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Kit de survie en garde à vue. Mode d’emploi et astuces. Par David Marais, Avocat.
Parution : mardi 2 juin 2015
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Vous êtes ce que le langage populaire appelle - à tort car vous n’avez pas encore ce statut - "accusé" ou "prévenu", ce que les auteurs appellent "suspect", les policiers "mis en cause" et la loi "gardé à vue".

Bref vous avez des ennuis. De sérieux ennuis.

Que vous soyez venu de votre plein gré en respect d’une convocation trouvée dans votre boîte aux lettres ou interpellé au petit matin, à 6h, par des policiers surarmés à deux doigts d’exploser au bélier une porte somme toute utile, vous voilà placé en garde à vue.

Vous regardez autour de vous et constatez l’étroitesse de la cellule dans laquelle vous êtes enfermé. Devant vous une porte vitrée condamnée par une serrure imposante et de lourds barreaux. Le long des murs court un banc assez large pour s’allonger. Dans un coin des matelas en mousse et des couvertures que vous n’osez toucher tant ils ont l’air de grouiller de vermines.

Vous entendez les cris de vos voisins, l’un qui frappe depuis des heures pour aller aux toilettes, l’autre qui a l’air d’avoir la nausée.

Et vous sentez l’odeur de votre cellule dans laquelle les deux besoins précédents ont sans doute déjà, dans un passé proche, été apparemment assouvis.

Bienvenue ! bienvenue en garde à vue. Vous êtes ici pour les 48 prochaines heures (étant précisé que le temps de base d’une garde à vue en droit est de 24h, renouvelable une fois mais qu’en pratique elle est quasi systématiquement renouvelée ; étant également précisé qu’en cas de "criminalité organisée", la garde à vue peut durer jusqu’à 96h).

Comment survivre dans cet environnement hostile ?
Surtout comment faire pour tenter de se sortir de là avec le moins de mal possible ?

Car être en garde à vue ne signifie pas que vous êtes coupable de quelque chose - on met parfois des témoins en garde à vue en les considérant artificiellement comme des suspects dans le but de les pousser -par une subtile négociation type "c’est eux ou toi" - à donner des noms - ni que les policiers aient des preuves.

Il n’est d’ailleurs pas rare que ceux-ci bien qu’ayant en réalité peu d’éléments obtiennent des aveux par bluff.

La problématique principale ici est que l’on est aveugle et sourd dans cette phase procédurale. L’avocat du gardé à vue n’ayant pas accès au dossier - à l’exception de quelques pièces ne concernant pas le fond de l’affaire - il est impossible de savoir précisément ce dont on est accusé (la plainte de la victime par exemple n’est pas donnée) et moins encore les éléments que les policiers ont pu réellement réunir.

Le but est donc de tenir, au maximum, ces 48h sans tomber dans les pièges tendus pas les policiers, le temps d’arriver sans trop de dommage à la phase judiciaire (comparution immédiate, convocation à jugement ou instruction) où votre avocat obtient enfin le droit de consulter le dossier et peut vous expliquer les éléments à charge et à décharge qu’il contient. A partir de cet instant, vous pouvez enfin vous expliquer intelligemment auprès des juges sans risque de vous "auto-incriminer".

Afin de comprendre comment y parvenir, il convient sans doute de rappeler - pour mieux s’y préparer - ce qui est possible ou autorisé et ce qui est impossible ou interdit en GAV.

Ainsi, il est interdit :

- de fumer, ce qui est un très puissant moyen de pression sur les fumeurs, soit en laissant leur stress et mal-être monter au fur et à mesure de la garde à vue, pour mieux les faire craquer, soit par la promesse de les laisser fumer en récompense de ce qu’ils peuvent dire ;

- de prendre des médicaments ou autre produit de substitution à la drogue, dans le même but que la privation de cigarettes ;

- de se changer - sauf cas très exceptionnels, négociés avec le service de police - et de se laver - sauf lieux exceptionnels.

- de communiquer avec qui que ce soit, y compris son avocat, en dehors des entretiens confidentiels de 30 mn lors du placement puis du renouvellement de la garde à vue (1ère et 25ème heure) ;

- parfois même de garder ses lunettes ;

Il est enfin très difficile d’aller aux toilettes - il faut parfois appeler des heures avant d’être entendu - et de dormir (cris, bruits, odeurs, lumières et dureté des lieux sont là pour rendre la tâche quasi impossible).

Tout est donc fait pour mettre "le client en condition", c’est à dire le plus mal possible et au bord de "craquer", l’aveu étant le but ultime, la preuve parfaite au regard des enquêteurs comme des juges.

