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Concurrence d’un ancien salarié : mieux vaut prévenir que guérir. Par Marie-Sophie Vincent, Avocat.
Parution : lundi 29 juin 2015
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Le souhait d’un ancien salarié d’exercer une activité concurrente de celle de son employeur est fréquent : il convient donc d’anticiper cette situation lors de la conclusion du contrat de travail.

Lorsqu’une société est informée d’actes de concurrence émanant d’anciens salariés, elle a un intérêt économique évident à les faire cesser. Schématiquement, deux situations se présentent alors :
- une clause de non concurrence valable a été insérée dans le contrat de travail : la concurrence de l’ancien salarié est alors prohibée,
- aucune clause de non concurrence n’a été prévue pendant la relation de travail : au nom de la liberté du commerce et de l’industrie, la concurrence est libre, dès lors qu’elle ne s’accompagne pas d’un acte déloyal.

Pour déterminer s’il est de l’intérêt d’une société d’insérer une clause de non concurrence dans le contrat de travail d’un salarié, il faut comparer les libertés offertes à l’ancien salarié en l’absence de clause, et les contraintes auxquelles il est soumis en cas d’application d’une telle clause.

Dans le premier cas, sa liberté est totale sous la seule réserve du parasitisme et de la concurrence déloyale, (I), tandis que dans le second cas, la concurrence du salarié est illicite et l’employeur dispose de moyens pour la faire cesser (II). La comparaison tend à prouver que l’employeur a un fort intérêt à intégrer une clause de non concurrence dans le contrat de travail, ce d’autant plus qu’il peut en dispenser son salarié lors de la rupture du contrat de travail sans bourse délier s’il considère qu’il n’est pas exposé à un risque de concurrence (III).

Qu’est-ce que la concurrence déloyale et le parasitisme de l’ancien salarié ?

Sans clause de non concurrence, un ancien salarié peut exercer une concurrence directe : ainsi, par exemple, un coiffeur peut créer un salon de coiffure à proximité de son ancien lieu de travail, et accueillir la clientèle de son ancien employeur. Ce dernier ne pourra pas faire cesser cette concurrence, sauf à démontrer qu’elle est déloyale.

La jurisprudence récente fournit de nombreux exemples de ce qu’il convient de nommer concurrence déloyale. Peuvent par exemple constituer des actes de concurrence déloyale, l’embauche massive du personnel d’une entreprise concurrente ayant pour effet de désorganiser cette dernière, le fait de proposer une rémunération très supérieure à celle dont l’ancien salarié bénéficiait auparavant, le détournement significatif de clientèle…
A été considéré comme un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d’une société, entraînant sa désorganisation ; tel est le cas du débauchage, sur une période d’un an, de l’intégralité du service technique (trois salariés) d’une société, salariés ayant régulièrement bénéficié de formation à des techniques spécifiques [1] [2].

Sont également constitutifs d’actes de concurrence déloyale le démarchage fautif de la clientèle de l’ancien employeur, par l’utilisation sans droit du fichier clients [3].
De même en est-il de l’imitation par un salarié d’actifs économiques de son employeur de nature à susciter un risque de confusion ou de laisser penser qu’il existe un lien direct entre les produits distribués par le salarié et ceux distribués par l’employeur [4].
Le parasitisme se rapproche de l’acte de concurrence déloyale. Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis [5].
Un ancien salarié qui recourt ou s’inspire d’un actif de son employeur peut être reconnu coupable de parasitisme, dès lors que l’appropriation ou l’utilisation de cet actif cause un préjudice à celui-ci.
En revanche, n’est pas assimilable à du parasitisme le fait pour un ancien salarié d’utiliser la copie de documents contractuels de son ancien employeur, si ce dernier ne peut pas démontrer avoir consenti un quelconque investissement pour concevoir ces documents [6].

De même, la création par un ancien salarié d’une société concurrente de celle dans laquelle il était auparavant employé n’est pas constitutive d’actes de concurrence illicite ou déloyale, dès lors que cette création n’était pas interdite par une clause contractuelle et qu’elle n’a pas été accompagnée de pratiques illicites de débauchage de personnel ou de détournement de clientèle, le seul déplacement de clientèle vers une entreprise concurrente ne constituant pas un acte de concurrence déloyale en l’absence de manœuvres ou procédés déloyaux [7].

Ces exemples jurisprudentiels permettent de prendre conscience de l’intérêt pour l’entreprise de limiter contractuellement l’action concurrentielle de son ancien salarié.

La concurrence illicite d’un salarié soumis à une clause de non concurrence.

Si le salarié contrevient à l’exécution d’une obligation de non concurrence, l’employeur peut agir devant le conseil de prud’hommes contre son ancien salarié et devant le tribunal du commerce à l’encontre du nouvel employeur de ce salarié.

