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Les nouvelles exigences des articles 56 et 58 du Code de procédure civile : fardeau ou opportunité ? Par Renaud Arlabosse, Avocat.
Parution : lundi 30 mars 2015
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Le 14 mars 2015 a été publié au Journal Officiel, un décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 qui, entre autres dispositions, prévoit que le recours aux modes amiables de résolution des différends est favorisé, en particulier en invitant les parties à indiquer, dans l’acte de saisine de la juridiction, les démarches de résolution amiable précédemment effectuées.

Cette réforme entrera en vigueur le 1er avril 2015.

Comment devons-nous comprendre l’introduction de ces nouvelles dispositions dans notre droit processuel et quelles peuvent être les conséquences prévisibles de cette nouvelle pratique imposée ?
Il semble, à la lecture du texte, que le législateur a eu la volonté d’affirmer un nouveau principe et que la méthode choisie, si elle n’est pas exempte de tout reproche, représente une formidable opportunité pour les avocats qui ont le plus grand intérêt à s’en saisir.

I. L’affirmation d’un principe

Quelles que soient les raisons que nous pouvons imaginer en faveur du développement des modes amiables de résolution des différends, au premier rang desquelles une volonté d’alléger la charge d’une Justice au bord de l’implosion en raison de son manque chronique de moyens, nous devons constater que ce texte s’inscrit dans la continuité d’un mouvement engagé il y a une vingtaine d’années pour compléter l’un des arsenaux juridiques les plus complets au monde en la matière, mais jusqu’à présent sous-exploité.

Au-delà d’une obligation nouvelle imposée aux plaideurs, c’est bien l’affirmation d’un principe que le législateur entend poser : le Tribunal n’est plus la voie naturelle de résolution d’un conflit ; il devient l’ultime recours, sauf en cas d’urgence ou lorsque l’ordre public est en jeu.
Nous sommes donc invités à nous engager dans une révolution culturelle, avec toutes les inquiétudes que cela peut susciter, inquiétudes qui pourraient être assez facilement apaisées en contemplation de ce qui se passe depuis toujours dans la plupart des pays anglo-saxons où 85% des litiges n’atteignent pas la barre des tribunaux mais sont pourtant traités sur d’autres modes qui donnent tout autant satisfaction.

II. La mise en œuvre du principe

A la lecture du texte, il apparaît que c’est bien la justification de la tentative de résolution amiable des différends qui devient obligatoire pour le demandeur à l’action et non pas le recours à un mode amiable de résolution des différends.

2.1. Que recouvre la notion de « tentative de résolution amiable des différends » ?

Il convient de noter en premier lieu que ni l’article 56, ni l’article 58 du Code de procédure civile ne précisent quels sont les moyens admissibles pour tenter de parvenir à une résolution amiable du litige.

Dès lors nous devons considérer que le recours à tous les Modes Amiables de Résolution des Différends connus sera admis au regard de cette nouvelle exigence procédurale.

Ce qui pose la question de savoir ce que nous entendons par Modes Amiables de Résolution des Différends.
En effet, il semble difficile de recourir à quelque chose que l’on conceptualise mal.
Il est donc indispensable de proposer quelques éléments de définition.

 Modes Amiables de Résolution des Différends (MARD) :

Cette appellation générique elle-même ne fait pas l’unanimité !
En effet, en France, c’est traditionnellement l’expression Modes Alternatifs de Règlements des Conflits ou MARC, qui a jusqu’à présent prévalu, mais le terme « alternatif » est discutable puisqu’il se place en opposition à un autre système, non identifié dans la définition (généralement le système judiciaire) et ne renseigne aucunement en lui-même sur la méthode, contrairement à « amiable ».

Quant au terme « conflit », il positionne déjà la dégradation de la relation entre les personnes concernées à un niveau élevé alors que celui de « différend » a l’ambition d’intervenir plus en amont, indiquant en cela que les chances de succès du processus seront d’autant plus grandes que celui-ci aura commencé à un moment où la relation n’aura pas été définitivement abîmée.

Cette expression « Modes Amiables de Résolution des Différends » (MARD), est issue d’une réflexion européenne qui semble le mieux définir le courant de pensée qui propose de traiter les oppositions d’intérêts sur un mode pacifié.
Les québécois, quant à eux, parlent désormais de « Modes Appropriés de Résolution des Différends ».
Ceci exposé, il convient de s’interroger sur ce que recouvre la notion de Mode Amiable de Résolution des Différends.

