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La protection de l’e-réputation de la marque. Par Arnaud Dimeglio, Avocat.
Parution : vendredi 22 mai 2015
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La réputation d’une marque est le fruit d’un long travail, d’investissements. Mais elle peut rapidement être salie sur Internet notamment par des commentaires négatifs dans les forums. Elle peut également être détournée à des fins commerciales. Comment dès lors protéger la réputation de sa marque ? Cette protection peut s’effectuer par le droit des marques (I), et par le droit commun (II).

I. La protection par le droit des marques

La protection de la réputation des marques peut s’effectuer grâce à leur fonction de publicité et d’investissement. Elle peut également résulter de la renommée, de la notoriété des marques.

La fonction de publicité et d’investissement

La fonction de publicité a été explicitée dans l’arrêt Google du 23 mars 2010 de la Cour de justice de l’Union européenne [1].
L’affaire concernait l’achat dans Google Adwords de mots clés par des annonceurs, lesquels mots correspondaient à des marques.
Selon cet arrêt, si la marque permet d’indiquer l’origine commerciale des produits et services, elle sert également à « informer et persuader le consommateur ». Elle est donc porteuse de messages, de signaux et d’informations à l’égard du public destinataire.
La Cour de justice précise qu’il y a atteinte à la fonction de publicité de la marque lorsque « l’usage du signe litigieux par le tiers porte atteinte à l’emploi de la marque par son titulaire en tant qu’élément de promotion des ventes ou en tant qu’instrument de stratégie commerciale ».

La fonction d’investissement a, quant à elle, été définie dans l’arrêt Interflora du 22 septembre 2011 de la Cour de justice. Il était question du choix comme mot-clé de la marque Interflora par la société M&S, dans Google Adwords. Selon la Cour, il y a atteinte à la fonction d’investissement de la marque si l’annonceur « gène de manière substantielle l’emploi par le titulaire de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser les consommateurs ».
De cette jurisprudence, on peut en déduire qu’une atteinte à la fonction de publicité et d’investissement de la marque devrait être reconnue si un concurrent utilise la marque pour la dénigrer, que ce soit sous la forme d’une annonce Adwords, dans un forum, ou tout autre espace d’un site internet.
En effet, dans ce cas, cela pourrait gêner de manière substantielle le titulaire de la marque pour acquérir ou conserver sa réputation.
Quant à ceux qui diffusent ces messages, leur responsabilité pourra, selon les cas, être recherchée sur le fondement du droit commun en qualité d’éditeur, ou d’hébergeur sur le fondement de l’article 6 de la loi du 21 juin 2004.
Ainsi, les fonctions de publicité et, en particulier celle d’investissement de la marque devraient pouvoir être invoquées pour protéger la réputation de la marque par des commentaires dénigrants.

• Marque renommée ou notoirement connue

Cette protection devrait être d’autant plus aisée dans le cas de marque renommée ou notoirement connue.
En effet, dans ce cas, l’article L713-5 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que « La reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services non similaires à ceux désignés dans l’enregistrement engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière. »
Le fait pour l’auteur d’un message de réutiliser une marque renommée ou notoirement connue, pour drainer du trafic vers ses propres produits ou services devrait constituer une exploitation injustifiée de cette dernière.
Et ce, que le message soit positif ou négatif.
L’arrêt Interflora de la CJUE considère en effet que la marque est protégée, « lorsque ledit concurrent tire ainsi un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme) ou lorsque ladite publicité porte préjudice à ce caractère distinctif (dilution) ou à cette renommée (ternissement). »
Et ce, que l’auteur du message soit concurrent ou non : la marque renommée déroge en effet au principe de spécialité.
Il faut néanmoins que ces avis soient utilisés « dans la vie des affaires », autrement dit que l’utilisateur de la marque, que ce soit l’annonceur, ou l’auteur du message dans un forum poursuive un but commercial.
Quant à l’intermédiaire, qu’il soit un moteur de recherche comme Google, un site internet, ou un forum de discussion, sa responsabilité pourra être engagée, selon les cas, sur le fondement du droit commun en qualité d’éditeur ou d’hébergeur [2].

II) La protection par le droit commun

La réputation de la marque peut également être protégée sur le fondement du droit commun, et de l’article 1382 du code civil en particulier. Il existe deux formes essentielles d’atteinte à la réputation : le dénigrement, et le parasitisme.

