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Le contentieux de l’examen d’admissibilité au centre régional de formation professionnelle des avocats. Par Julien Guillard, Avocat.
Parution : lundi 23 mars 2015
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L’accès à la profession d’avocat est subordonné à la réussite d’un examen professionnel organisé par les universités. La première phase, l’épreuve d’admissibilité est validée par une délibération d’un jury souverain qui se prononce sur la possibilité pour le candidat de se présenter aux épreuves d’admission. La validité de ces délibérations est soumise au respect de règles strictes et à une organisation sans faille, permettant d’assurer l’égalité entre chaque candidat.

En France, l’Ordre des avocats est ancien, chargé de tradition, de noms fameux qui résonnent dans l’Histoire de France et dont les messages sont encore aujourd’hui porteurs de sens.

Dans son « Dialogue des avocats du Parlement de Paris », Loisel écrivait à l’attention des jeunes avocats une exhortation célèbre : « Vous devez tous prendre courage de travailler, et estimer que de quelque pays ou nation que l’on soit, il y a de la place pour tous au barreau  ».

L’absence de numerus clausus pour cette profession est la conséquence directe de cette vision ; mais cette ouverture généreuse n’implique pas non plus d’accepter n’importe qui.

Les modalités d’accès à la profession ont évolué avec le temps.

À la fin du XXe siècle, on exigeait une maîtrise en droit, avant de passer le Certificat d’aptitude à la profession d’avocat, qui ouvrait sur une période de stage de deux ans, à la suite de laquelle l’avocat stagiaire pouvait exercer pleinement.

La réforme du 11 février 2004 a mis fin à cette période de stage.

Actuellement, les élèves avocats intègrent une « École d’avocats », anciennement Centre Régional de Formation Professionnelle des Avocats (CRFPA), pour une durée de 18 mois de formation, puis ils passent un examen leur permettant d’obtenir le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA).

La principale difficulté est d’intégrer le centre de formation, accessible principalement après avoir réussi l’examen d’entrée, qui se décompose en deux phases : une phase d’admissibilité écrite, puis une phase d’admission sous la forme d’épreuves orales.

Les épreuves d’admissibilité sont réparties sur trois jours, 13 heures d’examen, suivi de l’interminable attente des résultats. Dans le meilleur des cas, le candidat est admis aux oraux, dans les autres cas, il est ajourné.

Cette situation est vécue par des centaines d’étudiants chaque année. Certains renoncent, d’autres persévèrent autant que le sinistre couperet « Des trois tentatives » issu de l’article 52 de la loi du 27 novembre 1991 le leur permet.

La première fois, l’échec est la norme dit-on ; certains estiment que l’échec est imputable à la note de synthèse, que la faculté de droit ne prépare que trop tardivement, voire pas du tout.

Pour d’autres, l’échec est incompréhensible. La seule explication incombe à une carence de l’administration organisatrice.

Fantasme ? En général oui, mais pas toujours.

En effet, il revient aux universités d’organiser cet examen, dont les subtilités peuvent conduire à méconnaître une disposition, entachant la décision d’ajournement d’irrégularité.

L’examen d’entrée au CRFPA est régi par plusieurs textes, dont les principaux sont : la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les articles 51 et suivants du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat et enfin l’arrêté du 11 septembre 2003 fixant le programme et les modalités de l’examen d’accès au centre régional de formation professionnelle d’avocats.

Tout manquement aux prescriptions contenues dans ces dispositions ouvre un recours en annulation contre la délibération du jury ayant ajourné le candidat.

Mais avant d’envisager un éventuel recours, il est nécessaire de comprendre les règles qui entourent l’organisation de cet examen, après avoir réglé la question de la juridiction compétente pour en connaître.

I – Le Juge compétent concernant les litiges nés de l’examen d’entrée au CRFPA

La compétence matérielle des litiges relatifs à cet examen a connu une évolution qu’il convient de retracer.

A – La dévolution initiale de cette compétence au Juge Judiciaire

Dans le cadre d’un ajournement à l’examen d’entrée au CRFPA, la décision faisant grief est la délibération du jury ayant rendu la décision d’ajournement.

