Village de la Justice www.village-justice.com

Recel successoral : la mort des héritiers deshérités. Par Sabine Haddad, Avocate.
Parution : mardi 24 mars 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/recel-successoral-mort-des,19266.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le droit civil connaît des délits civils ; tels que ceux liés aux faits de recel de communauté ou de succession.
Comme en matière pénale, un délit est constitué d’un élément matériel et d’un élément intentionnel.
La particularité du recel successoral réside en ce qu’il est sanctionné par l’article 778 du Code civil dans le cadre de l’appréciation souveraine des tribunaux.

L’article 778 du code civil vise le recel de succession comme suit :

« Sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier. Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part. L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. ».

I- Les éléments constitutifs du recel successoral de l’ héritier, du légataire universel ou du donataire.

L’appréciation du recel successoral est une question de fait librement soumise à l’appréciation des juges du fond. C’est ce que nous rappelle l’arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2014 [1].

A) La question de l’élément matériel

1°) Qui est concerné ?

Toute personne qui prendra part directement dans la succession et interviendra en tant qu’héritier universel est concernée par le recel.
Il faut entendre par là les héritiers réservataires visés par la loi, mais aussi les légataires universels ou à titre universels.

Ceux qui ont reçu des libéralités non rapportables ou non réductibles en l’absence d’héritiers réservataires ne sont pas concernés [2].

De la même façon, le conjoint héritier qui opte pour l’usufruit, en présence d’autres héritiers réservataires n’est pas concerné [3].

A contrario, un légataire particulier, étranger à la masse ne sera pas concerné [4].

2°) Analyse de l’acte de dissimulation ou de soustraction.

La dissimulation peut viser tout type de donation.

L’article 843 du Code civil dispose que :

« Tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l’actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu’ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

Les legs faits à un héritier sont réputés faits hors part successorale, à moins que le testateur n’ait exprimé la volonté contraire, auquel cas le légataire ne peut réclamer son legs qu’en moins prenant. »

L’absence de rapport spontanément d’une donation "rapportable", ou d’une donation réductible par préciput de somme d’argent par exemple prélevées indûment est constitutif de recel.

.un don manuel d’une somme d’argent en vue d’une acquisition que fait un parent à un de ses enfants et qui doit être déclarée au moment de la succession.

une donation indirecte qui se réalise au moyen d’un acte juridique dans lequel l’intention d’avantager ou gratifier une personne n’est pas exprimée.
Pour l’essentiel il s’agit du paiement de !a dette d’autrui, ou de l’achat d’un bien pour un autre ou d’une vente moyennant un prix volontairement fixé en dessous de la valeur réelle du bien ou d’un prêt suivi d’une remise de dette.

une donation déguisée que l’héritier gratifié omet de révéler, alors qu’elle doit être considérée dans la liquidation de la succession et influera par essence sur les droits des héritiers.

Un retrait d’espèces ou des virements opérés à son profit, rentrant dans une succession ; [5]

Les juges du fond sont souverains pour apprécier si un héritier a disposé de sommes à l’insu des autres cohéritiers.

En l’espèce, la Cour avait considéré que cela avait été rendu possible par le biais de procurations dont l’héritier disposait sur les comptes.

Lorsque des retraits de sommes sont opérés par un membre de la famille ,muni d’une procuration bancaire une analyse détaillée du ou des compte(s) pourra permettre de démontrer les ou les prélèvements excessif(s) plus ou moins réguliers à des fins personnelles.

En effet, l’héritier recéleur tentera de plaider la plupart du temps à l’utilisation des sommes utilisées à des fins personnelles sur demande du défunt !

La Cour de cassation, dans un arrêt du 25 septembre 2013 [6], a déclaré que l’héritier est coupable de recel successoral en cas de disparition de sommes des comptes bancaires du défunt, s’il vivait avec le défunt, disposait de procuration sur ses comptes et après son décès a dissimulé les opérations en faisant disparaître tous documents administratifs et bancaires.

Elle avait déjà jugé que le titulaire d’une procuration doit justifier des dépenses pour le défunt [7].

Un mandat ne sera pas anodin puisque lors du règlement de la succession, cet héritier devra rendre compte à ses cohéritiers de l’utilisation des fonds.

