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Le Juge de l’application des peines, un métier fondamentalement humain.
Parution : jeudi 9 avril 2015
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Qui se cache sous la robe du Magistrat ? Les Magistrats sont régulièrement cités au quotidien, mais connaissons-nous réellement cette profession pour laquelle il existe une diversité de postes et de personnes ? S’adressant à l’ensemble de la communauté des professionnels du Droit, le Village de la justice vous propose de découvrir cette profession au travers d’une série d’entretiens avec des personnes passionnées et passionnantes.
Rencontre avec Eric, Juge de l’application des peines dans le Sud de la France.

"C’est l’aspect humain de la profession qui m’a attiré et qui m’attire encore."

Pourquoi avez vous choisi la fonction de Magistrat ?

"C’est l’aspect humain de la profession qui m’a attiré et qui m’attire encore. Quand j’ai commencé mes études de Droit, je ne pensais pas à embrasser la Magistrature ; en fait, je souhaitais devenir journaliste. Cependant, plutôt que de simplement décrire la société française dans des articles ou reportages, j’ai eu le désire d’être actif. Je voulais agir de façon concrète auprès de mes concitoyens notamment auprès des enfants. Je souhaite créer un lien entre la Justice, chaque citoyen et la société.
J’ai débuté ma carrière de Magistrat en 1996 par la fonction de Juge des enfants. Puis j’ai été nommé en Nouvelle Calédonie en tant que Juge de l’application des peines.
Actuellement, je suis Juge de l’application des peines dans le Sud de la France."

"Le rôle du JAP est de donner du sens à une décision."

Pouvez-vous nous décrire brièvement la fonction et le quotidien du Juge de l’application des peines ?

"Lorsqu’au terme du procès, une personne est condamnée à une peine privative (prison) ou restrictive (liberté conditionnelle, sursis, etc.) de liberté, le Juge de l’application des peines (JAP) est chargé de contrôler et de déterminer dans quelles conditions le condamné exécute sa peine. Le JAP évalue, au cas par cas, quelle sera la meilleure façon pour que la peine soit appliquée de façon juste et utile. Le rôle du JAP est de donner du sens à une décision. Il faut toujours utiliser le Droit de façon appropriée. Lorsque la personne condamnée n’est pas encore incarcérée, le Juge la reçoit dans son bureau, si la personne est déjà incarcérée, le Juge se déplace sur son lieu de détention.

Le JAP a aussi un rôle de suivi des condamnés dans l’exécution de leur peine. En effet, le JAP prépare aussi la sortie des condamnés et décide si un condamné peut sortir de façon anticipée afin d’éviter la récidive, liée aux sorties sans projet ni lieu d’accueil, notamment pour les longues peines, pour lesquelles une période de semi-liberté probatoire peut s’avérer être un sas de réadaptation à la vie à l’extérieur. A la demande du Procureur ou du condamné, le JAP peut-être amené à reconsidérer la peine prononcée et/ou son mode de mise en application. Dans ce cas, le JAP va réfléchir et évaluer si le condamné peut sortir de façon anticipée et sous quelle forme (semi-liberté, sortie sous surveillance électronique...). Le JAP réfléchit aux meilleurs moyens à mettre en œuvre pour faire sortir de façon anticipée le condamné sans que cela ne représente un danger ni pour lui, ni pour la société.
Dans tous les cas, toute décision de remise de peine totale ou partielle est prise au cas par cas, après consultation d’experts et de l’administration pénitentiaire.
Pour le Tribunal dont je dépends, nous sommes deux JAP et nous suivons chacun environ 1000 condamnés qui font l’objet d’un aménagement de peine."

"Nous sommes trop peu nombreux. Cela génère une dégradation des conditions de travail."

Rencontrez-vous des difficultés dans l’exercice de vos fonctions ?

"Nous sommes trop peu nombreux. De ce fait, le délai entre la commission de l’infraction et la sanction de cette dernière est trop long. Ce qui donne un sentiment d’impunité à certains contrevenants. Pour être totalement efficace, la sanction doit avoir un lien temporel suffisant avec l’infraction. De plus, une peine trop longue casse la personne condamnée. Il vaudrait mieux des peines plus courtes mais plus proches du moment de la commission de l’infraction. Mais pour cela il faudrait plus de juges. Actuellement, il y a environs 500 postes vacants dans la Magistrature et cela génère une dégradation des conditions de travail surtout depuis 2-3 ans. Ceci s’explique par de nombreux départs à la retraite et peu de recrutements, mais cela pourrait évoluer, restons confiants..."

