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Le directeur juridique au service de la stratégie de l’entreprise. Interview de Béatrice Bihr, Directeur Juridique Exécutif de Teva laboratoires.
Parution : mardi 28 avril 2015
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Très impliquée dans la profession de juriste d’entreprise de par ses fonctions d’administratrice au sein du Cercle Montesquieu, Béatrice Bihr aime les challenges. D’abord avocate au barreau de Paris et de New York, elle n’a pas hésité à changer son fusil d’épaule pour devenir directrice juridique d’une entreprise de télécommunication puis d’un laboratoire pharmaceutique. Elle est aussi membre du Jury 2015 du Prix de l’innovation en management juridique organisé par le Village de la Justice. Retour avec elle sur ces différentes questions.

Pourquoi avoir accepté de faire partie du Jury du prix de l’innovation en management juridique 2015 ?

Peu de prix mettent les directeurs juridiques à l’honneur. C’est dommage. C’est une fonction qui a beaucoup évolué et qui gagnerait à être davantage reconnue. Il est par ailleurs intéressant de comprendre comment les directions juridiques sont organisées et de récompenser les plus innovantes. Je suis très curieuse de découvrir ce qu’elles imaginent pour améliorer leurs performances. Ce partage et cet échange avec les candidats sont extrêmement enrichissants : j’ai toujours été attirée par l’innovation et la créativité. C’est pour ces raisons que j’ai accepté de m’associer à ce projet.

Dans le cadre de vos fonctions d’administratrice du Cercle Montesquieu, vous avez créé la commission DJ au féminin, que pouvez-vous nous en dire ?

J’ai créé la commission DJ au féminin il y a deux ans avec deux autres directrices juridiques. Cette commission est dédiée aux problématiques du management au féminin des directions juridiques. Elle rassemble une soixantaine de membres qui se réunissent toutes les six semaines. Nous sommes alignées avec les objectifs du Cercle Montesquieu :
-  le partage d’expériences : nous mettons en commun nos expériences sur des thématiques telles que le leadership, le coaching ou les négociations internationales ;
-  la convivialité : c’est un moment privilégié pour se rencontrer et échanger ;
-  la prise de position dans le débat public sur des sujets qui nous tiennent à cœur comme celui de la parité.

Cette année, nous allons à nouveau publier le classement des 100 plus importants cabinets d’affaires au regard de leurs pratiques concernant la parité de leurs effectifs (et comparer le nombre d’avocates collaboratrices et associées).

Par ailleurs, nous avons lancé en octobre 2014 un programme de mentoring. Une trentaine de directrices juridiques ont accepté de consacrer du temps pour mentorer des étudiantes issues de Paris I, Paris II, HEAD, HEC et Sciences Po. Cela se traduit concrètement par des rencontres régulières entre marraines et étudiantes, la mise en relation entre ces dernières et les entreprises dont sont issues les directrices juridiques impliquées ou encore par le suivi de modules de formation organisés par EY cabinets d’avocats, le sponsor de cette promotion.

Ce programme se clôturera en juin à Sciences Po. Nous établirons ensemble un premier bilan de ce programme inédit.

Les directions juridiques se féminisent, est-ce que cela a des conséquences sur le travail de la direction juridique ? Des équipes mixtes sont-elles préférables ?

"La mixité des équipes me semble essentielle. La vie professionnelle doit être à l’image de nos vies quotidiennes et le reflet de sa diversité."

Je suis convaincue que les talents sont également partagés et que les comportements de chacun ne sont pas orientés par leur genre mais par les stéréotypes que la société leur renvoie. La mixité des équipes me semble essentielle. La vie professionnelle doit être à l’image de nos vies quotidiennes et le reflet de sa diversité.

Dans le cadre de la commission DJ au féminin, nous avons reçu récemment Hélène Trink qui a réalisé une cartographie des directions juridiques avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE. Nous lui avons demandé d’analyser les résultats de cette étude à travers le prisme de la parité homme/femme. Un constat clair : le plafond de verre reste encore présent dans tous les secteurs d’activité (cf. composition des comités exécutifs ou des conseils d’administration). Toutefois, dans la plupart des grandes entreprises, il existe une volonté affirmée de promouvoir des femmes de talents et la politique de quotas appliquée aux conseils d’administration des grandes entreprises commence à porter ses fruits. Si je prends l’exemple de Teva Laboratoires en France, notre comité exécutif est paritaire.

Vous étiez précédemment directrice juridique du groupe 118 218 et avez intégré Teva Laboratoires il y a 6 mois. Ces deux entreprises ayant des activités très différentes, comment vous êtes-vous adaptée ?

"Le droit est une boîte à outils dont il faut savoir se servir. Il faut aller chercher l’expertise en fonction des problématiques auxquelles la société est confrontée."

Je suis avocate aux barreaux de Paris et New York. J’ai travaillé pendant dix ans en cabinet d’avocats où j’étais spécialisée en fusions-acquisitions. Après 10 ans de barreau, j’ai choisi d’intégrer l’entreprise. Certains se sont étonnés de ce changement. Aujourd’hui, mon évolution du secteur des télécoms à celui de la santé, peut surprendre à nouveau.

