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Protection des emprunteurs en crédit à la consommation : des transgressions de plus en plus variées, lourdement sanctionnées par l’effacement des intérêts. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : mardi 21 avril 2015
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Le Code de la consommation est aussi le refuge du crédit à la consommation. Dans son rôle actif de protection des emprunteurs, il fulmine une sanction atomique : la déchéance du prêteur à exercer son droit aux intérêts du crédit (article L. 311-8 du Code de la consommation).

Obligations négligées, intérêts annulés.

Un tour d’horizon de la Jurisprudence récente montre à quel point les hypothèses de transgressions des obligations du prêteur ou de l’intermédiaire en opérations de banque sont, désormais, variées. Le coût de la non-conformité juridique est alors, immédiat.

Des sanctions radicales : la perte, totale ou partielle, du droit du prêteur de réclamer les intérêts du crédit.

Le Code de la consommation édicte une série désormais particulièrement complète d’obligations, à la charge du prêteur ou à la charge de l’emprunteur. Celles-ci figurent de l’article L. 311-4 de Code à l’article L. 311-47. Elles vont de la publicité aux explications à donner à l’emprunteur, en passant par son information pré-contractuelle et par l’analyse de sa solvabilité.

L’inobservation ou la trangression de ces obligations est lourdement sanctionnée.

Ainsi, « le prêteur qui accorde un crédit sans communiquer à l’emprunteur les informations précontractuelles dans les conditions fixées par les articles L. 311-6 ou L. 311-43, sans remettre et faire signer ou valider par voie électronique la fiche mentionnée à l’article L. 311-10, ou sans remettre à l’emprunteur un contrat satisfaisant aux conditions fixées par les articles L. 311-11, L. 311-12, L. 311-16, L. 311-18, L. 311-19, L. 311-29, le dernier alinéa de l’article L. 311-17 et les articles L. 311-43 et L. 311-46, est déchu du droit aux intérêts » [1].

L’article vise ensuite les cas où la déchéance du droit aux intérêts est soit partielle, soit à l’appréciation du Juge.

En tel cas, la conséquence est immédiate : « l’emprunteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital suivant l’échéancier prévu, ainsi que, le cas échéant, au paiement des intérêts dont le prêteur n’a pas été déchu. Les sommes perçues au titre des intérêts, qui sont productives d’intérêts au taux de l’intérêt légal à compter du jour de leur versement, sont restituées par le prêteur ou imputées sur le capital restant dû » [2]. Des sanctions pénales sont prévues, pour certaines atteintes aux droit du consommateur, de la part des professionnels, qu’ils soient prêteurs ou distributeurs.

Mais au-delà des prescriptions décrites explicitement par le Code de la consommation, la jurisprudence peut rattacher à l’obligation générique d’information du professionnel (explication, mise en garde et conseil) des déclinaisons particulières.

La jurisprudence toute récente en offre quelques exemples.

Le prêteur ne peut imposer contractuellement la déchéance du terme à sa seule discrétion [3].

Le contrat de crédit à la consommation (automobile) contenait une clause selon laquelle le non-paiement d’une seule échéance, ainsi que toute déclaration fausse ou inexacte de l’un des emprunteurs, relative à son état civil, sa situation financière, dans le but de tromper le consentement du prêteur, pouvait (supposément) entraîner la déchéance du terme.
Le prêteur pouvait l’exercer et résilier le présent contrat, comme bon lui semblerait, huit jours au plus tard après la constatation de l’inexécution ou la constatation de la fausseté des renseignements communiqués initialement.

Pour la Cour d’appel, une telle clause aggrave la situation de l’emprunteur. Elle permet en effet au prêteur de prononcer la déchéance du terme pour un autre motif que la défaillance de remboursement. Ces motifs sont imprécis.
La Cour déchoit le dispensateur de crédit du droit aux intérêts pour avoir proposé une offre qui ne répond pas aux conditions de l’article L. 311-13 du Code de la consommation.

Leçon n°1 : le prêteur ne peut s’arroger contractuellement le droit de sanctionner, par une riposte disproportionnée, l’erreur ou la mauvaise foi de l’emprunteur.

La formation insuffisante, au crédit, des vendeurs de biens est contraire à la protection des emprunteurs [4].

Le prêteur ou l’intermédiaire de crédit (IOBSP, Courtier, Mandataire) fournissent nécessairement à l’emprunteur les explications lui permettant de déterminer si le contrat de crédit proposé est adapté à ses besoins et à sa situation financière [5]. Une fiche est établie à cet effet [6].