. Un héritier « caché » ou le recel d’héritier [8].

Rappelons qu’en vertu de l’article 887-1 du code civil créé par la loi n°2006-728 du 23 juin 2006 en vigueur depuis le 1er janvier 2007.

"Le partage peut être également annulé si un des cohéritiers y a été omis.

L’héritier omis peut toutefois demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage.

Pour déterminer cette part, les biens et droits sur lesquels a porté le partage déjà réalisé sont réévalués de la même manière que s’il s’agissait d’un nouveau partage."

- Le détournement d’un bien, meuble, ou d’une dette dont l’héritier est redevable

- La non révélation lors d’un inventaire de l’existence de biens successoraux que l’on détient ;

- La confection d’un faux testament.

- Les versements manifestement exagérés à titre de primes de contrats d’assurance vie en cas de décès.

B) L’élément intentionnel : la fraude aux droits des autres héritiers

Il s’agit d’une volonté de tromper sciemment, de fausser en conscience des opérations de partage, de tronquer son égalité.

En un mot nous sommes en présence de la mauvaise foi, du mensonge nullement assimilable à la simple erreur.

Il faudra apporter la preuve de la volonté de tromper et de tronquer le partage comme l’a affirmé la plus Haute juridiction dans un arrêt du 12 décembre 2007 [9].

Qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser l’intention frauduleuse de M. Y…, de porter atteinte à l’égalité du partage, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision

C) L’absence de repentir de l’héritier.

Le repentir en matière de recel suppose une restitution spontanée et antérieure aux poursuites [10].
Celle-ci devra être libre et sincère.

Il ne suffira donc pas à un recéleur placé devant le fait accompli de se repentir.

D) La question de l’assurance vie non révélée

L’héritier bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui s’est abstenu volontairement d’en révéler l’existence peut-il être accusé de recel successoral ?

— La réponse de principe se trouve dans l’article L 132-13 du code des assurances

« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s’appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n’aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »

Or cette réponse négative, trouve exception dans tout silence qui consisterait à dissimuler des primes manifestement exagérées.

II La Sanction du recel et l’appréciation souveraine : Une sanction privée radicale à l’encontre du receleur : La mort des héritiers déshérites.

L’appréciation se fera au cas par cas.

Pour rappel les dispositions de l’article 778 du code civil sur la sanction applicable.

« Sans préjudice de dommages et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier.

L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

Cass. 1e Civ.,20 juin 2012 pourvoi N° 11-17.383

Les deux cohéritiers qui, par des manœuvres frauduleuses, divertissent une somme d’argent dépendant de la succession de leur père ont chacun connaissance du recel commis par l’autre, de sorte qu’ils doivent être l’un et l’autre privés de tout droit sur cette somme.

Ainsi un héritier ne peut être privé de sa part dans les biens ou droits successoraux qui ont été recelés ou divertis par un autre cohéritier.

Il appartient au Tribunal de Grande Instance du lieu d’ouverture de la succession de statuer sur ces situations, avec représentation obligatoire par un avocat.

La procédure est certes longue et coûteuse, mais nécessaire pour rentrer dans ses droits.
L’héritier fautif, fraudeur s’expose dans tous les cas à devoir indemniser la victime du recel par une condamnation à des dommages et intérêts, mais pas seulement. Il encourt aussi ce qui va suivre. :

A) La perte des droits sur le bien recelé

1°- La perte de la faculté de renoncer ou d’accepter la succession à concurrence de l’actif net.
Il s’agit de la perte de l’option successorale Le receleur ne pourra plus refuser ou accepter une succession à concurrence de l’actif net.

Ainsi, si la succession est déficitaire, il devra en assumer les charges.

2° La perte des droits sur la part des objets divertis ou recelés.

B) Le rapport à la masse successorale.

1°- En cas de recel de donation rapportable ou réductible, l’héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation, sur laquelle il aura perdu ses droits.

L’héritier est ainsi privé des biens qu’il a détournés, qui sont intégralement attribués aux autres héritiers [11].

Une cour d’appel a même pu ajouter une sanction fiscale à la sanction civile : en taxant l’héritier receleur des droits de succession sur la part de l’actif qu’il a perdue du fait de sa condamnation pour recel [12].

