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Perfidie économique : concussion, exonérations et franchises illégales, prises illégales d’intérêts. Par Khaled Touati.
Parution : mercredi 8 avril 2015
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Avant d’entrer dans les détails de ces infractions, le législateur algérien a introduit ces actes incriminés dans le cadre de la lutte contre la corruption, en abrogeant l’article 121 du Code pénal, ce qui nous conduit à dire que le législateur a introduit des attitudes matérielles définies par les articles 30, 31 et 35 de la loi 01-2006 relative à la lutte contre la corruption et ce, concernant les exonérations et les franchises illégales des impôts et taxes publiques ou la délivrance gratuite des produits des établissements de l’Etat.

I. De la concussion

L’infraction vise à protéger avant tout l’impératif de probité, d’honnêteté des agents publics, principalement pour ceux qui ont à recouvrir et/ou gérer les fonds publics, à savoir, les recettes des impôts, les caisses de sécurité sociale, les officiers publics exerçant des activités libérales.

1- Elément légal :

Article 30 de la loi 06-01 du 20 février 2006 stipulant : Est coupable de concussion et puni d’un emprisonnement de deux (2) à dix (10) ans et d’une amende de 200.000 DA à 1.000.000 DA, tout agent public qui sollicite, reçoit, exige ou ordonne de percevoir, ce qu’il sait ne pas être dû, ou excéder ce qui est dû, soit à lui-même, soit à l’administration, soit aux parties pour lesquelles il perçoit.

2- Élément supposé :

a) la qualité de l’auteur : il faut que l’agent public, comme il est indiqué au chapitre les dispositions générales de la loi sur la corruption, soit habilité à exercer son pouvoir de recouvrement de frais, droits ou impôts et autres. Ce sont les personnes qui disposent de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. On ne peut pas définir une liste bien précise de ces personnes, mais pour la jurisprudence il s’agit de toute personne détentrice d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les personnes et sur les choses, ce pouvoir doit être confié par la puissance publique, à titre d’exemple : Les magistrats, les officiers et agents de police judiciaire, les receveurs des impôts et les fonctionnaires des administrations financières, fonctionnaires des collectivités locales (APC et APW), fonctionnaires hospitaliers, ou percepteurs des cotisations relatives à la sécurité sociale.

Il est à noter, que les officiers ministériels sont mis en cause, dans le cadre de l’exercice de leur fonction, puisque ils ont la qualité d’officier public, à savoir, les notaires (article 40 de la loi 06-02 du 20 février 2006 portant organisation de la profession de notaire qui prévoit que : Le notaire perçoit, pour le compte du Trésor public, les droits et taxes de toute nature à l’acquittement desquels sont tenues les parties à l’occasion de la rédaction des contrats. Il verse directement aux recettes des impôts les sommes dont sont redevables ses clients au titre du paiement de l’impôt ; de ce fait, il est soumis au contrôle des services compétents de l’Etat, conformément à la législation en vigueur. Il est tenu de procéder, en outre, à l’ouverture d’un compte de consignation auprès du Trésor public et d’y verser les sommes qu’il détient).

Il en va de même pour les huissiers de justice qui pourront notamment, être poursuivis pour concussion. Les articles 34 au 38 de la loi 06-03 du 20 février 2006 portant organisation de la profession d’huissier de justice stipulent que :
- Art. 34. L’huissier de justice tient une comptabilité destinée à constater les recettes et dépenses et une comptabilité propre à ses clients. Les modalités d’application du présent article sont déterminées par voie réglementaire.
- Art. 35. L’huissier de justice perçoit, pour le compte du Trésor public, les droits et taxes de toute nature à l’acquittement desquels sont tenues les parties. Il verse directement aux recettes des contributions les sommes dont sont redevables les parties au titre du paiement de l’impôt ; de ce fait, il est soumis au contrôle des services compétents de l’Etat conformément à la législation en vigueur. Il est tenu, en outre, de procéder à l’ouverture d’un compte de consignation auprès du Trésor public, et d’y verser les sommes qu’il détient.
- Art. 36. Il est interdit à l’huissier de justice : d’employer, même temporairement, les sommes ou valeurs dont il est constitué détenteur, à un titre quelconque, à un usage auquel elles ne sont pas destinées et notamment de les placer en son nom personnel, de retenir, même en cas d’opposition, les sommes qui doivent être versées par lui aux recettes des contributions et au Trésor public, de faire signer les exploits en laissant le nom du créancier en blanc.
- Art. 37. L’huissier de justice perçoit ses honoraires directement de ses clients selon une tarification officielle, en contrepartie d’un reçu détaillé. Les modalités d’application du présent article sont déterminées par voie réglementaire.
- Art. 38. L’huissier de justice est tenu de souscrire une assurance en garantie de sa responsabilité civile.

