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Le chèque de caution : comment être payé ? Comment ne pas payer ? Réponses de la jurisprudence. Par Dominique Ducourtioux, Avocat.
Parution : lundi 11 mai 2015
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Le chèque de garantie est simple mais fragile, car c’est un chèque, dont la fonction d’instrument de paiement est mise entre parenthèses ( il n’est remis à l’encaissement qu’en cas de défaillance de celui qui doit réellement payer ), et ce n’est pas non plus une véritable garantie.

Le chèque de caution présente donc des risques.

Le bénéficiaire doit connaître ces risques s’il veut être payé, et l’émetteur du chèque de garantie a intérêt d’en utiliser les faiblesses, quand l’heure du paiement sonnera.

Le chèque est un instrument de paiement. Celui qui émet le chèque donne l’ordre à sa banque de payer au bénéficiaire la somme indiquée sur ledit chèque.

En remettant un chèque au bénéficiaire, celui qui a signé le chèque s’engage irrévocablement à payer.

Le chèque est payable à vue, ce qui signifie que le bénéficiaire peut le remettre à l’encaissement dès qu’il l’a entre ses mains.

La notion de chèque de garantie ou de caution n’existe juridiquement pas, car le chèque est exclusivement un instrument de paiement.

Le chèque de garantie ne constitue qu’un arrangement entre les parties qui, par sa simplicité, conserve un réel attrait dans la pratique.

L’exemple le plus courant est celui du fournisseur qui veut se prémunir de l’incertitude financière de l’entreprise à laquelle il livre des matériaux. Il acceptera de livrer la marchandise à la condition que le gérant de l’entreprise lui remette un chèque personnel d’un montant suffisant en garantie de la fourniture livrée. Ainsi, si l’entreprise fait faillite sans avoir payé la facture, le fournisseur pourra néanmoins se payer en mettant le chèque du gérant à l’encaissement.

Le gérant sert ainsi de caution envers le fournisseur des engagements de son entreprise.

Le chèque de garantie est simple mais fragile, car c’est un chèque, dont la fonction d’instrument de paiement est mise entre parenthèses ( il n’est remis à l’encaissement qu’en cas de défaillance de celui qui doit réellement payer ), et ce n’est pas non plus une véritable garantie.

Le chèque de caution présente donc des risques.

Le bénéficiaire doit connaître ces risques s’il veut être payé.

En revanche, l’émetteur du chèque de garantie a intérêt d’en utiliser les faiblesses, quand l’heure du paiement sonnera.

Deux décisions de jurisprudence ( Jugement du Juge de l’exécution de SCHILTIGHEIM du 12 octobre 2010 et arrêt de la Cour d’appel de COLMAR du 11 mars 2015 ) vont apporter des réponses.

I - Premier cas : le chèque est remis à l’encaissement dans le délai d’un an et huit jours à compter de son émission.

Selon la loi ( article L.131-59 du Code monétaire et financier ), le chèque conserve sa validité pendant un an à compter de l’expiration du délai de présentation, soit un an et huit jours à compter de son émission. Au-delà, le chèque est périmé et son bénéficiaire perd les recours cambiaires.

Pour les besoins du raisonnement, on va supposer que le chèque est régulier, à savoir que la cause pour laquelle il a été émis est licite, et qu’il est daté et signé par son tireur.

L’exemple est le suivant : l’entreprise qui doit l’argent au fournisseur fait faillite sans avoir payé la facture. Le fournisseur ne peut plus la poursuivre en paiement.

Le fournisseur remet dès lors le chèque de garantie, qu’il avait obtenu du gérant, à l’encaissement.

Le chèque datant de moins d’un an et huit jours, sa validité ne peut pas être contestée et le tireur ne peut pas faire opposition au paiement au motif qu’il aurait donné le chèque comme simple garantie.