Pour ce faire, sur un lieu de vente (souvent, de biens meubles financés par les crédits proposés), les vendeurs chargés de la distribution des crédits « sont formées à la distribution du crédit à la consommation et à la prévention du surendettement. L’employeur de ces personnes tient à disposition, à des fins de contrôle, l’attestation de formation mentionnée à l’article L. 6353-1 du code du travail établie par un des prêteurs dont les crédits sont proposés sur le lieu de vente ou par un organisme de formation enregistré. Un décret définit les exigences minimales auxquelles doit répondre cette formation » [7].

Cette obligation de formation est en place depuis le 1er juillet 2012. Son contenu est proche du programme de formation suivi par les IOBSP (pour leur immatriculation à l’ORIAS), quant à sa partie « crédits à la consommation », « protection des emprunteurs » et « prévention du surendettement » [8].

Il incombe au prêteur d’apporter la preuve que les crédits sont distribués par des professionnels qualifiés, compétents, donc formés. L’employeur des vendeurs est responsable de la mise à jour de cette capacité professionnelle en crédits [9].

En l’absence d’une telle formation bancaire au bénéfice des vendeurs chargés de la protection des consommateurs-emprunteurs, le Tribunal d’instance déchoit la banque de son droit aux intérêts contractuels.

Rappelons que les mandataires, mais également les salariés, des courtiers-IOBSP doivent disposer d’une capacité professionnelle de Niveau 1. Et imaginons l’extension de cette solution, par voie de jurisprudence, aux salariés des banques. Ce sera le cas du droit positif du crédit immobilier, en mars 2016, avec la nouvelle Directive "Mortgage Credit Directive" (MCD) : "les États membres veillent à ce que les prêteurs, les intermédiaires de crédit et les représentants désignés exigent de leur personnel de posséder et de maintenir à jour un niveau de connaissances et de compétences approprié concernant l’élaboration, la proposition ou l’octroi des contrats de crédit, l’exercice des activités d’intermédiaire de crédit ou la fourniture des services de conseil" [10].

Leçon n°2 : l’information de l’emprunteur passe forcément par des vendeurs disposant d’une capacité professionnelle en crédits, donc, formés, qu’il s’agisse de purs distributeurs (IOBSP, Courtiers) ou de prêteurs pratiquant la distribution (banques).

En réduisant l’endettement de l’emprunteur, le prêteur a correctement rempli son obligation de conseil et d’information [11].

La Cour d’appel valide en l’espèce l’approche suivie par le prêteur.

L’organisme financier a accordé un prêt de regroupement de crédits, en vue, donc, du rachat de différents crédits à la consommation préalablement contractés. Ce « rachat » (la Cour néglige l’appellation juridiquement plus adéquate de « regroupement ») des prêts et l’octroi du nouveau crédit ont permis à l’emprunteuse d’obtenir une baisse de son taux d’endettement, avec la baisse prononcée de ses échéances mensuelles.

La Cour relève que le prêteur, débiteur « d’un devoir de conseil et de mise en garde » [12], lorsqu’il fait une offre de rachat de crédits au même titre que pour tout autre contrat de crédit, à condition qu’il existe un risque d’endettement, a ici correctement rempli ses obligations.

Leçon n°3 : la Cour n’hésite pas à qualifier les obligations du prêteur en regroupement de crédits [13] comme relevant de «  devoir de conseil  ».

Le prêteur doit conserver la preuve de la consultation du fichier des incidents de paiement [14].

Il appartient au prêteur, avant d’octroyer un crédit, de vérifier la solvabilité de l’emprunteur en consultant le fichier national des incidents de paiements [15]. Il lui revient de conserver la preuve de cette consultation, ce qui suppose que celle-ci soit réalisée au moyen d’un support durable, garantissant l’intégrité des données.

La banque produit à cet effet un document consignant une interrogation auprès de la Banque de France. Insuffisant. D’autant que le document est daté postérieurement à l’octroi du crédit.

L’établissement de crédit est déchu de son droit aux intérêts contractuels ; l’emprunteur ne doit que le solde du capital restant dû.

Leçon n°4 : la consultation obligatoire du FICP, comme l’analyse complète de la solvabilité de l’emprunteur, s’effectue avant la décision d’octroi ; elle est conservée sur un support durable.

La taille de la police du contrat de crédit ne doit pas être inférieure à trois millimètres [16].

Retour sur l’inusable débat quant à la taille de caractères que doit emprunter (…) le contrat de crédit.