• Le dénigrement

La Cour d’appel de Versailles considère que « le dénigrement consiste à porter atteinte à l’image de marque d’une entreprise ou d’un produit désigné ou identifiable afin de détourner la clientèle, en usant de propos ou d’arguments répréhensibles ayant ou non une base exacte, diffusés ou émis en tout cas de manière à toucher les clients de l’entreprise visée, concurrente ou non de celle qui en est l’auteur ». [3].
Comme cet arrêt le précise, et d’autres postérieurs de la Cour de cassation, en matière de dénigrement, l’état de concurrence entre les entreprises importe peu. La concurrence n’est pas une condition nécessaire pour qu’il y ait dénigrement [4].
Et de fait, en pratique, le dénigrement est sanctionné à l’encontre de concurrents, comme à l’encontre de professionnels non concurrents, comme par exemple dans l’affaire tranchée par la Cour d’appel de Versailles qui opposait un imprimeur, à des afficheurs.
Par analogie, on devrait considérer que toute personne qui exploite commercialement un message dénigrant une marque, enregistrée ou non, devrait pouvoir être sanctionné sur le fondement du droit commun.
En effet, faire du dénigrement son fonds de commerce, n’apparaît pas, en soi, comme très loyal.
On pense à l’auteur commerçant qui diffuse un message dénigrant un autre professionnel. Mais aussi à ceux qui n’exercent pas une activité commerciale : les consommateurs, les salariés, les associations Loi 1901.
Dans ce cas, la liberté d’expression prime. Mais cela ne signifie pas que ces personnes bénéficient d’un blanc-seing : les abus de la liberté d’expression, lorsqu’ils concernent une marque, peuvent être réparés sur le fondement du droit commun.
Quant à l’exploitant de l’espace dans lequel ces messages sont diffusés, sa responsabilité devrait pouvoir aussi être engagée, soit en qualité d’éditeur, soit en qualité d’hébergeur.

• Le parasitisme

La Cour de cassation définit le parasitisme comme « l’ensemble des comportements par lesquels un agent économique s’immisce dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire » [5].
Ces atteintes parasitaires résultent généralement du détournement des investissements, ou de la notoriété d’un agent économique.
En dehors d’Internet, la Cour d’appel de Rennes a par exemple caractérisé les agissements parasitaires d’une société ayant utilisé les références de catalogue d’une autre société dans certaines de ses offres, ainsi que la marque de cette dernière.
Les juges du fond ont considéré que « ces agissements parasitaires, qui ont pu nuire à l’image de marque de Multivac, constituaient une faute délictuelle. » [6].
Il peut y avoir ainsi parasitisme lorsque la marque a fait l’objet d’investissements, et qu’un professionnel détourne ses derniers à son profit.
Cet investissement permet généralement de conférer à la marque une certaine notoriété.
Sur Internet, il ne fait pas de doute que des forums, sous couvert de liberté d’expression, profitent du trafic attaché à une marque pour mieux servir leurs intérêts.
Les parasites se nourrissent des messages négatifs, comme positifs. Ils se nourrissent du trafic de la clientèle attachée à la marque.
Dans le cas des forums de discussion, ils bénéficient en outre du trafic d’une kyrielle de marque, ce qui leur permet de se hisser, dans les résultats des moteurs de recherche, aux côtés des titulaires de marques.
Ne pas sanctionner ce types d’agissement, c’est, à terme, mettre fin aux titulaires de marques, lesquelles perdent progressivement leur réputation, et ainsi leur marché.
Le parasite est un animal nuisible qui peut aller jusqu’à la mort du parasité, et partant de là, de tout un pan de l’économie.
Il est donc dans l’intérêt des titulaires de marque de se protéger, et de se défendre fermement contre ce type d’agissements.

Arnaud Dimeglio Avocat spécialiste en droit des nouvelles technologie, droit de l'informatique et de la communication

[1CJUE, 23 mars 2010, Aff. C-236/08.

[2Article 6 de la loi du 21 juin 2004.

[3CA Versailles, 12e ch., 9 septembre 1999 n°1998-2345.

[4Cass. Com. 30 janvier 2007, n°04-17.203.

[5Cass Com, 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22457.

[6CA Rennes, 2ème ch., 2 oct. 2002, Juris-data n°2002-217848.