Les modes amiables de résolution des différends ou MARD se rapportent aux processus et aux techniques de résolution de conflits en dehors des procédures juridiques sous autorité étatique ou non.
Il en existe plusieurs dont la négociation, l’approche collaborative, la procédure participative, la conciliation et la médiation .

 La négociation

La négociation se définit généralement comme l’action d’engager des discussions ou pourparlers entre personnes en vue d’aboutir à un accord sur les problèmes posés.
Envisagée du point de vue des modes amiables de résolution des différends, c’est le concept de négociation raisonnée issu des travaux du « Program on Negotiation » de l’Université de HARVARD qui est plébiscité, dans la mesure où il favorise la recherche d’accords mutuellement satisfaisants en opposition à des accords contraints .

 L’approche collaborative

L’approche collaborative est « une pratique du droit utilisant la négociation sur la base d’intérêts où les avocats sont engagés pour aider les parties à conclure une entente mutuellement acceptable. Les avocats et les parties signent un contrat stipulant leur consentement à ne pas aller devant les Tribunaux. Les parties et les avocats travaillent en équipe » .

Le processus collaboratif repose sur les principes suivants :
• Un travail en équipe entre tous les protagonistes
• La recherche de bonne foi de solutions satisfaisantes pour toutes les parties hors cadre judiciaire
• Une confidentialité renforcée
• L’engagement par les avocats de se déporter en cas d’échec du processus

En tant que tel, le droit collaboratif n’existe pas en droit positif français (ni dans d’autres droits nationaux à notre connaissance) mais la méthode peut parfaitement être utilisée dans un cadre strictement conventionnel, sous réserve que les praticiens y soient correctement formés.

 La procédure participative

La procédure participative est une convention formulée par écrit, conclue pour une durée déterminée par toute personne assistée de son avocat par laquelle les parties à un différend qui n’a pas encore donné lieu à la saisine d’un juge ou d’un arbitre s’engagent à œuvrer conjointement et de bonne foi à la résolution amiable de leur litige .

Elle a été introduite en droit positif français par la Loi n°2010-1609 du 22 décembre 2010 qui a créé un titre XVII dans le Livre III du Code civil, dénommé "De la convention de procédure participative", articles 2062 et suivants.
D’aucun s’accorde pour considérer que la procédure participative a été une manière d’introduire le droit collaboratif dans le corpus législatif français.

L’avis mérite d’être nuancé.

Si le but de la procédure participative est incontestablement le même que celui de l’approche collaborative à l’échelle des parties, c’est-à-dire œuvrer de bonne foi à la résolution amiable du litige, en revanche, à l’échelle du système, la méthode est beaucoup plus contraignante et encadrée, et finit par aboutir à une mise en état contractualisée du procès en cas d’échec du processus.

Autre différence notable avec le processus collaboratif, les avocats engagés dans le cadre d’une procédure participative ne sont pas contraints de se déporter en cas d’échec des discussions.

 La Conciliation :

La conciliation consiste dans le recours à un tiers, ayant généralement le statut de conciliateur de justice, dans le cadre d’une procédure judiciaire ou en dehors d’une procédure judiciaire, le rôle du conciliateur étant d’écouter les parties et de leur faire une proposition de règlement du différend.

Le conciliateur n’a aucun pouvoir de contrainte. Il aide à trouver une solution de compromis respectant les intérêts de chacun. Il doit normalement arriver à un résultat ; sa mission est d’obtenir et d’attester le règlement à l’amiable des conflits qui lui sont soumis.

La médiation :

-  « La médiation est un processus coopératif, structuré et volontaire, qui, avec l’aide d’un tiers neutre, impartial, indépendant et sans pouvoir décisionnel ou consultatif, appelé médiateur, favorise, par des entretiens confidentiels, l’établissement ou le rétablissement de la relation, la prévention ou le règlement par les parties elles-mêmes, d’un différend ».

