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Modes amiables : point de vue de l’avocat. Par Frédéric Jablonski, Avocat et Ludovic Leplat, Médiateur.
Parution : jeudi 16 avril 2015
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Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends. Entre l’avocat et le médiateur professionnel, une passerelle supplémentaire vient d’être promulguée.

Depuis le 1er avril, il n’est plus possible d’introduire une instance que ce soit par requête, déclaration ou assignation sans justifier dans l’acte d’une tentative de résolution amiable.

L’alternative qui s’offre aux justiciables et aux avocats est donc de justifier d’avoir, préalablement à l’introduction d’une instance judiciaire, soit :

- accompli des diligences en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ;
- d’avoir un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public (nouvel article 56 et 58 du Code de procédure civile) pour pouvoir s’en dispenser.

Soyons clairs et directs, ce que les uns appellent une évolution (voire révolution), et d’autres une atteinte à l’exercice professionnel du droit, n’est finalement pas une nouveauté !

N’en déplaise à ceux qui osent prétendre le contraire, l’avocat n’est pas l’incorrigible ni l’invariable "va-t-en-guerre" qui cherchera à amener coûte que coûte le justiciable confronté à un litige dans la salle d’audience.

De même, n’en déplaise à ceux qui osent prétendre le contraire, le médiateur n’est pas l’incorrigible et l’invariable "baba cool" qui cherchera à amener celui qui a recours à ses services à rejeter, envers et contre tout, le recours à l’assignation.

Nous voilà donc débarrassés de nos clichés, ce qui nous permet de reposer les bases de ce qui est une formulation naturelle de la manière dont nous devrions, avocats et médiateurs, travailler ensemble.

Car c’est de cela dont il s’agit, et nullement de réduire le champ de compétence de l’un au profit de l’autre quel que soit le "camp" dans lequel nous pouvons nous trouver.

Il ne s’agit pas non plus d’une fin de monopole du règlement juridique des conflits puisqu’il n’existe pas de monopole en la matière, comme il n’existe pas de monopole à l’intelligence dans le règlement d’un litige.

Ce qui peut être source de regret, et en cela avocats et médiateurs ont d’ores et déjà un point commun, c’est la soudaineté et le manque de préparation à l’arrivée de ce décret qui nécessite (comme dans la plupart des textes qui sont promulgués) de précisions en fonction des matières auxquelles il est censé s’appliquer.

1°) Rappel de certaines règles s’imposant aux avocats et aux médiateurs :

Pour rappel, en ce qui concerne l’avocat, ce dernier s’est engagé au respect de règles pour l’exercice de sa profession, et il prête d’ailleurs serment de le faire.

Extraits du Règlement Intérieur National de la profession d’avocat :

"Article 1er : les principes essentiels de la profession d’avocat (L. 31 déc. 1971, art. 1-I alinéa 3, art. 3 alinéa 2, art. 15 alinéa 2 ; D. 12 juill. 2005, art. 1, 2 et 3 ; D. 27 nov. 1991 art. 183)

…/…

1.3 Respect et interprétation des règles
Les principes essentiels de la profession guident le comportement de l’avocat en toutes circonstances.
L’avocat exerce ses fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité, dans le respect des termes de son serment.
Il respecte en outre, dans cet exercice, les principes d’honneur, de loyauté, de désintéressement, de confraternité, de délicatesse, de modération et de courtoisie.
Il fait preuve, à l’égard de ses clients, de compétence, de dévouement, de diligence et de prudence.

…/…

Article 6 : le champ d’activité professionnelle de l’avocat (L. 31 déc. 1971, art. 6, 6 bis, 54 à 56 ; D. 12 juill. 2005, art. 8 ; NCPC, art. 411 à 417)

6.1 Définition du champ d’activité
Auxiliaire de justice et acteur essentiel de la pratique universelle du droit, l’avocat a vocation à intervenir à titre professionnel dans tous les domaines de la vie civile, économique et sociale, et ce dans le respect des principes essentiels régissant la profession.

Il peut collaborer avec d’autres professionnels à l’occasion de l’exécution de missions nécessitant la réunion de compétences diversifiées et ce, aussi bien dans le cadre d’interventions limitées dans le temps et précisément définies que par une participation à une structure ou organisation à caractère interprofessionnel. "

Le Règlement Intérieur National de la profession d’avocat est bien plus ancien que le décret n 2015-282 du 11 mars 2015, pourtant il n’exclut pas le recours à toute solution alternative pour trouver une issue à un litige, si cela est dans l’intérêt de son client.