b) Le comportement de l’auteur : La concussion entre dans le cadre des infractions de commission, l’auteur doit agir d’une manière positive, donc l’action de l’auteur se réalise en deux types d’action :

-  Le fait de recevoir, exiger ou ordonner de recouvrir, à titre de droit, contributions, cotisations obligatoires ou taxes publics, une somme indue ou qui excède ce qui est du, à titre d’exemple : l’organisme de sécurité sociale qui reçoit la cessation d’une activité d’un commerçant via une attestation de radiation de son registre de commerce, après avoir honoré toutes ses créances (cotisations principales et les pénalités et majorations de retard, s’il y a lieu) alors, malgré cela, l’organisme ordonne par un recouvrement forcé, par le biais d’une opposition sur compte bancaire, de retenir indûment ses avoirs qu’il détient auprès de sa banque, il soit ainsi que la perception d’une cotisation ou impôt supérieur à la cotisation ou l’impôt minimal, est reconnu comme acte de concussion.
-  Le fait d’accorder, sous une forme quelconque, une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts, taxes publics ou majorations de retard et ce, en violation des textes légaux ou réglementaires, par exemple : le dégrèvement total ou partiel des majorations de retard, accordé par les services des impôts ou les organismes de sécurité sociale, sans l’approbation préalable de leurs commissions de recours reconnues habiles à trancher dans les litiges qui leurs sont adressés.

Le législateur ne tient pas compte du comportement de l’auteur, peu importe que l’agent public ait abusé de son pouvoir ou non pour recouvrir la somme indue, c’est le caractère illégal qui est mis en cause et non le moyen utilisé.

3- Élément matériel :

Pour que l’acte incriminé fasse l’objet d’une concussion, il faut que le montant perçu par l’agent public le soit de façon indue, l’indu est déterminé par la loi et la réglementation régissant l’organisme percepteur, par ailleurs le montant indu, le soit au titre d’un impôt, contribution ou cotisation effectué par l’agent public :

-  La perception illégale, la somme objet de la concussion doit être non due ou excèder le du, et faire en sorte que cette somme est due légalement à l’organisme percepteur ; sinon, elle représente un acte de corruption par un agent public.
-  Le législateur n’exige pas que cette somme indue soit retenue au profit de l’agent lui-même, elle peut être perçue au profit de la trésorerie publique, par exemple, ou autre organisme financier (ex : le greffier en chef qui recouvre plus que le montant du à la trésorerie du tribunal, l’huissier de justice qui exige au débiteur de payer au créancier un montant supérieur à son du).

Comment obtenir les sommes indues :

-  Par réclamation : l’agent public exerce une activité physique pour obtenir les capitaux, donc il doit agir positivement.
-  Par réception : il reçoit immédiatement des fonds après réclamation ou non, dans le cadre d’une exécution automatique, par erreur, dans les comptes revenant au contribuable.

4- L’intention criminelle :

De ce qui précède, il résulte que la concussion est une infraction intentionnelle qui suppose que l’auteur ait eu conscience du caractère indu de la somme qu’il a exigé de percevoir, ou dont il a exagéré la perception.

5- Peines légales :

Généralement, la concussion prend la qualification d’un délit et non d’un crime, en effet c’est le tribunal correctionnel qui statue en la matière.

En vertu de l’article 31 de la loi précitée, l’auteur (l’agent public) commettant la concussion, quelle que soit sa qualité, est puni d’un emprisonnement de cinq (5) à dix (10) ans et d’une amende de 500.000,00 DA à 1.000.000,00 DA.

