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L’expertise médico-psychologique et psychiatrique devant le juge aux affaires familiales. Par Vincent Ricouleau, Avocat.
Parution : vendredi 26 juin 2015
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Le juge aux affaires familiales ordonne de plus en plus une expertise médico-psychologique ou psychiatrique avant de statuer. Pour quelles raisons ? L’expert psychiatre ou psychologue ne bénéficie pas de l’aura de scienticité et d’objectivité des autres experts. Pourquoi ce préjugé de faillibilité ? Comment progresser dans l’intérêt du justiciable ?

Le juge aux affaires familiales affronte une multitude de situations familiales dont les différentes formes de parentalité, l’homoparentalité, l’immaturité parentale avec des parents adolescents, le déni de parentalité, le déni de paternité, le refus de l’enfant d’aller chez un parent, les aliénations parentales, les conflits culturels, les parents de bébé, séparés, un parent expatrié, un parent étranger, la revendication d’un droit de visite d’un ascendant ou d’un tiers non parent, dans un contexte ou non de violences physiques (et) ou psychologiques, tant pour les adultes, les adolescents et les enfants.

Afin de fixer la résidence d’un enfant ou un droit de visite et d’hébergement, à domicile ou dans un espace rencontres, le juge prend en considération conformément à l’article 373-2-11 du Code civil,
-  La pratique que les parents avaient précédemment suivie ou les accords qu’ils avaient pu antérieurement conclure
-  Les sentiments exprimés par l’enfant mineur dans les conditions prévues à l’article 388-1 du Code civil
-  L’aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respects des droits de l’autre
-  Le résultat des expertises éventuellement effectuées tenant compte notamment de l’âge de l’enfant
-  Les renseignements qui ont été recueillis dans les éventuelles enquêtes et contre-enquêtes sociales prévues à l’article 373-2-12 du Code civil
-  Les pressions ou violences à caractère physique ou psychologique exercées par l’un des parents sur la personne de l’autre

Si l’article 373-2-11 du Code civil mentionne expressément les enquêtes et les contre-enquêtes sociales, le terme « expertise » est mentionné sans autre précision.

Il s’agit en pratique de l’expertise médico-psychologique et psychiatrique. Un autre médecin spécialiste pourrait aussi être désigné pour faire une expertise suite à un accident vasculaire cérébral, à un accident diminuant la motricité etc…

Le juge aux affaires familiales peut en effet ordonner une expertise médico-psychologique ou une expertise psychiatrique afin de recueillir des informations relatives à la santé mentale ou au comportement – violences, tentatives de suicide, addictions, aliénation parentale, appartenance à une secte… - d’un membre de la famille, enfant, adolescent ou adulte.

Le JAF ordonne cette mesure avant dire droit lors d’une audience de conciliation, de mise en état, d’une requête, lors d’une procédure de référé.

Les voies de recours sont complexes comme le souligne le compte-rendu de la réunion du 22 mai 2014 de la commission famille du barreau de Paris auquel on se référera. L’inégalité face aux procédures entre les couples mariés et les concubins est avérée.

Encore faut-il bien évaluer la stratégie d’une procédure d’appel d’une décision avant dire droit ordonnant une expertise médico-psychologique ou psychiatrique et l’impact sur le juge la décidant.

L’expertise médico-psychologique est réalisée par un psychologue, l’expertise psychiatrique par un médecin psychiatre.

La qualité du recueil des informations, leur traitement et la rédaction des rapports sont hétérogènes.

L’expertise médico-psychologique s’apparente souvent à une enquête sociale moins approfondie, complétée par une analyse psychologique et des recommandations.

L’expertise psychiatrique donne lieu à un rapport purement médical, se concluant par un diagnostic médical, portant sur le constat ou non d’une pathologie avec des recommandations.

L’entretien, unique, se déroule dans le cabinet du psychologue ou du psychiatre.

La trame des deux expertises découle d’une pratique professionnelle, et non de textes précis comme pour l’enquête sociale.

Elle consiste à interroger la personne sur les antécédents familiaux, le père, la mère, la fratrie, les conjoints, les enfants, les antécédents scolaires et de vie sociale, le service national, les antécédents professionnels, les parcours, les relations avec autrui, l’environnement professionnel, les antécédents médicaux, les antécédents d’une détention, les maladies physiques, les troubles psychiques, la vie affective, sentimentale, sexuelle, les traitements médicamenteux, les projets personnels.

La plupart du temps, aucune mention n’est faite des conditions d’examen clinique, des grilles d’appréciation, des mesures, des repères, des normes ou des tests.

L’entretien unique est critiqué.

L’expert devrait s’entretenir avec la personne au moins à deux reprises et à des périodes différentes. Le premier entretien pourrait être à la date la plus proche de la désignation de l’expert et des faits.

Le deuxième pourrait se dérouler juste avant l’audience, permettant une réévaluation.

L’expert doit prendre le temps d’identifier le contexte familial, opposant ou consensuel, les pathologies, dépressions ou troubles du comportement, les addictions, les séquelles des tentatives de suicide passées ou présentes. La liste n’est pas limitative.

L’expertise ne peut être standardisée, chaque situation devant être considérée comme spécifique.

Une personne souffrant d’un stress post traumatique, suite à des violences physiques ou psychologiques, doit nécessairement être réévaluée.

Un personne souffrant d’un handicap invisible, notamment des troubles des fonctions exécutives, suite à un traumatisme crânien, doit aussi faire l’objet d’une expertise adaptée avec l’aide d’une neuro-psychologue. Une rééducation peut souvent améliorer le comportement et faciliter à terme les relations avec les enfants.

L’expert doit faire appel à des sapiteurs, neurologues, pédiatres, pédo psychiatres, gériatres, médecins (médecine physique et de rééducation), neuro-psychologues.

Expertiser un enfant, un pré-adolescent, un adolescent, un adulte, dans un contexte classique, ou transculturel, n’exige pas les mêmes compétences ni les mêmes expériences.

Le coût de l’expertise est néanmoins un obstacle certain.

La personne expertisée peut communiquer à l’expert les pièces médicales démontrant une guérison, un état stabilisé, une observance du traitement, un suivi spécifique, compatible par exemple avec la résidence d’un enfant à son domicile ou avec l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement, ou bien avec l’exercice de l’autorité parentale.

La communication du dossier médical répond à des règles bien précises. Le dossier médical n’est pas unique mais souvent épars chez les spécialistes. Il faut un certain temps pour réunir les pièces. L’expert peut s’en charger avec l’accord du justiciable.

En cas d’hospitalisation d’office, ou sur demande d’un tiers, le détenteur des informations peut estimer que la communication doit avoir lieu par l’intermédiaire d’un médecin. Dans ce cas, il en informe l’intéressé. Si le demandeur refuse de désigner un praticien, le détenteur des informations saisit la commission départementale des hospitalisations psychiatriques. Le demandeur peut également saisir cette commission de son côté. L’avis de celle-ci est notifié au demandeur et au détenteur des données. Il s’impose à eux, conformément à l’article L.1111-7 du CSP.

Certains spécialistes remettent en question les expertises médico-psychologiques et psychiatriques au profit d’expertises de santé mentale.

Un consensus clinique et juridique de l’expertise mentale est souhaité, afin d’améliorer la trame tout en laissant l’expert totalement indépendant.

Le caractère contradictoire de l’expertise est souvent discuté.

Aucun texte n’interdit la présence de l’avocat. Mais la présence de l’avocat pourrait être qualifiée d’intrusive.

Dans la pratique, l’avocat n’est jamais présent.

L’avocat, sans formation en psychologie ou en psychiatrie, ne serait guère en mesure de rédiger des dires comme dans les autres expertises, notamment en matière de préjudice corporel.