L’avantage de la situation est que la victime de ces actes de concurrence n’aura pas à prouver la concurrence déloyale, mais uniquement des actes de concurrence, dès lors qu’ils répondent aux critères définis par la clause. Par exemple, le fait d’aller travailler dans une société concurrente pour y exercer le même type de fonctions.

Les condamnations prononcées à l’encontre de l’ancien salarié ayant violé son obligation de non concurrence peuvent être sévères, et sans lien avec le montant du salaire, puisque fonction du préjudice subi par l’ancien employeur. Ainsi, par exemple, un salarié n’ayant pas respecté la clause de non concurrence prévue dans son contrat, a été condamné à payer la somme de 120 000 € à son ancien employeur [8].

Une clause de non concurrence peut également être assortie d’une clause pénale, laquelle permet de fixer par avance le montant des sommes dues par le salarié s’il venait à violer son obligation de non concurrence.

Et une telle clause peut valablement prévoir qu’en cas d’infraction à l’interdiction de concurrence, la société pourra obtenir le paiement de l’indemnité forfaitaire, et la réparation intégrale du préjudice subi [9].

A l’évidence donc, si une société veut préserver son activité économique contre des actes de concurrence émanant d’anciens salariés, elle sera protégée par une clause de non concurrence.

Prévoir la clause de non concurrence ne signifie pas nécessairement la mettre en œuvre.

Pour rappel, une clause de non concurrence prévue au contrat de travail initial ou dans un avenant n’est licite que pour autant qu’elle soit limitée dans le temps, dans l’espace, qu’elle tienne compte des spécificités de l’emploi du salarié, qu’elle soit justifiée par la protection des intérêts légitimes de l’employeur, et qu’une contrepartie pécuniaire non dérisoire soit versée au salarié. Certaines conventions collectives peuvent prévoir des dispositions plus favorables que les dispositions contractuelles, lesquelles seront alors opposables à l’employeur.

Comme démontré, l’inclusion d’une clause de non concurrence dans un contrat de travail n’est pas neutre : peu de salariés y attachent de l’importance lors de la signature de leur contrat de travail, persuadés qu’une telle restriction à leur liberté future d’emploi se négociera lors de leur départ de l’entreprise, ce qui n’est pas toujours le cas, principalement pour les salariés détenteurs d’informations sensibles ou de commerciaux en contact avec la clientèle.

L’employeur se dispense parfois de soumettre une clause de non concurrence à l’approbation de son futur salarié, soucieux de ne pas exposer les frais liés à la contrepartie pécuniaire lors du départ du salarié. Or, cette contrepartie pécuniaire n’est versée qu’au départ du salarié.

Et l’employeur peut aisément, sous réserves du respect d’un formalisme minimum, lors de la rupture du contrat de travail du salarié, s’exonérer de tout paiement en contrepartie de sa renonciation au bénéfice de la clause de non concurrence.

Son inclusion au contrat, permet de laisser le choix à l’employeur de lever ou d’exiger l’exercice de cette clause de non-concurrence, liberté dont il se prive en ne prévoyant rien.

La jurisprudence récente démontre que le souhait d’un ancien salarié d’exercer une activité concurrente de celle de son employeur est fréquent : il convient donc d’anticiper cette situation lors de la conclusion du contrat de travail.

Marie-Sophie VINCENT Avocat à la Cour d\\\\\\\'Appel de Paris Spécialiste en Droit Social www.vincent-avocat.paris

[1Cass Com. 3 mars 2015 pourvoi n° 13-18164.

[2Com. 14 avril 2015 N° de pourvoi : 13-26527 : caractérise une concurrence déloyale « le caractère massif, simultané et planifié du recrutement de vingt-sept des trente membres de l’équipe en charge de l’activité d’actuariat au sein (d’une société) , constituée de salariés d’un niveau de qualification élevé et très spécialisés, incluant les deux associés la dirigeant, et l’appropriation de la clientèle et du chiffre d’affaires correspondant qui devait inéluctablement en résulter caractérisent des manœuvres déloyales ayant eu pour objet et pour effet d’entraîner la désorganisation complète du département d’actuariat conseil de (la société), dont l’activité a été ainsi brutalement et durablement anéantie ».

[3Cass Com. 3 mars 2015 pourvoi n° 13-18164.

[4Ce lien peut notamment transparaitre de la nature des produits distribués, des supports de communication utilisés, notamment de leur code couleur, ou des méthodes de communication adoptées (CA Aix-en-Provence, chambre 17, 5 Mars 2013, N°RG 12/00250, à propos d’une concurrence exercée pendant l’exécution du contrat de travail).

[5La Cour d’appel de Paris définit précisément le parasitisme comme « la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissement » (CA Paris, 4e B, 18 mai 2005).

[6Com. 10 février 2015 pourvoi N° 13-24399.

[7Com 11 mars 2014 pourvoi n° 13.11114.

[8Soc.20 novembre 2013 N° de pourvoi : 12-20074.

[9Soc.27 novembre 2013 pourvoi n° 12-20537.

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