 S’agissant d’une somme d’argent recélée

Une somme recélée devra être soustraite de l’actif successoral pour être exclusivement partagée entre les autres héritiers [13].

Cette somme ne sera pas incluse dans l’actif à partager et partagée entre l’héritier ou les héritiers victime(s) du recel .

 La question de l’absence de rapport d’un acheté avec l’argent recélé

Dans un arrêt du 8 octobre 2014 [14], la Cour de cassation a jugé que les biens acquis au moyen de sommes provenant de donations de sommes d’argent dissimulées par l’un des cohéritiers et constitutives de recel successoral n’ont pas à être restitués dans le cadre du règlement de la succession.

Ainsi l’héritier victime d’un recel successoral pourra obtenir la restitution de la donation de la somme d’argent dissimulée en valeur, et non celle des biens que cette dernière a permis d’acquérir.

La question de la valorisation de la somme à la valeur du bien acheté a été tranchée.

Dans un arrêt du 30 septembre 2009 [15], la Cour de cassation a déclaré qu’ « ayant constaté que la donation consentie par la défunte à son fils avait porté sur une somme d’argent et non sur les actions que les deniers avaient permis d’acquérir, la cour d’appel en a exactement déduit que les les héritiers demandeurs ne pouvaient prétendre, au titre d’un recel successoral, à la restitution des actions et dividendes ; que le moyen n’est pas fondé ».

Pour la cour si le recel résulte de la dissimulation d’une donation de deniers employés à l’acquisition d’un bien, le receleur est redevable d’une somme représentant la valeur actuelle du bien,

2°- L’obligation de restituer tous les fruits et revenus perçus sur l’objet recelé.

Dans un arrêt du 31 octobre 2007 [16], la Cour de cassation a déclaré que c’est à bon droit que la cour d’appel a fait courir les intérêts au taux légal sur chacune des sommes recélées à compter de leur appropriation injustifiée.

L’article 778 du code civil dispose que « l’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession. »

C) Des poursuites pénales envisageables cumulatives

Il n’est pas exclu qu’une plainte pour faux, vol, escroquerie ou abus de confiance soit déposée.
Le recéleur encourra une peine d’amende et/ou de prison ainsi qu’une inscription de la condamnation à son casier judiciaire.

D) L’action paulienne des créanciers lésés

Cette action est destinée à rendre inopposable l’acte constitutif de recel.
Elle permettra à un créancier d’attaquer l’acte fait par son débiteur lorsque ce dernier aura agi en fraude de ses droits.

Une action rapide s’impose toujours lorsque le recel est constaté avec l’accompagnement d’un avocat spécialisé et sérieux.

Dans l’attente une demande d’apposition des scellés peut être portée devant le président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est ouverte la succession qui statuera par ordonnance sur requête, ou l’établissement d’un inventaire précis peuvent parfois éviter des surprises désagréables.

Sabine HADDAD Avocate à la Cour http://avocats.fr/space/sabine.haddad http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/modules/presentation.php

[1N° pourvoi : 13-17074.

[21ère Civ , 26 janvier 2011, pourvoi N°09-68.368.

[31ère Civ, 29 juin 2011, pourvoi N°10-13.807.

[41ère civ 28 janvier 2009, pourvoi N° 07-19573.

[51ère Civ 28 juin 1985 pourvoi N°04-13776.

[6N° pourvoi : 12-24079.

[71ere Civ, 7 novembre 2012, rejet, pourvoi N°10-24581.

[81e Civ, 14 juin 2005,pourvoi N°04-10755 ; 1ère Civ, 17 janvier 2006,pourvoi N° 04-17675.

[9pourvoi N° 06-19-653.

[101ère Civ, 14 juin 2005, pourvoi N°04-10-755 ; 1ère Civ, 17 janvier 2006, pourvoi N° 04-17-675.

[11article 778 du Code civil.

[12Cour d’appel de Paris du 27 juin 2008, n° 07-7708, 1e ch. sect. B.

[131 ere Civ, 6 juin 2012, N° de pourvoi 10-27668.

[14pourvoi N°13-10074.

[15pourvoi N°08-16601.

[16N°06-14-399.

Comentaires: