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Chronique de votre carrière (16) : quand faire appel à un avocat en droit social...
Parution : jeudi 4 juin 2015
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Quand faire appel à un avocat en droit social... Et que lui demander ?
Interview de Maître Valérie Blandeau, avocat en droit social chez Wragge Lawrence & CO.

Je fais appel aujourd’hui à un cabinet d’avocats reconnu en droit social, qui traite à la fois des licenciements collectifs et individuels. L’idée consiste à vous donner une vision de « l’autre côté du miroir » et vous aider à gérer votre sortie dans les conditions optimales. En effet, je m’aperçois souvent qu’une sortie qui se passe mal est une sortie mal préparée du côté du salarié… .En cas de difficultés elle sera surtout dommageable pour le salarié. C’est pour cela qu’il faut la préparer scrupuleusement en amont.

Mon invitée aujourd’hui est Maître Valérie BLANDEAU. Valérie Blandeau est associée gérant du cabinet Wragge Lawrence Graham & Co et elle en dirige le département droit social qu’elle a créé.
Le sujet d’aujourd’hui sera «  Quand faire appel à un avocat de droit social et que lui demander… »

MG : Valérie Blandeau je vous remercie de vous prêter à cette interview aujourd’hui. D’une manière générale, quand on est dans une société et que l’environnement devient compliqué, quand et dans quelles conditions faut-il penser faire appel à un avocat ?

VB : Ni trop tôt ni trop tard. Cela fait penser à une réponse d’avocat. Mais, si c’est trop tôt, on risque de créer contentieux qui n’aurait lieu d’être. Et, si on fait appel à un avocat trop tard, les avocats auront du mal à dépassionner un débat qui par définition est délicat à mener. Cette situation est comparable à un divorce.

MG : Souvent, j’ai vu que mes clients faisaient appel à un avocat en sous-marin. Quand doit-on travailler avec un avocat en sous-marin et à quel moment doit-on rendre sa présence publique ?

VB : L’avocat en sous-marin permet d’avoir les clefs nécessaires pour avoir une discussion sereine. Il évoque ce à quoi le salarié a droit. Dans ce cadre, l’avocat en sous-marin est parfait pour donner les clefs aux salariés afin qu’il soit apte à discuter. Après, on peut être obligé de mettre en avant l’avocat au grand jour. Toutes les discussions entre avocats sont confidentielles par essence et par règle déontologique. Donc les avocats abordent la situation de manière plus ouverte sans que cela ne se retourne contre le salarié.

Cela peut permettre au salarié de faire face à l’intimidation et de pallier ses méconnaissances juridiques. Il ressent en général quand il ne peut plus faire face seul.

MG : Comment le salarié peut-il faire fi de l’émotionnel pour essayer d’obtenir une bonne négociation ? Ce côté émotionnel est très utilisé par l’employeur.

VB : C’est très compliqué. Et c’est plus votre travail que le mien peut-être ! Les questions que je pose sont : « Est-ce qu’on est bien sûr qu’on est arrivé au point de non-retour ? Voulez-vous vraiment partir ? » En fait, ce côté émotionnel doit être purgé. Mais il est nécessaire. On ne peut pas en faire l’économie à moins d’être devant quelqu’un de très détaché de sa vie professionnelle.

MG : J’entends donc que la perte de control est une phase normale. Ensuite, les entretiens exploratoires aident à redéfinir le cadre et à dépassionner le débat entre l’entreprise et le salarié qui ne sait pas dans quelle position il veut se placer.

VB : Oui et pendant la phase exploratoire, on étudie aussi s’il vaut mieux une transaction ou aller devant les prud’hommes. Nous pensons généralement qu’il vaut mieux une mauvaise transaction qu’un bon procès. La transaction met fin au malaise émotionnel. En effet, tant que l’audience n’est pas terminée, le salarié ne peut pas se projeter dans un avenir professionnel. La transaction permet de clôturer les choses. Parfois, c’est impossible de passer par une transaction quand il y des griefs non reconnus, beaucoup d’ancienneté ou un lien très fort à entre l’identité du salarié et son travail. Une transaction reste, cependant en général une solution bien meilleure qu’un procès.

MG : En tant que coach je m’aperçois que plus le départ de quelqu’un est imminent, moins il accepte de regarder la réalité en face. Il y a une forme de déni. Comment les aider à gérer cette difficile situation ?

VB : Je dirais qu’on est dans le « syndrome Calimero ». Il faut passer la phase où on pense que c’est injuste pour se retrouver dans la position de celui qui initie les démarches pour sortir. Ce que je fais avec des salariés en souffrance, c’est que j’essaye de dépasser ce syndrome à l’aide de discussions concrètes. Ils ont du mal, en fait, à prendre la responsabilité de l’initiation. Des choses factuelles permettent de discuter rationnellement du processus qui se déroule. « Vous allez recevoir de la lettre de licenciement. Cela fait partie du processus. Ne vous attardez pas. Regardez plutôt vos droits. » Les chiffres, il n’y a pas plus factuel et rationnel. Ils aident beaucoup.