Par ailleurs, l’auteur encourt des peines complémentaires, prévues par le code pénal qui se détermine comme suit :
- L’interdiction des droits civils, civiques et de famille.
- L’interdiction d’exercer une fonction publique ou d’exercer une activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
- La confiscation des sommes et objets irrégulièrement reçus par l’auteur de l’infraction.

6- Prescription concernant l’action publique :

Le délit de la concussion court à compter du moment où l’auteur exige, perçoit ou ordonne de percevoir les sommes indues ou accorde indûment la franchise ou l’exonération et ce, dans un délai de trois (03) ans conformément aux dispositions prévues par le Code Pénal Algérien.

Dans le cas de plusieurs auteurs, la prescription, le délai court, pour chacun d’eux, à compter de leur intervention personnelle.

II. De la prise illégale d’intérêts

1- Elément légal :

Article 35 de la loi 01-2006 stipule : Est puni d’un emprisonnement de deux (2) à dix (10) ans et d’une amende de 200.000 DA à 1.000.000 DA, tout agent public qui, soit directement, soit par interposition de personnes ou par acte simulé, aura pris, reçu ou conservé quelque intérêt que ce soit dans les actes, adjudications, soumissions, entreprises dont il avait, au temps de l’acte en tout ou partie, l’administration ou la surveillance ou, qui, ayant mission d’ordonnancer le paiement ou de faire la liquidation d’une affaire, y aura pris un intérêt quelconque.

2- Elément supposé :

-  L’auteur doit être une personne détentrice d’un pouvoir public.
-  Il assure la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement de cette opération ou l’entreprise au moment de l’acte.
-  Il reçoit un intérêt dans cette opération.

3- Elément matériel :

Prise ou réception des intérêts par lui-même ou par l’intermédiaire d’une tiers personne, pourvu qu’il ait reçu ou conservé les intérêts au moment où il disposait de la faculté de tout ou partie de la surveillance, de l’administration de la liquidation ou le paiement de l’entreprise ou dans l’opération.

a) Qualité de l’auteur : La loi 01-2006 n’a pas précisé la qualité de l’auteur, mais il résulte selon la teneur de l’article 35, tout agent public ; On entend par ce dernier, une personne qui détient une autorité publique, c’est dire, un fonctionnaire, que ce soit une fonction publique de l’Etat, tel que des fonctionnaires des collectivités locales, fonctionnaires publics hospitaliers, les officiers publics, tels que les notaires, les huissiers de justice ou les commissaires priseurs ainsi, il entre dans cette catégorie, les membres du parlement ou sénateurs élus par mandat.

b) Surveillance, administration, liquidation de l’entreprise ou de l’opération : La surveillance se réalise dans le cadre d’une participation dans une structure qui fait partie d’une collectivité locale, qui possède la faculté de délibération, ainsi il faut savoir que la surveillance consiste sur la préparation, la proposition ou la présentation de rapports ou procès verbaux relatifs à la prise de décisions par des tierces personnes, ce qui nous conduit que l’auteur pourrait être la personne qui détient indépendamment le pouvoir de décision, ou bien, titulaire de quelques prérogatives ou privilèges qui lui permettra d’élaborer des décisions collectives , ou juste la tache de préparer les décisions rendues par sa hiérarchie.

c) La prise d’intérêts : La prise d’intérêt se constate illégalement lorsqu’il s agit de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, et l’acte incriminé est caractérisé par la prise d’un intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, il se traduit par la volonté d’abuser la fonction d’une façon indépendante en vue d’obtenir un profit personnel.

4- Complicité de prise illégale d’intérêts :

Dans le même contexte, l’article 35 de la loi 01-2006, prévoit que l’interposition est considéré comme l’acte direct, c’est-à-dire un tiers, s’il ne possède pas la qualité d’un agent public qui est exigée par la loi, peut être considéré comme un complice du moment qu’il a facilité, à l’auteur principal, la réalisation de l’infraction suite à son interposition, il est puni par la même peine.

5- Peines légales :

Au même titre que la concussion, la prise illégale d’intérêts prend la qualification d’un délit et non d’un crime, selon l’article 35 de la loi 01-2006, cette infraction est punie de deux (2) à dix (10) ans d’emprisonnement et d’une amende de 200.000,00 DA à 1.000.000,00 DA, tenant compte de toutes les peines complémentaires qui en découlent.

TOUATI Khaled, Juriste