"Pour moi, le Juge de l’application des peines doit être un passeur."

Quel aspect de votre métier vous plaît le plus ?

"Comme je le disais précédemment, j’ai choisi de devenir Juge pour l’aspect humain de la fonction. C’est donc cette possibilité d’agir et de créer des liens sociaux qui me plaît. Pour moi, le Juge de l’application des peines doit être un passeur. Il fait en sorte de faire passer les condamnés du bon côté du pont, du côté de la réinsertion et de l’espoir..."

On dit souvent que le métier de Juge est un métier solitaire, partagez-vous ce sentiment ?

"Contrairement à d’autres Magistrats, le JAP ne travaille pas en équipe au sein du tribunal. Il travaille et statue seul dans le cadre de son cabinet. En même temps, dans le cadre de ses fonctions de suivi des personnes condamnées, il est constamment en contact avec bon nombre de partenaires comme les experts psychiatres, l’Administration pénitentiaire dont les conseillers d’insertion et de probation."

"Il serait utile de mieux segmenter les lieux d’emprisonnement en fonction des profils[...]"

Pensez-vous que les prisons ouvertes puissent-être des solutions ?

"La prison ouverte, tel le Centre de détention de Casabianda (Haute-Corse), peut être une solution en fonction du type d’infraction et du profil du condamné.
Il serait utile de mieux segmenter les lieux d’emprisonnement en fonction des profils et de créer ainsi différentes sortes de structures dans toutes les régions de France afin d’éviter le mélange de détenus qui peut se révéler désastreux pour certains d’entre-eux ."

"[...]le Juge (doit) faire comprendre aux condamnés, qu’ils ne doivent pas tout attendre de la société, la société devant pour sa part leur signifier qu’il y aura toujours de la place pour eux, s’ils en acceptent les règles."

Quel regard portez-vous de part votre fonction sur la société française ?

"Les juges sont un des réceptacles des souffrances du corps social, mais en 20 ans de métier, je ne pense pas que la société française ait fondamentalement changée ou se soit notablement dégradée. Par contre il existe de réels problèmes d’insertion des sortants de prison, notamment du fait d’un manque de moyens donnés à la Justice.
John Fitzgerald Kennedy disait "Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez vous ce que vous pouvez faire pour votre pays". Il me semble qu’il est important pour le Juge de faire comprendre aux condamnés, qu’ils ne doivent pas tout attendre de la société, la société devant pour sa part leur signifier qu’il y aura toujours de la place pour eux, s’ils en acceptent les règles."

"La France a cette chance de considérer les prisonniers comme des citoyens à part entière et ne doit pas l’oublier."

Comment la Justice française perçoit-elle les personnes condamnées ?

"Le modèle français est fondé sur le lien social et la nécessité de le conserver. De ce fait, toute personne faisant l’objet d’une condamnation fait toujours partie de la société. Je vois la prison plus comme une sanction, au sens où elle sanctionne un comportement, qu’une simple punition. Je souhaite que la prison aide les personnes condamnées à tirer les conséquences de leurs actes . Une des finalités de la Justice française quand elle condamne, doit être la réinsertion de la personne, car cette dernière fait toujours partie de la société, même si elle doit en être éloignée tant qu’elle présente un danger. J’ai cet exemple : lorsque j’étais en Nouvelle Calédonie, avec l’accord du Procureur, suite à un cyclone, les prisonniers ont aidé au nettoyage de la ville de Nouméa, sous le contrôle du personnel municipal. Cela a, je l’espère, contribué à changer le regard qu’ils peuvent porter, et qui peut être porté, sur eux... Diaboliser les prisonniers, c’est prendre le risque de les désespérer et les rendre ainsi d’autant plus dangereux. J’aime ce mot de Dostoïevski qui dit que "Si l’humilité peut mener au paradis, l’humiliation mène assurément à l’enfer". Cela ne rend service à personne et cela a un coût humain, social et financier.
La France a cette chance de considérer les prisonniers comme des citoyens à part entière et ne doit pas l’oublier."

Propos recueillis par Marie Rédaction du Village de la justice.
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