L’université étant un établissement public administratif, on pressent la compétence du Juge administratif. Toutefois, le raisonnement juridique consistant à retenir un critère organique est inapplicable en l’espèce puisque pour une fois, un texte réglait spécialement cette question.

Dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques disposait que :

« La formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend [...] :
Un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle ;
2° Une formation théorique et pratique d’une année dans un centre, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat ;
3° Un stage de deux années, sanctionné par un certificat de fin de stage.
 »

L’article 14 in fine de la même loi dispose :

« Les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente.  »

Par l’inclusion de l’examen dans la formation professionnelle, les recours formés contre les décisions d’ajournement à l’examen d’entrée du CRFPA étaient portés devant les juridictions judiciaires, qui se sont accommodées de ce contentieux.

Par exemple, dans un arrêt du 28 juillet 2004, la Cour d’appel de Montpellier a annulé la décision d’ajournement du jury de l’Université de Perpignan, pour rupture de l’anonymat des épreuves.

La plupart du temps, le juge administratif lui-même ne trouvait rien à redire devant une telle attribution de compétence [1].

Néanmoins, la solution n’était pas si évidente car d’une part, certaines juridictions administratives ont malgré tout retenu leur compétence dans le cadre de recours en annulation [2].

D’autre part, le juge administratif conservait la compétence des recours indemnitaires, visant à réparer les conséquences d’un ajournement irrégulier [3].

Par suite, le législateur a opéré une subtile modification, ayant pour conséquence de renverser la solution existante.

B – Le retour d’un contentieux naturellement dévolu au Juge des examens et concours

Ce transfert de compétence est opéré par la loi du 11 février 2004 modifiant l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 dans les termes suivants :

« Sous réserve de l’alinéa du dernier alinéa de l’article 11, des dispositions réglementaires prises pour l’application de la directive 89/48/CEE du Conseil de Communautés européennes du 21 décembre 1988 précitée et de celles concernant les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités, la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle et comprend une formation théorique et pratique d’une durée d’au moins dix-huit mois, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. »

Si la formation professionnelle des avocats comprenait un examen d’accès au CRFPA dans sa rédaction antérieure, la nouvelle disposition affirme que cette formation est subordonnée à la réussite de cet examen.

Différence subtile, certes, mais qui change tout.

Ne se trouvant plus inclus dans la formation, le contentieux de l’examen d’entrée au centre de formation échappe à l’attribution de compétence de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, pour retourner de façon classique dans le giron du juge administratif.

Malgré tout, on trouvait des juges judiciaires réfractaires, refusant ce changement et de continuer à retenir leur compétence [4], et à l’inverse, des Juges administratifs s’estimant incompétents [5].

C’est face à une telle insécurité que le juge judiciaire, saisi d’une telle demande, a renvoyé la question au Tribunal des conflits [6].

Dans un arrêt du 18 décembre 2006, le Tribunal des conflits [7] a annulé une procédure conduite devant la Cour d’appel de Paris et renvoyé les parties devant le Tribunal administratif de Paris, fixant ainsi la compétence du contentieux des examens d’entrée au CRFPA au Juge administratif.

Il faut toutefois noter que, par une décision du 14 novembre 2009, le Tribunal des conflits [8], saisi par un arrêt du 23 février 2009 de la Cour d’appel de Montpellier, a confirmé la compétence du Juge administratif pour connaître des actions en réparation du préjudice né d’une décision d’ajournement intervenue sous l’empire de la loi antérieure, alors que la Cour administrative d’appel avait décliné sa compétence par un arrêt du 25 octobre 2005.

Par conséquent, ce contentieux est de nouveau pleinement dévolu au juge administratif tant sur le plan des recours en annulation que des recours de plein contentieux.

Certain de la juridiction compétente, il appartient désormais au requérant de saisir le Tribunal administratif, soit d’un recours pour excès de pouvoir et/ou d’un plein contentieux. Ces recours exigent la démonstration d’une illégalité survenue dans l’organisation de l’examen.

II – Les obligations dévolues à l’établissement organisateur

Il sera volontairement laissé de côté toutes les conditions relatives aux candidats, puisque cette réflexion porte sur une partie des irrégularités dans l’organisation de l’examen. Dans l’organisation de cet examen, le rôle de l’Université est notamment de composer le jury d’examen et d’organiser les épreuves.