Tout dépend de ce qu’on attend d’un directeur juridique et du regard qu’on porte sur sa fonction. Le directeur juridique a longtemps été cantonné dans un rôle d’expert. Désormais, il est également manager et prend ainsi toute son ampleur au sein des entreprises. Ces dernières recherchent de plus en plus un directeur juridique business partner quel que soit le secteur et l’industrie. J’ai sans doute une vision assez avant-gardiste de mon rôle et je pense que les personnes qui choisissent de travailler avec moi la partagent.

Le droit est une boîte à outils dont il faut savoir se servir. Il faut aller chercher l’expertise en fonction des problématiques auxquelles la société est confrontée. Cette expertise est éparse, on la trouve dans les équipes opérationnelles et juridiques et dans des cabinets. Les entreprises ont désormais besoin d’un directeur juridique qui ait une vision large, qui comprenne bien les enjeux de l’entreprise, qui soit capable de s’approprier et trier ces analyses et ces recommandations complexes et parfois contradictoires, de manière à pouvoir les mettre au service d’une vision et d’une stratégie. Diplômée d’HEC et de Sciences Po, j’ai su développer cette compétence managériale que j’ai mise au service du groupe 118 218 et aujourd’hui de Teva Laboratoires.

Comment s’organise votre direction juridique ?

J’ai sept personnes dans mon équipe composée de seniors et de juniors. Teva Laboratoires a un positionnement différenciant dans le paysage des laboratoires implantés en France. Elle propose des solutions combinant des alternatives économiques et des médicaments innovants.
En effet, la moitié de notre activité est constituée par la distribution de médicaments génériques (médicaments développés une fois le brevet initial expiré) et une autre moitié est représentée par l’activité princeps (médicaments de marques qui sont protégés par un brevet).
Généralement les laboratoires sont spécialisés dans l’un ou l’autre secteur. Teva laboratoires offre la particularité de combiner cette double expertise ce qui représente un vrai challenge pour l’ensemble des équipes.

L’innovation est par définition au cœur de la stratégie d’un laboratoire pharmaceutique. Est-ce que cela a un impact sur l’innovation en management de votre DJ ?

Oui, bien sûr. Pour l’instant, c’est un petit peu tôt pour avoir du recul sur ces innovations. Une des innovations apportée est la mise en place d’un rapport annuel d’activité de la direction juridique. Cela me semble en effet important, à la fois pour les équipes et pour nos clients internes. Il permet ainsi de retracer et de se rendre compte du travail accompli tout au long de l’année, de saisir l’impact de la direction juridique et de communiquer sur la contribution de celle-ci au développement de l’entreprise.

Comment gérez-vous le budget de la DJ ? Avez-vous mis en place des process ?

"Il faut savoir parler argent dans l’entreprise et justifier de ses besoins que ce soit des budgets pour recruter de nouveaux collaborateurs ou pour faire appel à des conseils externes."

Le budget est une question très importante pour la direction juridique et il doit se piloter et se négocier chaque année.

Le rapport annuel permettra notamment de mettre en avant les réalisations de la direction juridique au regard des moyens qui lui sont alloués. Il faut savoir parler argent dans l’entreprise et justifier de ses besoins que ce soit des budgets pour recruter de nouveaux collaborateurs ou pour faire appel à des conseils externes.

Peu après ma prise de fonction, j’ai réalisé un audit des cabinets avec lesquels nous travaillons, en regardant les coûts horaires, les éventuels accords d’honoraires, les taux privilégiés, mais aussi des aspects plus qualitatifs comme la réactivité et la pertinence des prestations de ces cabinets.

J’ai aussi rencontré d’autres cabinets avec lesquels nous ne travaillons pas encore. L’objectif est d’établir un panel de cabinets référencés afin de m’assurer du meilleur rapport qualité/coût et d’offrir à mes équipes un guide efficace lorsqu’elles ont besoin de s’adresser à un à conseil extérieur

Toutes les directions sont soumises à des contraintes budgétaires et la direction juridique ne fait pas exception. Notre direction achat nous impose par exemple de revoir annuellement les conventions d’honoraires avec nos cabinets d’avocats partenaires.

Allez-vous demander aux avocats avec lesquels travaille votre direction juridique de vous soutenir par écrit pour la reconnaissance de la confidentialité des avis et correspondance des juristes d’entreprise ? Est-ce que vous en ferez un critère de sélection ?

C’est un sujet qui doit être encore débattu au sein du conseil d’administration du Cercle Montesquieu. La problématique est un peu la même que celle de la parité au sein des cabinets. Nous avons envie de travailler avec des avocats qui partagent nos valeurs. Il est donc sain d’aborder un certain nombre de sujets pour connaître la position des cabinets. Il est important de déterminer si les personnes avec lesquelles nous travaillons sont alignées avec les valeurs de l’entreprise que l’on représente.

Propos recueillis par Laurine Tavitian pour la rédaction du Journal du Management Juridique.

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