalistes qui est très favorable : versement d’une prime d’ancienneté ainsi que d’une prime de 13ème mois et droit à une indemnité conventionnelle de licenciement équivalent à 1 mois de salaire par année d’ancienneté.

2) Journaliste professionnel, salarié intermittent du spectacle ou « journaliste intermittent » ?

Pour refuser la carte de presse de Pascale Clark, la CCIJP a mis en avant le fait qu’elle assurait, outre la présentation de l’émission, sa production et qu’elle bénéficiait à ce titre du régime de l’intermittence du spectacle.

Est-il possible de cumuler un emploi de journaliste professionnel et d’intermittent du spectacle ?

Nombreux sont les « journalistes intermittents », indument déclarés par leur employeur comme « collaborateurs spécialisés » ou « agents spécialisés d’émission » qui sont embauchés à la pige et bénéficient de l’assurance chômage des intermittents du spectacle. Les « journalistes intermittents » ne bénéficient pas, en principe, de la carte de presse puisqu’ils sont employés à tort comme collaborateurs spécialisés intermittents du spectacle.

A cet égard, la Cour d’appel de Paris a déjà eu l’occasion de requalifier une salariée embauchée par France 3 en qualité d’agent spécialisé d’émission en Journaliste professionnelle au sens de l’article L. 7111- 4 du Code du travail. [4]

Toutefois, l’article L. 7111-3 du Code du travail, exige que l’activité de journaliste constitue l’essentiel des ressources de l’intéressé. A défaut, la qualité de journaliste professionnel ne saurait lui être reconnue.

En cas de pluralité d’activités rétribuées, il doit être recherché si l’intéressé tire de la profession de journaliste une rémunération l’emportant sur ses autres revenus professionnels. [5]

En tout état de cause, la Cour d’appel de Versailles a déjà eu l’occasion de requalifier un intermittent du spectacle en journaliste. [6] Il s’agissait d’un Journaliste Reporteur d’Image d’une agence de presse qui était employé illicitement en qualité de Chef opérateur prise de vues, intermittent du spectacle.

3) Pascale Clark est-elle Journaliste ou Productrice intermittente du spectacle ?

Pascale Clark est déclarée par Radio France en qualité de Productrice, salariée intermittente du spectacle et non en qualité de journaliste.

Radio France peut-elle déclarer Pascale Clark comme Productrice plutôt que Journaliste ?

La déclaration sur les bulletins de paie de Pascale Clark doit correspondre à son activité réelle. Si elle exerce des tâches de Productrice, elle doit être déclarée en tant que Productrice. Inversement, si elle exerce des tâches de Journaliste, elle doit être déclarée comme telle.

Si l’emploi figurant sur ses bulletins de paie ne correspond pas à son activité effective, elle peut saisir le Conseil de prud’hommes pour les faire rectifier.

Lorsqu’elle interviewe un invité, elle peut être considérée comme une journaliste professionnelle dès lors que l’interview est liée à l’information. En revanche, elle peut également remplir des tâches de Productrice liées à la conception de son émission radiophonique et ces tâches ne relèvent pas de l’emploi de journaliste.

Si Pascale Clark réunit les conditions pour être qualifiée de journaliste professionnelle alors elle doit pouvoir bénéficier de l’ensemble des avantages attachés à cette qualité.

3.1) Première hypothèse - Pascale Clark tire l’essentiel de ses revenus de son emploi de journaliste : dans ce cas elle est Journaliste

Si l’activité réelle de Journaliste de Pascale Clark lui procure des revenus plus importants que ceux liés à son activité de présentation de l’émission, alors tout laisse à penser que celle-ci doit être reconnue comme journaliste professionnelle.

Au minimum, il faudrait que ses revenus de journaliste représentent plus de 50% de l’ensemble de ses revenus.

3.2) Deuxième hypothèse - Pascale Clark tire l’essentiel de ses revenus de son emploi de Productrice, salariée intermittente du spectacle : dans ce cas elle est intermittente du spectacle

A l’inverse, si les revenus engrangés par son activité de Productrice sont plus importants que ceux engrangés par son activité de journaliste alors Pascale Clark ne peut être considérée comme journaliste professionnelle au sens de l’article L. 7111-3 du Code du travail.

Le cas échéant, la décision de la CCIJP serait parfaitement justifiée.

***

Tout dépend donc de la proportion que représentent ses revenus de Productrice par rapport à ceux perçus pour la présentation de son émission.
Pascale Clark a toujours la possibilité d’exercer un recours pour tenter de faire annuler la décision de la CCIJP, devant la Commission supérieure d’abord puis devant les juridictions administratives. Elle peut également saisir le Conseil de prud’hommes pour réclamer la qualité de journaliste. Reste à savoir si elle les exercera.
Affaire à suivre…

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1article L. 7111-3 du Code du travail.

[2Cass. soc. 28 mai 1986, n°43-41.726 ; Cass. soc. 1er avril 1992, n°48-42.951.

[3article L. 7111-4 du Code du travail.

[4CA Paris, 29 janvier 2009, n°06/10206.

[5Cass. soc. 3 janv. 1957.

[6CA Versailles, 30 janvier 2014, n°12/00529.