L’article 276 du CPC dit que l’expert doit prendre en considération les observations ou réclamations des parties et lorsqu’elles sont écrites, les joindre à son avis si les parties le demandent.

Ce principe n’est pas appliqué lors des expertises médico-psychologique et psychiatrique. Mais tant que le rapport n’est pas déposé, le justiciable peut informer l’expert d’éléments nouveaux via son avocat, qui devra respecter le principe du contradictoire.

L’avocat peut solliciter la récusation de l’expert mais impérativement avant le commencement de la mission.

L’avocat peut aussi solliciter une contre-expertise sur le fondement des articles 245 et 283 du CPC, avec une nouvelle mission et la désignation d’un autre expert.

L’article 373-2-12 interdit d’utiliser le rapport d’enquête sociale au titre des causes du divorce alors que le rapport d’expertise médico-psychologique et psychiatrique peut l’être.

Les spécificités des procédures devant le juge aux affaires familiales et le juge des enfants ne facilitent pas le travail de l’expert.

L’article 1187-1 du CPC dit que le juge des enfants communique au juge des affaires familiales ou au juge des tutelles les pièces qu’ils sollicitent quand les parties à la procédure devant ces derniers ont qualité pour consulter le dossier.

Le juge des enfants peut ne pas transmettre certaines pièces lorsque leur production ferait courir un danger physique ou moral grave ou mineur, à une partie ou à un tiers.

La difficulté est de savoir quelle stratégie procédurale adopter lorsque deux experts différents sont nommés par le JAF et le JE, notamment pour un enfant ou un adolescent, avec des conclusions divergentes.

La règle est que les parties ne peuvent en aucun cas utiliser les expertises ordonnées par le juge des enfants dans d’autres procédures.

Par contre, il est impératif que l’expert, psychologue ou psychiatre, ait accès à toutes les sources, lui permettant de dater les troubles et d’évaluer l’évolution.

La pénurie des psychiatres et des pédo psychiatres ne facilite ni le recrutement, ni la formation d’experts judiciaires.

Les juges aux affaires familiales rencontrent des difficultés à nommer des experts, déjà débordés, et les remises tardives des rapports rendent complexe la rédaction d’un jugement en phase avec la situation réelle des justiciables.

Si la loi énonce que le magistrat n’est pas tenu de suivre les conclusions des experts, la pratique démontre pourtant la tendance contraire.

Le dépôt d’un rapport d’expertise médico-psychologique ou psychiatrique devant le JAF ne fige pas le dossier. L’avocat, dans certaines longues procédures, notamment devant les cours d’appel, devra avoir une véritable stratégie médicale en communiquant des certificats médicaux, des bilans médicaux, des bilans neuro-psychologiques, ou d’autres rapports d’expertise, afin de démontrer l’amélioration d’un état médical.

Un des enjeux est que l’expertise médico-psychologique et psychiatrique ne doit pas devenir un avatar du pouvoir du juge aux affaires familiales. Une volonté de réforme de l’expertise médico-psychologique et psychiatrique est en tout cas attendue.

Bibliographie

L’aide mémoire de l’expertise civile psychiatrique et psychologique de Geneviève Cedile, Gérard Lopez Dominique Labadie, - DUNOD –
Compte Rendu de la réunion du 22 mai 2014 de la commission famille du barreau de Paris, réalisé par Anne-Lise Lonné-Clément. Rédactrice en chef de Lexbase hebdo.
Revue Esprit de mars- avril 2015

Vincent Ricouleau Professeur de droit -Vietnam - Titulaire du CAPA - Expert en formation pour Avocats Sans Frontières - Titulaire du DU de Psychiatrie (Paris 5), du DU de Traumatismes Crâniens des enfants et des adolescents (Paris 6), du DU d\\\'évaluation des traumatisés crâniens, (Versailles) et du DU de prise en charge des urgences médico-chirurgicales (Paris 5)
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