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Le choix de la langue de l’arbitrage international : enjeux et conséquences. Par Alexandre Kasmi.
Parution : mardi 19 mai 2015
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Des débats relatifs au Traité Transatlantique à l’organisation par le Barreau de Paris en avril dernier d’une conférence sur le contentieux international, l’arbitrage international est plus que jamais au cœur de l’actualité.
La langue de la procédure d’arbitrage, loin d’être un détail, peut facilement se transformer elle-même en objet de désaccord. Retour sur les enjeux et conséquences du choix de la langue en matière d’arbitrage international.

Mode de résolution des conflits hors des juridictions étatiques, l’arbitrage s’adapte particulièrement bien aux litiges internationaux par sa confidentialité, sa neutralité – les parties choisissent librement leurs arbitres et le pays de la procédure - et sa rapidité.

Dans ce contexte international, la langue choisie pour mener à bien la procédure aura nécessairement des conséquences sur le déroulement de celle-ci, notamment lorsque les deux parties parlent une langue différente.
Qui choisit la langue d’arbitrage et comment ce choix impacte-t-il concrètement la procédure d’arbitrage ? Répondre à ces questions permettra de mieux comprendre l’importance d’anticiper cette prise de décision dès la phase de négociation du contrat.

Qui choisit la langue d’arbitrage ?

Que l’arbitrage relève d’une institution comme la CCI ou d’une procédure ad-hoc, on laisse en principe le choix aux parties de la langue qui sera utilisée lors de la procédure d’arbitrage.
Celle-ci peut être déterminée au sein de la clause compromissoire incluse dans le contrat en prévision d’un éventuel litige et avant que celui-ci ne survienne, ou au début de la procédure.

Mais en cas d’absence de clause compromissoire préalable ou si aucune langue n’y a été mentionnée, il reviendra à l’arbitre ou au tribunal arbitral de la choisir.
La langue du contrat initial ne sera pas forcément retenue, et dès lors que les parties parlent une langue différente, ce choix a un impact déterminant sur l’efficacité, le coût et la durée de la procédure.
De plus certains états comme la Russie peuvent imposer leur propre langue par défaut pour la procédure d’arbitrage lorsqu’il n’existe pas de clause compromissoire dans le contrat. Il reviendra donc aux arbitres de vérifier les lois applicables dans chaque pays avant de décider de la langue d’arbitrage.

Des enjeux financiers importants

L’absence d’entente entre les parties sur le choix de la langue au début de la procédure a des conséquences financières non négligeables.
De la traduction des mémoires, débats, pièces et de la sentence arbitrale à l’audition de témoins, la langue de l’arbitrage implique souvent de faire appel à des traducteurs experts et à des interprètes chargés de retranscrire les débats. Ces frais de traduction peuvent s’avérer particulièrement élevés et seront soit à la charge des deux parties, soit à la charge de la partie qui a exigé la traduction ou l’interprétation.

S’il y a eu désaccord sur le choix de la langue et que deux langues sont retenues pour la procédure, la facture sera multipliée d’autant. D’où l’importance de prévoir en amont et de façon équitable les modalités de répartition des frais afférents à ces prestations de traduction : cela facilitera par la suite la répartition des frais de procédure.
La nécessité de faire appel à des traducteurs voire à des interprètes en simultané pour l’audition de témoins impacte le coût, mais également la durée de la procédure.

Une entrave à la rapidité supposée de la procédure

Outre sa confidentialité et sa flexibilité, la rapidité de la procédure fait partie des raisons pour lesquelles l’arbitrage est souvent préféré aux institutions judiciaires traditionnelles. Le succès grandissant des recours à l’arbitrage d’urgence en est l’illustration.
Or, le choix de la langue a une véritable incidence sur la durée de l’arbitrage à plusieurs niveaux :
- Le choix des arbitres et des experts ou conseils retenus pour la procédure pourra s’en trouver perturbé et ralenti. Si les parties sont de nationalité différente et parlent une langue relativement peu utilisée, elles auront tout intérêt à choisir une langue couramment utilisée comme l’anglais afin de simplifier l’ensemble de la procédure, quand bien même l’anglais ne serait pas la langue du contrat.
- A cela s’ajoute la durée de traduction de tous les documents utiles, et la difficulté de trouver des traducteurs et interprètes disponibles et compétents en matière d’arbitrage international. En effet, la terminologie de l’arbitrage étant particulière, il est recommandé de recourir à des traducteurs juridiques familiers de ces procédures, du droit des contrats, et/ou du contentieux international en général. Ces derniers devront se référer aux glossaires et règlements d’arbitrage traduits en plusieurs langues pour éviter toute erreur ou contresens.

Quand la langue de l’arbitrage devient elle-même source de conflit…

Il est de plus en plus courant que pour ces raisons de coût et de rapidité, le tribunal arbitral n’impose pas la traduction de la totalité des documents. Mais les critères de production de pièces partiellement traduites doivent être très clairement établis au début de la procédure pour respecter l’équilibre entre les parties.

Ces dernières années en effet, plusieurs procédures ont fait l’objet de jugements en appel pour des défauts liés au choix de la langue d’arbitrage. L’un des plus récents est l’arrêt du 2 avril 2013 rendu par la Cour d’Appel de Paris : celle-ci a partiellement annulé une sentence arbitrale considérant qu’elle avait « violé le principe de la contradiction » parce qu’elle se basait « exclusivement sur un rapport d’expertise auquel était annexées des pièces partiellement traduites » à la « seule discrétion » de l’une des parties.

Pour éviter tout déséquilibre dans la résolution des conflits par voie arbitrale, il apparaît donc essentiel d’anticiper le choix de la langue d’arbitrage le plus tôt possible, dans l’idéal dès la phase de négociation du contrat. Un moyen de ne pas entraver plus la résolution de litiges déjà suffisamment complexes.

Références :
• Interview de Jacques Bouyssou – Site internet le Monde du Droit - http://www.lemondedudroit.fr/interviews-portraits-profession-avocat/202301-jacques-bouyssou
• Le choix de la langue de l’arbitrage par Irina Guérif, secrétaire général CAIP – Site internet de la Lettre de la Chambre Arbitrale Internationale de Paris - http://www.arbitrage.org/newsletter/newsletter-CAIP-2014-02-long.html
• Rédiger une clause d’arbitrage - Site internet NAFTA Trilateral - https://www.nafta-sec-alena.org/Accueil/R%C3%A8glement-extrajudiciaire-des-diff%C3%A9rends/R%C3%A9diger-une-clause-darbitrage
• L’arbitrage d’urgence, ou le retour à l’essence même de l’arbitrage, par Philippe Cavalieros, avocat à la Cour – Site internet Les Echos - http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-130223-larbitrage-durgence-ou-le-retour-a-lessence-meme-de-larbitrage-1107939.php
• Contrats : la langue de l’arbitrage, un choix trop souvent sous-estimé, par Stéphanie Smatt, avocate - Site internet Les Echos - http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-94404-contrats-la-langue-de-larbitrage-un-choix-trop-souvent-sous-estime-1000481.php

Alexandre Kasmi Fondateur de LYNX TRAD Agence de traduction spécialisée dans la traduction juridique www.lynxtrad.com contact@lynxtrad.com