Deux possibilités sont envisageables :

1°) Soit le compte du tireur-garant est suffisamment provisionné :

Si le compte bancaire du gérant est suffisamment provisionné, le fournisseur est payé et le gérant qui s’est ainsi porté garant ne peut pas s’opposer au paiement.

2°) Soit le chèque est rejeté pour défaut de provision :

Si le compte n’est pas suffisamment provisionné, ce qui est le cas le plus vraisemblable pour un gérant d’une entreprise en faillite, et que le gérant ne peut pas régulariser la situation, le fournisseur doit demander au banquier de lui remettre un certificat de non-paiement.

Le fournisseur fera signifier ce certificat par voie d’huissier au tireur et, passé un délai de quinze jours, l’huissier délivrera un titre exécutoire à l’encontre du tireur.

Le gérant sera ainsi exécuté sur ses biens.

Dans son malheur, le tireur-garant a une chance de s’opposer au paiement.

En règle générale les banques ont pour pratique de remettre au porteur du chèque impayé un certificat de non-paiement sans y apposer leur signature.

Or, le certificat de non-paiement constitue un titre avec lequel le porteur pourra engager des poursuites.

Le certificat de non-paiement engage par conséquent le banquier, qui doit certifier l’exactitude des mentions de l’acte qu’il a remis et, cette certification se matérialise par sa signature.

La signature a aussi pour fonction d’identifier celui qui a délivré l’acte et de pouvoir vérifier, en cas de doute, son identité.

La signature est, selon le rappel de l’article 1316-4 du code civil, une formalité nécessaire à la perfection de l’acte.

C’est pourquoi l’annexe IV de l’arrêté ministériel du 29 mai 1992 fixant le modèle applicable au certificat de non-paiement prévoit qu’il soit daté et signé par le représentant de la banque qui le délivre [1].

Les voies d’exécution pour obtenir paiement d’un chèque impayé ne peuvent se réaliser qu’en vertu d’un titre exécutoire régulier.

Un certificat de non-paiement irrégulier, car ne comportant pas la signature de la banque qui l’a délivré, ne peut pas servir de fondement à des voies d’exécution.

Le Juge de l’Exécution du Tribunal d’instance de SCHILTIGHEIM dans un jugement du 12 octobre 2010, RG n° 11-10-59 a rappellé ce principe :

« Il résulte de l’arrêté du 29 mai 1992 que le certificat de non-paiement doit être conforme au modèle figurant à l’annexe IV.

« Le modèle porte la mention signature de la banque tirée.

« Cette signature identifie et authentifie le tiré. Il s’agit d’une mention essentielle.

« Dès lors un certificat de non-paiement qui ne comporte pas cette signature, ne peut donner lieu à des voies d’exécution.

« Il sera fait droit à Monsieur W. et dit que toutes les mesures d’exécution exercées sur la base du certificat de non-paiement irrégulier sont irrégulières. »

En conclusion :

-  Pour recouvrer les sommes correspondant au chèque, le créancier a intérêt de vérifier que le certificat de non-paiement est signé de la banque.

-  De son côté, pour s’opposer au paiement, le tireur poursuivi a intérêt d’examiner que le certificat qui lui est signifié n’est pas signé.

II - Deuxiéme cas, le paiement du chèque est réclamé après le délai d’un an et huit jours :

Le chèque est périmé et le porteur ne peut pas agir cambiairement contre le tireur.

Le bénéficiaire du chèque devra agir selon le droit commun, en argumentant que le chèque correspond à une dette de la personne qui lui a remis.

Il est en effet de jurisprudence bien établie que le chèque peut valoir commencement de preuve d’une créance au sens de l’article 1347 du code civil, ce qui signifie :

-  qu’à défaut d’avoir été constaté dans un acte sous-seing privé ou devant notaire, le créancier ne peut pas réclamer une somme d’argent dépassant un certain montant ( actuellement 1.500,00 € ) ;

-  toutefois, si ce créancier produit un écrit émanant de son soit-disant débiteur, qui rend vraisemblable sa créance, il devient recevable à la prouver par tous moyens.

