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La transformation d’une kafala en adoption par le truchement de l’obtention de la nationalité française (et son actualité). Par Sonia Ben Mansour, Avocate.
Parution : lundi 8 juin 2015
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La kafala ne créant aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant, sa transformation en adoption passe par l’obtention de la nationalité française de l’enfant recueilli (explication et le point sur l’actualité).

En droit musulman, l’adoption (en tant que mécanisme juridique créant un lien de filiation) est interdite [1]. Seule la kafala, mesure ne créant pas de lien de filiation, est autorisée pour une personne ou un couple dont l’un au moins des conjoints est de confession musulmane, comme c’est le cas en Algérie et au Maroc. Dans les pays du Maghreb, seule la Tunisie reconnaît l’adoption depuis la loi du 4 mars 1958 modifiée par la loi du 19 juin 1959 [2].

La kafala est une mesure d’accueil légal d’un enfant mineur (dit makfûl) par une famille (dite kafil) prenant l’engagement de prendre en charge son entretien, son éducation et sa protection. Cette mesure révocable ne crée aucun lien de filiation entre le recueillant et l’enfant. Son domaine concerne non seulement les enfants qui ont une filiation légalement établie mais il s’étend aussi aux enfants de filiation inconnue. Cette mesure de protection concerne les enfants mineurs. Elle cesse de produire effet à la majorité de l’enfant.
Par ailleurs, la kafala ne prévoit pas réellement la vocation successorale de l’enfant.

La kafala est reconnue par la Convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 comme une mesure pérenne de protection de l’enfant sans famille, qui ne crée aucun lien de filiation entre kafîl et makfûl [3].

La loi algérienne et la loi marocaine permettent la concordance des noms patronymiques avec le kafil alors même que le Coran l’interdit formellement : « donnez-leur le nom de leur père » [4]. Pourtant, cette concordance n’a aucun effet sur le lien de filiation et ne donne pas droit à la transcription sur le livret de famille du ou des makfûl.

La réception en droit français des institutions de droit musulman n’est pas un cas d’école. En effet, dès les années quatre-vingt, le juge français a dû faire face à de nombreuses situations dans lesquelles les institutions familiales de droit musulman avaient vocation à produire des effets juridiques en France (cas du mariage polygame, de la répudiation de l’épouse par l’époux, par exemple).

La loi n°2001-111 du 6 février 2001 relative à l’adoption internationale prévoit que les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant, et si l’adoption est le fait de deux époux, à la loi des effets de leur union. Cependant, l’adoption ne peut être prononcée si la loi nationale de l’un ou l’autre époux la prohibe (article 370-3 alinéa 1er du Code civil). De même, l’adoption du mineur étranger ne peut pas être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution [5].

Il faut comprendre alors que si la loi nationale de l’adoptant ou si la loi des effets de l’union des époux prohibe l’adoption, l’adoption n’est pas possible.

Cependant, une adoption est envisageable si le mineur est né et réside habituellement en France [6].

En effet, la Cour de cassation a jugé que l’enfant ne peut pas être adopté en France si sa loi personnelle prohibe l’adoption en précisant que « la kafala n’est pas une adoption et que, par ailleurs, l’enfant n’était pas né et ne résidait pas habituellement en France » [7] .

Ce procédé législatif a été jugé conforme à l’article 8 de la Convention européenne. En effet, la Cour européenne énonce que le refus de prononcer l’adoption d’un enfant recueilli par kafala « ne constitue pas une différence de traitement ni une atteinte au droit de mener une vie familiale normale et ne méconnaît pas l’intérêt supérieur de l’enfant, dès lors que la kafala est expressément reconnue par la Convention de New York relative aux droits de l’enfant, au même titre que l’adoption » [8].

Il est donc seulement possible de contourner la loi personnelle interdisant l’adoption grâce au droit de la nationalité [9]. Conformément à l’article 21-12 du Code civil, l’enfant qui, depuis au moins cinq ans, a été recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française, peut réclamer la nationalité française.

L’élément d’extranéité ainsi éliminé ramènerait la situation dans l’orbite du droit français. Ainsi, l’enfant ne serait donc plus soumis à sa loi personnelle qui interdit l’adoption mais à la loi française.

Une réponse ministérielle du 21 août 2008 énonce que « dès lors que l’enfant a été élevé pendant cinq ans en France par des français, la nationalité française peut lui être accordée, selon les conditions fixées par l’article 21-12 du Code civil. La loi française lui étant alors applicable, l’enfant devient adoptable » [10].