Admirable cours de droit du crédit appliqué, norme AFNOR NF Q 60-010 à la rescousse, dispensé par cette Cour d’appel, toujours très fine en matière de questions bancaires.

Quelle doit être la taille des caractères du contrat de crédit ?

L’offre préalable [17] se présente présentée de manière « claire et lisible » ; elle est rédigée en caractères « dont la hauteur ne peut être inférieure au corps 8  ».

Il n’existe pas de définition légale du « corps 8 » et la Cour déplore cette référence, regrettant « une mesure millimétrée ouvrant ainsi une possibilité d’évolution ».

Le point de référence à multiplier par 8 reste le « point Didot  » (soit 0,375), d’où une police de caractères d’au moins trois millimètres (car : 0,375x8 = 3 mm). La taille de caractère des mentions du prêt litigieux ne saurait donc être inférieure à 3 mm, dimension, au cas d’espèce, non respectée.

La déchéance du droit aux intérêts au taux contractuel est encourue [18].

Leçon n°5 : les caractères du contrat mesurent, au moins, 3 mm de haut.

Le prêteur doit s’assurer que le prestataire de l’emprunteur a exécuté ses obligations, avant toute délivrance des fonds du crédit [19].

Terminons avec un détour par le ménage à trois : un emprunteur/acheteur de biens, un prestataire/fournisseur de biens et un prêteur.

L’emprunteur finance l’installation d’un appareil, fourni par un vendeur de biens. Il n’a jamais donné aucune instruction à l’établissement de crédit pour régler son fournisseur, d’autant moins qu’il était en litige avec ce dernier.

La banque a pourtant libéré les fonds du crédit à la consommation, entre les mains du prestataire ; elle en réclame le remboursement à l’emprunteur, au titre du contrat de crédit. La Cour d’appel retient que l’emprunteur ne démontre pas qu’il a payé son prestataire autrement que par les fonds mis à sa disposition par la banque, de sorte qu’il a, soit demandé à la banque de libérer les fonds, soit invité le prestataire à solliciter le paiement auprès de l’organisme de crédit.

La Cour d’appel aurait dû rechercher si le prêteur s’était assuré, avant de délivrer les fonds au vendeur, que ce prestataire avait bien exécuté ses obligations à l’égard de l’emprunteur [20].

Leçon n°6 : il incombe à la banque, avant de libérer les fonds du crédit et d’enclencher son remboursement par l’emprunteur, de contrôler que les conditions de paiement du bien financé, sont remplies.

En matière de droit des crédits à la consommation, incluant le domaine des crédits renouvelables, et celui, très actif, du regroupement de crédits, les enjeux de Conformité juridique restent particulièrement soutenus, pour les professionnels, établissements de crédits ou réseaux de distribution bancaire déployés par les Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) La mesure du niveau de Conformité est une nécessité ; il en va de même pour la formation bancaire permanente des professionnels chargés de la protection des emprunteurs, sans distinction : c’est bien à l’acte même de commercialisation du crédit que sont attachés les capacités professionnelles qui contribuent à cette protection.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires Intervenant à l'ISFI / Formations bancaires (www.isfi.fr) www.endroit-avocat.fr www.droit-distribution-bancaire.fr

[1article L. 311-48 alinéa 1er du Code de la consommation.

[2art. L. 311-48 alinéa 3.

[3Cour d’appel de Lyon, Ch. 6, 9 avril 2015, n° 13/07111.

[4Tribunal d’instance de Lille, 24 novembre 2014, n°2014-035413.

[5art. L. 311-8 du Code de la consommation.

[6celle de l’article L. 311-10 du même Code.

[7art. L. 311-10 alinéa 3 et D. 311-4-3, issu du Décret 2011-1871 du 13 décembre 2011.

[8art. D. 311-4-3 I.

[9D. 311-4-3 III.

[10Directive MCD, article 9.

[11Cour d’appel de Lyon, Ch. 1 B, 10 mars 2015, n°13/09299.

[12art. L. 313-15 et L. 311-8 du Code de la consommation.

[13art. L. 313-15 du Code de la consommation.

[14Cour d’appel de Paris, Pôle 4, Ch. 9, 8 janvier 2015, n°14/01037.

[15FICP, art. L. 311-9 du Code de la consommation.

[16Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Ch. 11 A, 10 février 2015, n°2015/91.

[17article L. 311-8 du Code de la consommation.

[18article L. 311-33 du Code de la consommation.

[19Cour de cassation, Civ. 1ère 13 novembre 2014, n°13-26.313.

[20L. 311-20 et L. 311-21 du Code de la consommation.

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