Il résulte de cette règle, appliquée à l’exemple du fournisseur et du gérant ayant remis un chèque de garantie, que le chèque a été remis sans que soit établi un acte selon lequel il est stipulé que le gérant se porte garant des dettes de son entreprise envers le fournisseur.

Le fournisseur n’a qu’un chèque émanant du gérant. Il ne peut plus remettre ce chèque à l’encaissement. En revanche, il peut l’utiliser comme commencement de preuve que le gérant lui doit l’argent mentionné sur le chèque.

En présence d’un chèque de garantie, deux hypothèses se présentent :

1°) Le tireur du chèque a reconnu devoir l’argent correspondant au chèque :

Le tireur a reconnu dans une lettre ou dans un courriel devoir personnellement la somme au bénéficiaire du chèque, et sollicite éventuellement des délais de paiement.

Cet écrit est de nature à constituer la preuve de l’existence d’une reconnaissance de dette, en vertu de laquelle le chèque a été remis.

Le bénéficiaire du chèque est sauvé, car il obtiendra la condamnation du tireur à lui payer la somme due, ainsi que tous les frais d’exécution.

2°) Le tireur du chèque n’a pas reconnu devoir personnellement l’argent :

Le gérant a admis avoir remis le chèque en garantie d’une somme pouvant être dûe par son entreprise.

La dette est celle de son entreprise et pas la sienne.

Il s’agit d’un chèque remis en vertu d’un cautionnement.

Le bénéficiaire du chèque est perdu : ce n’est pas une reconnaissance de dette, et si c’est un cautionnement, celui-ci aurait dû être constaté dans un écrit respectant les prescriptions de l’article L. 341-2 du code de la consommation, sous peine de nullité [2].

Le bénéficiaire, qui n’a pas fait souscrire un tel acte au tireur, ne peut pas réclamer le montant figurant sur le chèque.

Dans son arrêt du 11 mars 2015, la Cour d’appel de COLMAR, RG 1 A 13/06134 a eu à statuer sur un cas semblable. Les attendus de l’arrêt sont les suivants :

« Il convient tout d’abord de noter que la somme de 15.000,00 € est une dette de la société Y, et que Monsieur X n’est pas débiteur de la S.A. G., que dans une lettre adressée par le conseil de M. X à l’huissier de justice, celui-ci soutenait que la dette de M. X était inexistante.

« Dans les courriers rédigés par M. X, il indique que ce chèque est un chèque de caution.

« Les versements adressés par M. X à l’huissier l’ont été pour éviter une procédure d’exécution.

« La S.A. G. ne rapporte pas la preuve de la reconnaissance de dette de M. X et sera déboutée de sa demande en paiement.  »

En conclusion, le tireur du chèque a tout intérêt de ne pas reconnaître devoir personnellement l’argent.

Enfin, le tireur du chèque de garantie et le bénéficiaire doivent être attentifs au délai de prescription :

Le tireur du chèque de caution est supposé être un consommateur, même s’il est le dirigeant de l’entreprise qu’il a garantie [3], et le bénéficiaire est généralement un créancier professionnel.

Un prêt constitue un service au sens du code de la consommation.

Dès lors le délai de prescription du professionnel à l’encontre du consommateur, en l’espèce le tireur du chèque, est de deux ans, conformément à l’article L. 137-2 du code de la consommation.

Cette prescription est toutefois susceptible d’interruption, et la reconnaissance de dette est précisément une cause d’interruption.

Dominique Ducourtioux Avocat. Barreau de Strasbourg

[1cf. arrêté pris le 29 mai 1992 in recueil DALLOZ 1992 législation p. 311

[2Cass. Com 10.01.2012, Bulletin 2012 IV n°2

[3Cass. Com. 5.06.2012 Bulletin 2012 IV n°113

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