Ces différentes définitions permettent déjà d’entrevoir la richesse des solutions proposées susceptibles d’être adaptées à chaque situation particulière, toutes pouvant être utilisées par les avocats, et deux d’entre elles (l’approche collaborative et la procédure participative) leur étant exclusivement réservées au titre d’un monopole !
Le recours naturel, lorsque naît le différend, reste d’aller consulter un avocat et désormais, cet avocat devra proposer à son client, au titre de son obligation de conseil, une solution amiable adaptée et lui rappeler que cette tentative est obligatoire.
Pour cela, il doit les connaître et en comprendre les enjeux, ce qui nécessite un minimum de formation.

2.2. La preuve de la « tentative de résolution amiable des différends » ?

Au-delà du choix de la solution la plus adaptée, se pose la question de la preuve de la tentative de résolution amiable du différend.

A cet égard, il paraît indispensable de proposer la tentative amiable par écrit à la partie adverse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par lettre officielle si un confrère est déjà chargé de ses intérêts.
Il est facile d’imaginer d’insérer un paragraphe complémentaire au sein de nos traditionnelles mises en demeure, aux termes duquel une voie négociée serait proposée.
A défaut de réponse positive, l’obligation procédurale devra être considérée comme remplie.

Parallélisme des formes oblige, le requis devrait me semble-t-il répondre officiellement ou par lettre RAR afin de justifier qu’il ne s’est pas abstenu ou n’a pas refusé s’il souhaite s’engager dans cette voie.
Ce préalable ne semble pas poser de difficulté.

En revanche, nous pouvons nous interroger sur la manière de démontrer l’existence de pourparlers préalables à la saisine de la juridiction en cas d’échec des discussions.
La question ne se pose en réalité que dans le cadre de la « négociation raisonnée » car celle-ci ne répond à aucun formalisme et ne ménage donc pas la preuve de l’existence des discussions.

C’est pourquoi il est recommandé pour mener des négociations, et il semble que cela soit un des objectifs inavoué du Décret, d’utiliser au maximum la procédure participative qui contractualise les négociations, tout en préservant la confidentialité des échanges si la convention de procédure participative est correctement rédigée.
Quant au recours à un tiers, conciliateur ou médiateur, celui-ci a le devoir d’attester de sa saisine et éventuellement de l’échec de la tentative sans fournir d’autres informations ; la preuve est donc aisée à administrer.

La mise en œuvre du principe ne semble donc pas poser de réel problème et se pose alors la question de la sanction en cas d’abstention non-justifiée par les exceptions prévues par le texte.

III. La sanction du principe

Bien que le Décret modifie les articles 56 et 58 du Code de Procédure Civile, qui réglementent la forme des actes introductifs d’instance à peine de nullité ; il semble clair que l’absence de tentative de règlement amiable n’est pas sanctionnée par une nullité de l’acte introductif, ni même par une irrecevabilité de l’action.

En effet, le texte spécial qui prévoit cette sanction précise :
• « Art. 127. - S’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation. »

Le défaut de diligences ouvre donc la possibilité au juge saisi de proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation et non pas de l’imposer.
A cet égard, rien de nouveau dans la mesure où le magistrat disposait déjà du même pouvoir, dans tous types de contentieux et à tous les stades de la procédure .
On ne peut que se féliciter de l’option choisie car c’était évidemment la seule envisageable dans la mesure tous les Modes Amiables de Résolution des Différends sont fondés sur la liberté des parties et l’autonomie de leur volonté.

Pour l’exprimer plus simplement, aucun processus amiable de résolution de conflit ne peut fonctionner sans une adhésion libre et consentie des participants, et toute tentative de l’imposer est nécessairement vouée à l’échec.
L’exemple italien est emblématique à cet égard, le législateur transalpin ayant été contraint de modifier la Loi imposant un préalable de médiation obligatoire avant saisine des juridictions, devant l’échec du système mis en place.
Par conséquent, nous devons objectivement considérer que l’obligation nouvellement imposée ressemble plus à une invitation qu’à une véritable obligation.
Cependant, il est probable que ces nouvelles dispositions inciteront les magistrats, plus qu’auparavant, à prescrire des mesures de conciliation ou de médiation.
Notons qu’à ce stade, seules deux options restent possibles, faisant nécessairement intervenir un tiers, la conciliation et la médiation, les parties n’étant pas parvenues à un accord avant tout procès.

Devons-nous le craindre ou nous en réjouir ?

IV. Les conséquences du principe dans la pratique

Une série de questions ou d’objections viennent immédiatement à l’esprit lorsque l’on s’interroge sur les conséquences pratiques de la nouvelle obligation imposée aux candidats au procès.