A – La compétence du jury d’examen

Si le jury est souverain pour prononcer l’ajournement d’un candidat, sa composition répond à des règles précises dont la violation entraîne l’incompétence de l’organe délibérant.

L’article 53 du décret du 27 novembre 1991 prévoit la composition du jury d’examen comme suit :

- Un collège universitaire :

o Au nombre de deux, ils peuvent être professeurs des universités, maîtres de conférences ou chargés d’enseignement juridique ; le président du jury, désigné par le Président de l’Université organisatrice et nécessairement un universitaire ; toutefois, la présence d’un professeur des Universités n’est pas obligatoire (CAA Lyon, 10 décembre 2009 - 07LY02431) ;

o Un professeur de langue désigné par le Président de l’Université ;

- Un collège de la magistrature : Un juge judiciaire désigné par le Premier Président et le Procureur général près la Cour d’appel du ressort de laquelle se trouve l’université ; un juge administratif désigné par le Président de la CAA du lieu d’organisation ;

- Trois avocats désignés par les bâtonniers des Ordres concernés ;

Des suppléants doivent être désignés dans les mêmes conditions. Il est en outre précisé que le jury peut s’adjoindre des examinateurs spécialisés avec voix consultatives.

Hormis les professeurs de langue, aucun membre ne peut siéger plus de cinq années consécutives.

La désignation des membres de jury doit faire l’objet d’un examen minutieux pour chaque collège.

Ainsi, concernant le collège de la magistrature, il conviendra de vérifier que les magistrats ne dépassent pas le nombre d’années durant lesquelles il leur est permis de siéger.

Par exemple, dans un arrêt du 10 mai 2011 la Cour administrative d’appel de Paris a connu une telle hypothèse, où l’un des magistrats composant le jury siégeait pour la sixième année consécutive, conduisant à l’annulation de la délibération attaquée [9].

Concernant le collège des avocats, les modalités de désignation doivent être régulières. Ainsi, les bâtonniers des barreaux du ressort de la Cour d’appel dans laquelle se trouve l’université organisatrice doivent être consultés.

Dans l’arrêt du 28 juillet 2004 précité, la Cour d’appel de Montpellier a prononcé l’annulation d’une décision pour ce motif.

En effet, l’université de Perpignan avait, pour organiser la composition du collège d’avocat, consulté les bâtonniers des barreaux près le Tribunal de Grande Instance de Perpignan, Carcassonne et Narbonne.

Or les barreaux de Béziers, Millau et Rodez n’avaient pas été consultés, mettant en cause la validité de la composition du jury et entraînant l’annulation de la délibération.

Outre la compétence de l’auteur de l’acte, l’organisation des épreuves doit permettre d’assurer l’égalité entre les candidats.

B – L’organisation des épreuves

L’arrêté du 11 septembre 2003 fixe le programme et les modalités de l’examen. Le non-respect des prescriptions de cet arrêté entraîne un possible recours en annulation contre la délibération du jury.

Il faut souligner que toute action doit être dirigée contre l’université organisatrice, seule dotée de la personnalité morale et non contre son IEJ [10].

Deux éléments doivent recevoir une attention particulière, tant leur violation entraîne une sanction immédiate ; il s’agit du respect de l’anonymat et de l’obligation pour l’université d’organiser une double correction des copies.

1 – L’anonymat des candidats

Le respect de ce principe vise à assurer que la composition de chaque candidat soit appréciée pour sa seule valeur, indépendamment de l’identité de son auteur.

En principe, dans le droit commun des examens, le Conseil d’État estime qu’« aucun principe général du droit n’impose l’anonymat des épreuves écrites lors d’un examen universitaire » [11].

Toutefois, s’agissant de l’examen du concours d’entrée au CRFPA, l’article 7 de l’arrêté du 11 septembre 2003 exige que les épreuves écrites soient organisées de manière à préserver l’anonymat des candidats.

Le non-respect de l’anonymat est de nature à fonder une requête en annulation contre la délibération du jury ayant prononcé l’ajournement [12], impliquant que le candidat soit autorisé à composer à nouveau de manière anonyme [13].