MG : Effectivement, je vois en plus que cette « phase de Calimero » dont vous parlez peut se transformer en de grave dépression si elle est mal gérée. Parallèlement, quel conseil donneriez-vous en premier ? Lui diriez-vous de prendre le lead sur la discussion, d’attendre ou de faire un état des lieux sur ce qui se passe ?

VB : Je leur demande de faire une liste de tout ce qui se passe pour connaître la situation du travail. Cela permet d’identifier le harcèlement, la mise au placard ou encore de se rendre compte si la personne ne va pas bien et interprète. On dévoile souvent un problème plus personnel quand on est face à un blocage dans l’avancement du processus. Dans ce cas, le contrat de travail ne peut se poursuivre. Mais l’employeur n’est pas responsable.

MG : Avez-vous 2 exemples de réussite notable où vous avez réussi quelque chose de particulier avec des salariés ?

VB : Je pense à un salarié qui a réussi, sans que j’apparaisse, à obtenir ce qu’il voulait assez vite. Il a accepté de passer par cette phase pédagogique avec moi pour avoir tous les éléments et pouvoir prendre son dossier tout seul. Il fait aujourd’hui autre chose. Et il est heureux.
J’ai aussi le cas d’une personne qui était dans le déni. Elle était dans une situation injuste puisqu’elle estimait faire son travail. Il a fallu 4-5 rendez-vous pour dépasser l’immobilisme. Il y avait eu un avertissement. On risquait un conflit larvé. Je me suis dit qu’il fallait avancer. L’avertissement a été contesté de manière contentieuse, on a utilisé l’arme de la lettre d’avocat. La signature de la transaction a été obtenue en 3 semaines. Il faut comprendre que la notion du temps du salarié et de l’employeur n’est pas le même.

MG : Connaissez-vous un échec dû au grain de sable auquel personne n’a pensé ? Pouvez-vous à nous donner deux exemples d’échec et pourquoi cela n’a pas abouti ?

VB : Dans la procédure, je représentais l’employeur. J’ai pris le dossier en cours de route. Tout était bouclé. Et tout un coup, on a entendu, « qu’est-ce qu’on fait de mes stock-options ». Et là, il y avait une vraie remise en cause de tout l’équilibre. Nous avons du relancer une négociation qui a duré 4 mois.
Je pense à un autre cas d’échec dû, cette fois, au double statut de mandataire et de salarié. La procédure était devant le conseil du prud’homme, alors qu’elle n’aurait pas dû. Cela a duré 4 ans et demi. Le salarié est parti sans rien puisque le tribunal saisi n’était pas le bon. C’est un échec même du point de vue de l’employeur.

MG : Que peut-on attendre de son avocat ? Qu’est ce qui ne fait pas partie de son rôle ?

VB : Le vôtre en fait ne fait pas parti de son rôle ! On n’est pas du tout formé sur l’accompagnement, le coaching. Je donne les outils techniques et des avis juridiques mais pas psychologiques ou financiers. Je pense qu’un avocat doit rester dans ce cadre.

MG : Quel est le degré de transparence entre l’avocat et son client pour une transaction réussie ? Est-ce neutre dans la négociation ?

VB : Non ce n’est pas neutre. C’est tout à fait primordial. On ne peut se préparer de manière optimale qu’avec des bonnes informations. Quand des choses inconnues arrivent à l’audience, cela devient compliqué pour nous.

MG : Quelle est la part du facteur chance quand vous allez aux prud’hommes ? Est-ce une stratégie risquée ? Y a-t-il des tendances dans les arrêts rendus par les prud’hommes ?

VB : Le facteur chance existe car les conseillers prudhommaux sont très attachés à entendre les facteurs humains qui sont développés devant eux. Mais on ne peut compter sur la chance. Est-ce qu’il y a une tendance dans les décisions ? Je ne vais pas trahir en disant que les décisions sont en général en faveur du salarié.

MG : Est-ce vrai quelle que soit la position des salariés ?

VB : Il est vrai que les cadres dirigeant ne sont pas toujours considérés comme des salariés ! Est-ce qu’on doit y aller ? Parfois, on doit le faire quand il faut purger une situation, quand les montants sont importants quand la discussion est impossible et quand il est nécessaire de faire jurisprudence.

Mireille Garolla Associé gérant de Group3C Executive coach spécialisée en transition professionnelle Auteur de : Changer de Vie en milieu de Carrière chez Eyrolles