A l’appui de cette argumentation, soulevons un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 février 2011 [11] sur une déclaration de nationalité française de l’enfant recueilli par kafala qui a conduit à son adoption plénière.

Il est possible de contourner la loi personnelle interdisant l’adoption grâce au droit de la nationalité mais reste la question du consentement nécessaire du représentant légal de l’enfant.

Conformément aux dispositions de l’article 370- 3 du Code civil, l’adoption requiert le consentement du représentant légal de l’enfant.

En droit français, on a admis la constitution d’un conseil de famille ad hoc sur le territoire français permettant aux membres du conseil de famille de consentir à l’adoption lorsque l’enfant n’a pas de filiation connue [12].

Un conseil de famille ad hoc pourra être constitué seulement lorsque les enfants sont de filiation inconnue.
En effet, il faut rappeler que d’après un arrêt rendu le 4 décembre 2013 par la première chambre civile de la Cour de cassation [13], «  le consentement de l’adoption ne peut être donné par le conseil de famille que lorsque les père et mère de l’enfant sont décédés, dans l’impossibilité de manifester leur volonté ou s’ils ont perdu leurs droits d’autorité parentale ou encore lorsque la filiation de l’enfant n’est pas établie ».

Ainsi, si les enfants ont été reconnus par leurs parents biologiques qui continuent d’exercer leur autorité parentale sur leurs enfants, le consentement du conseil de famille ad hoc sera sans effet devant les juridictions françaises.

Une adoption simple ne rompt pas les liens de filiation avec la famille d’origine de l’adopté et est révocable sous certaines conditions contrairement à l’adoption plénière rompant tout lien de filiation avec la famille d’origine et irrévocable. A l’inverse de la kafala qui permet de mettre fin au lien qui les unit aux enfants, les adoptants ne pourront plus rompre leur lien de filiation à l’égard des enfants une fois que l’adoption plénière aura été prononcée par le juge français.

Une fois l’adoption prononcée, les enfants pourront être inscrits sur le livret de famille et recevoir tous les droits patrimoniaux et sociaux auxquels ils auront droit en application de la loi française.

Cependant, la transformation d’une kafala en adoption est tributaire des aléas inhérents à toute procédure judiciaire car comme l’a énoncé récemment la Cour de cassation « la solution ne dépend pas de la seule constatation de l’acquisition de la nationalité française mais suppose l’examen d’une situation concrète relevant de l’office du juge du fond » [14].

Par souci de clarification, la circulaire du 22 octobre 2014 (relative aux effets juridiques du recueil légal en France) a exposé la situation juridique des enfants ayant fait l’objet d’une kafala en France.

La loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant modifie l’article 21-12 du Code civil. Ainsi, peut réclamer la nationalité française « l’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l’aide sociale à l’enfance ».

Sonia Ben Mansour Avocat à la Cour Doctorante à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

[1Versets 4 et 5, Sourate XXXIII.

[2La Turquie et l’Indonésie également.

[3Convention de la Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale.

[4Le Coran, Traduction de Jacques Berque.

[5Article 370-3 alinéa 2 du Code civil.

[6Article 370-3 alinéa 2 du Code civil.

[7Civ. 1ère, 10 mai 2006 : Dr. Famille. 2007, comm. 96, note M. Farge ; JCP G 2007, II, 10072, note M.Farge ; D.2007, p.816, obs. H. Fulchiron ; Defrénois 2007, p.133, note M. Révillard ; p. 307, note J.Massip ; AJF 2007, p.32 obs. A.Boiché ; RJPF 2007-1/35, note M-C Le Boursicot ; JDI 2007 comm.11, p.564, note C. Brière ; Civ.1ère, 9 juillet 2008, D. famille 2008, comm.133, note M.Farge ; Defrénois 2008, p.2181, note M.Révillard ; AJF 2008, p.394, obs.A.Boiché).

[8CEDH 4 octobre 2012, Harroudj c. France req. n° 43631/09.

[9Raisonnement de P. Murat, « Le refus de transformation en adoption », AJ famille, n°7-8, 2012.

[10Dans le même sens : Rép. Min. Justice n°000878 et 00293, JO Sénat, 30 août 2007, page 1545.

[11Paris 15 février 2011, AJ fam. 2011. 320, obs. Douris, n°10/127/18.

[12Civ. 1 ère, 30 septembre 2003, n° 01-02.630.

[13Civ 1ère, 4 décembre 2013, n°12-26.161 (1387 FS-P + B +I), AJ. Famille 2014, page 180, A. Boiché.

[14Civ. Avis, 17 décembre 2012 n°12-00013.

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