 On peut tout d’abord s’interroger sur la question de savoir si ce préalable ne permettra pas, à ceux qui y trouveraient un intérêt, d’entraver l’accès à la Justice en en imposant des démarches qui prennent du temps et dont nous n’avons pas la certitude qu’elles aboutiront.

A cela on peut répondre deux choses :
o Si le requis refuse l’invitation qui lui est faite officiellement, l’obligation légale aura été remplie sans faire perdre de temps au demandeur qui, généralement, adresse une mise en demeure avant d’assigner

o Si le requis accepte l’invitation (dans cette hypothèse, de mauvaise foi et avec l’intention de gagner du temps), la contractualisation de la négociation, dans la cadre d’une convention collaborative ou plus certainement d’une convention de procédure participative, prévoira le délai de durée des pourparlers . En matière de médiation judiciaire, le processus est limité à un délai de 3 mois renouvelable une fois par décision du Juge qui l’a ordonnée. Et qu’elle soit d’origine judiciaire ou d’origine conventionnelle, chaque partie peut mettre fin au processus de médiation à tout moment sans avoir à justifier de sa décision

La crainte de perdre un temps précieux me paraît donc infondée, cela d’autant plus qu’en cas d’urgence démontrée, ce préalable conciliatoire n’est pas exigé.

 La question financière doit également être posée, d’aucun pouvant craindre que ce préalable amiable entraîne une inflation des coûts pour faire valoir ses droits.
Cette question rejoint celle plus générale de savoir si les modes amiables de résolution des différends sont, au final, plus ou moins onéreux qu’une procédure judiciaire classique.
La réponse mérite un approfondissement qu’il n’est pas possible de développer ici.

Mais à ce stade, nous pouvons constater que si le différend est traité, par exemple, dans le cadre d’une procédure participative, les parties n’auront pas à assumer d’autres coûts que ceux de leurs conseils, qu’ils auraient dû régler en tout état de cause dans le cadre d’une procédure judiciaire.

A la nuance près, que le temps consacré à une procédure participative est généralement plus long que celui consacré à la préparation d’une procédure, ce qui pourrait entraîner une augmentation des frais de défense si l’avocat facture sur une base horaire.

Cependant, le temps consacré à la procédure participative se confondra en tout ou partie avec le temps traditionnellement consacré à la préparation du dossier et à la mise en état ; et cette valeur ajoutée permettra, en cas d’absence d’accord total ou partiel, d’obtenir un accès facilité et rapide à la juridiction, avec un dossier mis en état par les parties dans de bonnes conditions.

Nous pouvons donc considérer que si la méthode de travail est indéniablement différente, elle n’emporte pas de surcoût significatif pour le justiciable dans le cadre d’une procédure participative.
La question est différente dans le cadre d’une médiation, d’origine judiciaire ou conventionnelle.

En effet, les parties doivent rémunérer le médiateur, celui-ci intervenant généralement avec un statut libéral.
Ses honoraires sont libres et doivent être impérativement fixés conventionnellement ; les parties décident de la manière dont ils doivent être réparties entre-elles.
Si ces coûts sont réels, ils doivent être mis en perspective avec ceux induits par le temps et l’incertitude imposés par une procédure judiciaire.

Et il ne faut surtout pas oublier d’une part, que la médiation n’est jamais obligatoire et que par conséquent son coût peut être évité par la simple volonté de l’une des parties, et d’autre part, qu’une médiation bien menée permet d’aboutir à un accord satisfaisant pour toutes les parties dans environ 80% des cas, ce qui est très significatif.
Dans ces conditions, l’objection tirée de la possible augmentation des coûts de défense ne me paraît pas pertinente.

Je voudrais terminer en exprimant une conviction.
Cette obligation qui peut être vécue comme une nouvelle obligation imposée sans concertation, et qui génère nécessairement son lot de questions anxiogènes qui accompagne tous changements, peut et doit être vécue comme une véritable opportunité pour la profession d’avocat.
Un nouveau « marché » s’ouvre, et avec lui la perspective d’œuvrer pour une défense de meilleure qualité, dans le respect renforcé des valeurs de notre serment.
Il nous appartient collectivement de relever ce défi et de nous en montrer digne !

Renaud ARLABOSSE
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