Les extraits reproduits ci-dessus en sont l’illustration, si l’intérêt du client est de trouver un accord amiable alors cette solution doit être privilégiée, en ce compris dans le cadre d’une collaboration avec d’autres professionnels.

Il existe également un Code de déontologie des Avocats de l’Union Européenne qui précise que :

"3.7.1. L’avocat devra en tout temps essayer de trouver une solution au litige de son client appropriée au coût de l’affaire et devra aux moments opportuns lui prodiguer ses conseils quant à l’opportunité de rechercher un accord ou de faire appel à des solutions alternatives pour terminer le litige."

En ce qui concerne le médiateur, ce dernier s’est également engagé au respect de règles pour l’exercice de sa profession, et il prête d’ailleurs serment de le faire.

Extrait du Code d’éthique et de déontologie des médiateurs :

"4.2.7. Le médiateur professionnel lorsqu’il agit est seulement médiateur professionnel. S’il peut apporter son concours en termes de contributions créatives (propositions, soumissions d’idées, apport de solution(s) possibles…), il ne doit ni ne peut, quand bien même il serait par son statut professionnel en mesure de, voire supposé, le faire, donner de conseil, et, ce faisant, se substituer à un spécialiste de toute profession.

…/…

4.3. Médiation professionnelle
4.3.1. La médiation professionnelle est une discipline de la qualité relationnelle et d’aide à la décision. Elle est un processus d’accompagnement non-autoritaire visant la responsabilisation et l’autonomie des personnes, qu’il s’agisse ou non d’une situation de nature conflictuelle, dans le cadre ou en dehors d’une action judiciaire.

…/…

5.1.2. Il utilise son savoir-faire en matière relationnelle dans le cadre strict de l’accompagnement, permettant à des personnes de prendre des décisions dans leur intérêt propre et sous leur libre consentement."

2°) Il est temps pour nos professions de collaborer plutôt que de s’affronter :

Avocats et médiateurs ont aujourd’hui une chance de mettre en place un espace de travail collaboratif non pas concurrent mais bel et bien mutuel et interactif, au plus grand profit de leurs clients respectifs et par ailleurs communs !

Qui s’offusque aujourd’hui, dans le cadre de montages immobiliers complexes de la présence autour de la table, et autour du maître d’ouvrage (le client), de notaires, d’avocats, de conseillers fiscaux et/ou patrimoniaux qui ont pour mission commune de définir ensemble le meilleur montage pour leur client ?

Le débat, s’il devait y en avoir un, devrait porter sur le fait erroné que le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits, telle que la médiation, n’est pas une simplification de la résolution des conflits. C’est une erreur qui a pour seul objectif de faire croire au justiciable que l’on réforme la Justice.

Le débat s’il devait y en avoir un, devrait porter sur le principe d’indépendance de nos professions respectives, et des conflits d’intérêts qui risquent d’apparaître entre la médiation préalable (donc librement mise en place par les parties et leurs conseils), et la médiation judiciaire qui serait imposée aux parties si le Juge estime que la phase préalable aurait dû aboutir…De ce point de vue il est à prévoir une jurisprudence abondante qui fixera les règles.

Le débat, s’il devait y en avoir un, devrait porter sur la responsabilité partagée qu’avocat et médiateur auraient en cas de sinistre dans le cadre d’un dossier.

Enfin, le débat, s’il devait y en avoir un, devrait porter sur les conditions d’accès à la profession de médiateur, comme cela existe pour la profession d’avocat. Le danger serait de voir apparaître de grands gourous de la médiation comme sont apparus pléthores de ce que nous appelons braconniers du droit avec l’avènement d’internet.

Il est de notre responsabilité commune de rappeler constamment aux pouvoirs publics que simplification ne veut pas dire baisse de qualité de la prestation à délivrer au justiciable.

Ce faisant, et partant du principe que celui qui réussit c’est celui qui sait s’adapter, il nous est offert aujourd’hui de construire un nouvel espace d’échange afin de permettre au justiciable de se libérer d’un litige qui par définition est pesant.

Finalement n’est-ce pas la raison d’être de nos métiers ?

Frédéric Jablonski, Avocat et Ludovic Leplat, Médiateur
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