Il convient donc de se rappeler de ce qui est autorisé et possible :

- d’abord vous avez le droit à un avocat. Celui-ci peut donc s’entretenir avec vous 2 fois 30 mn, au début de la mesure et au début de son renouvellement. Il peut être présent à vos cotés à chaque interrogatoire ou confrontation. Même s’il n’a pas accès au dossier, sa présence est essentielle. D’abord, elle est un réconfort, vous n’êtes pas seul. Ensuite il est un accès sur l’extérieur, au sens où - s’il n’a pas le droit de contacter votre famille ou vos proches - il a le droit de contacter le Procureur de la République en cas de constat de mauvais traitements quelconques. Enfin et surtout, il peut par sa présence empêcher ou s’opposer à toute tentative de pression du type "bon flic" (je te protège, si tu me donnes ceci ou cela) ou "mauvais flic" (colère, hurlement, pressions physiques), comportements qui, s’ils ne sont pas une généralité, existent.

- ensuite vous avez le droit à voir un médecin. Droit là encore essentiel puisqu’il vous permet non seulement de s’assurer que tout va bien mais permet également d’avoir un sas de décompression avec un professionnel neutre et bienveillant.

- vous avez également le droit à interprète, droit qu’il ne faut pas négliger lorsque l’on rappelle que les policiers notent tout ce que vous dites, parfois avec leurs "corrections personnelles". Il faut donc être précis dans ce que l’on dit (un "la" au lieu d’un "le" ou le mot "prétexte" plutôt qu’excuse" peuvent par exemple totalement changer le sens d’une phrase, et transformer une phrase neutre en phrase "à charge") et clair dans la relecture et la correction de ce qui est écrit et dès lors ne pas hésiter à demander l’aide d’un interprète.

- vous avez le droit de faire prévenir un membre de votre entourage, droit qui peut soulager un peu dès lors que l’on sait que nos proches ne s’inquièteront pas de notre "disparition" ;

- enfin et surtout, vous avez le droit au silence. Ce droit, l’auteur de ces lignes a déjà écrit ailleurs à quel point il est difficile de le faire respecter, tant par le client que par les policiers, au risque de voir des mis en cause s’enfoncer toujours plus dans les pièges tendus (« Du droit au silence à sa nécessité », Gazette du palais, 2013, n°14, p.18). Et pourtant, il est le moyen le plus sûr de ne jamais s’auto-incriminer, en ne parlant qu’une fois obtenu l’accès au dossier et aux éléments existants à charge et à décharge.

Certes, certains se diront que "seuls les coupables ne s’expliquent pas". Mais à ceux-ci on peut répondre : même les innocents disent beaucoup de bêtises et ici chaque mot est retenu contre vous ; de plus, il n’est pas illégitime de garder le silence dans un pays où l’État refuse que les avocats aient accès au dossier et que les suspects sachent donc ce qui pèse contre eux : pourquoi accepter de jouer la transparence face à quelqu’un qui, lui, argue du secret ? Imagine-t-on une partie de cartes où l’un à son jeu ouvert, alors que l’autre cache son jeu ? Non, être "fair-play" ne signifie pas être un pigeon. Il est donc légitime et logique d’attendre, dans le silence, que le système dévoile son jeu - l’avocat accédant au dossier - avant de dévoiler le vôtre : qu’il soit positif - l’innocence - ou négatif - l’admission de la culpabilité et l’explication de l’infraction.

Surtout ce silence doit être absolu en l’absence de l’avocat : que ce soit pendant les interrogatoires « officiels » mais plus encore dans les discussions « officieuses », entre gardés à vue (le fait d’écouter les cellules pouvant être ordonné dans certaines conditions), ou avec un policier « amical » (la Cour de cassation venant de valider la « loyauté » de « confidences et aveux » d’un gardé à vue effectués « pendant le temps de pause et hors la présence de son avocat » Crim. 313.15, n°14-86913).

Ceci étant rappelé, que faut-il faire pour tenter de survivre au mieux à une garde à vue ?

Au regard de notre expérience, il faut :

i) se préparer physiquement et psychologiquement aux privations dont on va être l’objet ; notamment en se rappelant que sauf "criminalité organisée", la mesure ne dure que 48h ;

ii) exercer la totalité de ses droits ;

iii) exercer notamment son droit au silence – surtout pendant les temps de pause effectués hors de la présence de l’avocat - jusqu’à la phase judiciaire et l’accès au dossier ;

iv) si l’on n’use pas de son droit au silence : éviter les pièges ou pressions des policiers (ici votre avocat vous guidera pour vous expliquer les principales techniques utilisées) ;

v) exiger les preuves et les éléments précis à charge pesant contre vous, afin de ne répondre qu’à cela (là encore votre avocat vous guidera dans les moyens pour obtenir cette confrontation directe aux éléments afin de ne pas vous faire piéger dans des considérations générales ou psychologiques toujours utilisées et tournées ensuite contre vous) ;

vi) peser chacun de ses mots ;

vii) relire attentivement chacun des procès verbaux que l’on vous demande de signer et, s’ils ne correspondent pas à la réalité, refuser de signer tant qu’ils ne sont pas corrigés.

Pour conclure et en guise de dernier conseil général de bonne gestion de cette désagréable situation qu’est la garde à vue, souvenez-vous que ce qui compte "ce n’est pas la chute", mais encore et toujours "l’atterrissage".

Avocat au Barreau de Paris Ancien Secrétaire de la Conférence
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