Une définition de l’anonymat est proposée dans la circulaire du 27 décembre 2011, retenant une vision assez restrictive de cette notion ; notamment par le fait que l’anonymat n’est pas remis en cause par les caractéristiques de la copie rendue à l’issue de l’épreuve écrite.

Cette analyse est favorable à l’Université puisqu’il revient ainsi au candidat de démontrer que sa composition pouvait être reliée avec son identité.

Néanmoins, dans un arrêt précité du 28 Juillet 2004, la Cour d’appel de Montpellier, alors compétente, a pu annuler une délibération pour rupture de l’anonymat des épreuves.

En l’espèce, la requérante était polynésienne ; selon une convention passée entre l’Université de Polynésie française et l’Université de Perpignan, les épreuves écrites devaient se dérouler dans les locaux polynésiens, et les épreuves orales à Perpignan.

Or la requérante fut la seule à composer sur du papier à l’en-tête de l’Université de Polynésie, permettant ainsi de remonter jusqu’à l’identité de la candidate, violant le principe de l’anonymat.

Les copies d’examens doivent de plus subir un double examen, avant de recevoir une note définitive.

2 – La double correction

L’alinéa 2 de l’article 7 de l’arrêté du 11 septembre 2003 dispose : « chaque composition, anonyme, est examinée par deux correcteurs et reçoit une note de 0 à 20. »

Seule une double correction permet de s’assurer de la justesse d’une note attribuée à un candidat, surtout dans cette matière où l’appréciation est largement subjective. L’intervention de deux correcteurs permet de mieux apprécier la valeur d’une composition.

L’université doit donc démontrer qu’elle a procédé à cette double correction, ou s’exposer à un éventuel recours en annulation.

Cette exigence a pu être validée dans un arrêt du 30 mars 1999, rendu par la Cour administrative d’appel de Marseille.

En l’espèce, après avoir obtenu la note de 0 sur 20 en droit civil, le requérant avait exigé d’avoir accès à sa copie.

Selon l’université, celle-ci aurait été perdue, puis elle finit par verser au débat une photocopie de la composition affublée de ladite note, avant d’affirmer avoir procédé à une délibération spéciale fixant le résultat de 0 / 20.

La Cour administrative d’appel de Marseille a fermement censuré ce raisonnement.

Elle estima que cette note de 0 sur 20 ne pouvait résulter que d’une erreur matérielle.

L’arrêt ajoute que si rien ne permet de démontrer que la photocopie de la composition avait été corrigée préalablement à l’affichage des résultats « il ne résulte pas des mentions portées sur la photocopie de la composition de l’épreuve de droit civil de M. Y... que cette composition ait fait l’objet d’une double correction ». [14]

Cet arrêt démontre l’attention toute particulière que porte le Juge administratif à cette obligation.

Ces éléments sont des exemples de manquements potentiels dans l’organisation des épreuves ; ils témoignent de la rigueur dont doit faire preuve l’administration dans l’organisation des épreuves.

Dans tous les cas, l’Université a le devoir de justifier de l’accomplissement de toutes les formalités que lui imposent les textes et le droit commun des examens.

Julien Guillard Avocat au Barreau de La Rochelle http://www.avocat-larochelle.com/

[1CE, 22 mars 2000 – 205091.

[2TA Toulouse, 19 décembre 1997.

[3CAA Marseille, 30 mars 1999 – Maurice n°96MA02505 ; CA Montpellier 23 février 2009 n°08/07576.

[4CA Besançon, 14 septembre 2005.

[5TA Paris, 14 février 2005.

[6CA Paris, 27 octobre 2005.

[7n°C3507.

[8n°C3720.

[9CAA Paris, 10 mai 2011 09PA00315.

[10Cass Civ 1ère, 1 mars 2005 – 03-20.129.

[11CE, 01 avril 1998 – Jolivet n°172973.

[12CA Montpellier, 28 juillet 2004.

[13Tribunal administratif Toulouse, 19 décembre 1997.

[14Cour administrative d’appel de Marseille, 2e chambre, du 30 mars 1999, 96MA02505.

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