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Condamnation de la France : vers un droit au logement plus effectif ? Par Valérie Moulines-Denis, Avocat.
Parution : lundi 27 avril 2015
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Par une décision du 9 avril 2015 et pour la première fois, la CEDH vient de condamner l’Etat français pour non-respect de ses propres décisions en matière de droit au logement opposable (DALO).

Les motifs de cette décision rappellent que les objectifs fixés par le législateur lors de l’adoption de la loi instituant le DALO, il y a plus de huit ans, n’ont pas été atteints.

Cette importante décision de la CEDH confortera les plaideurs dans leur lutte pour assurer l’effectivité du droit au logement qui, lorsqu’ils justifient en être titulaires ne bénéficient pas concrètement malgré les recours juridictionnels offerts en droit interne.

I- Le droit au logement opposable.

Créée par la loi n°2007-290 du 5 mars 2007 pour assurer le droit au logement selon des critères définis, la mise en œuvre de la loi DALO s’avère depuis l’origine particulièrement délicate.

Conçu comme un outil pour rendre effectif un droit formel conférant à l’Etat une obligation de résultat et non de moyen, le droit au logement opposable n’a pas pour autant porté ses fruits.

Le nombre de bénéficiaires n’a ainsi cessé de croître, sans que le flux de ces nouveaux demandeurs de logement social dépourvus de proposition ne soit résorbé.

De fait, les critères d’attribution du DALO [1] sont relativement extensifs et doivent permettre à toute personne résidant sur le territoire français de manière stable et continue d’accéder à un logement décent, indépendant et adapté.

Le 20 janvier 2015, le 7ème rapport du Comité de suivi de la commission DALO a établi le bilan décevant de l’année 2014 [2].

Souhaitant « que le droit au logement opposable passe enfin du concept juridique à celui d’un droit effectif dans notre pays », a formulé ainsi 11 recommandations afin de traiter le risque d’expulsion locative le plus en amont possible [3].

C’est dire que la loi DALO pêche encore par ineffectivité, alors même que des recours spécifiques sont à disposition des bénéficiaires du DALO.

Toutefois, en pratique, ces recours sont parfois peu effectifs, mais l’exercice des différents recours améliore le sort du demandeur de logement social qui augmente ses chances de se voir proposer un logement.

C’est dans ce cadre qu’est intervenue la décision de la CEDH.

II- La décision de la CEDH.

L’affaire à l’origine est parfaitement représentative.

Madame H. vit avec sa fille et son frère dans un logement reconnu indécent et insalubre par la Commission de médiation. A ce titre, elle est déclarée prioritaire d’un logement au titre du DALO.

Elle est bénéficiaire d’un jugement de 2010, aux termes duquel le Tribunal administratif de Paris a enjoint le Préfet de la région Ile de France d’assurer son relogement, sous astreinte de 700 Euros par mois de retard à verser au fonds d’aménagement urbain de la région.

Le tribunal a procédé à la liquidation provisoire de l’astreinte qu’il a fixée, pour la période du 1er février 2011 au 31 janvier 2012, et a condamné l’Etat à verser la somme de 8.400 Euros au fonds d’aménagement urbain.

Malgré tout, la requérante n’a pas été relogée.

C’est dans ces circonstances que la Cour de Strasbourg a été saisie le 8 octobre 2012 pour inexécution d’un jugement octroyant un logement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par sa décision du 9 avril 2015, la Cour a considéré que la France a violé l’article 6-1 de la CEDH.

La Cour a observé que la requérante ne s’est pas vu proposer de logement adapté à ses besoins et capacités, malgré le dispositif du jugement du 28 décembre 2010, et que l’astreinte fixée par le jugement a effectivement été liquidée et versée par l’État.

Elle a relevé cependant que cette astreinte n’a aucune fonction compensatoire et qu’elle a été versée, non à la requérante, mais à un fonds d’aménagement urbain, soit à un fonds géré par les services de l’État.

Surtout, en l’absence de relogement, force était de constater que le jugement n’avait pas été exécuté, ainsi que l’indique la Cour par un considérant dénué d’ambiguïté :
« En conséquence, en l’absence de relogement, la Cour ne peut donc que constater que le jugement du 28 décembre 2010 n’a pas été exécuté dans son intégralité, plus de trois ans et demi après son prononcé, et ce, alors même que les juridictions internes avaient indiqué que la demande de la requérante devait être satisfaite avec une urgence particulière » (cf. considérant n°47).

La Cour, qui admet que le droit à la mise en œuvre sans délai d’une décision de justice définitive et obligatoire n’est pas absolu, précise ensuite qu’il ne doit pas être apporté de restrictions telles que le droit s’en trouve lui-même affecté :
« La Cour relève que la carence des autorités, qui s’explique, selon le Gouvernement, par la pénurie de logements disponibles, ne se fonde sur aucune justification valable au sens de sa jurisprudence. Elle rappelle, en effet, qu’aux termes de sa jurisprudence constante, une autorité de l’État ne peut prétexter du manque de fonds ou d’autres ressources pour ne pas honorer, par exemple, une dette fondée sur une décision de justice » (cf. considérant n°50).

Si la décision de la CEDH est incontestablement fondatrice au plan des principes, il convient également d’en relativiser les implications pratiques.

La saisine de la CEDH dans chaque dossier DALO, apparaît difficilement envisageable compte tenu du fait que la procédure est assez laborieuse devant la CEDH … et les délais contraints.

En revanche, de manière certaine, et a minima, il pourra être fait état de cette décision pour contrer l’argumentation du Préfet consistant à rejeter toute idée de faute de l’Etat, motif pris de la pénurie de logement social qui, pour attestée qu’elle soit, n’en constitue pas pour autant un cas de force majeure.

Il est ainsi permis d’estimer que cette décision de la CEDH constitue un pas de plus vers l’effectivité du droit au logement, vers un droit au logement réellement opposable.

Valérie Moulines Denis, Avocat www.vmd-avocat.com Avocat au Barreau de Paris

[1prévus à l’article L 441-2-3, II du Code de la construction et de l’habitation.

[3cf. « Droit au logement opposable : le DALO ne protège pas suffisamment de l’expulsion », V. Moulines-Denis, Blog du Village de la Justice, https://www.village-justice.com/articles/Droit-logement-opposable-DALO,18892.html.