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Chronique de votre carrière (17) : dans les secrets d’un chasseur de têtes...
Parution : lundi 29 juin 2015
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Je reçois avant les vacances Igor Quezel Péron, du cabinet Éric Salmon & Partners. Le sujet de cette chronique sera « Dans les secrets d’un chasseur de tête ». Le but est de balayer les idées reçues, de faire un état du marché de l’emploi aujourd’hui et d’expliquer ce que les professionnels du recrutement ne disent pas.


Mireille Garolla : Igor Quézel Péron, merci de vous prêter à cet exercice. L’idée est de partager les conseils qu’un professionnel de l’Exécutive Search pourrait donner à un candidat et balayer tous les poncifs et les idées reçus sur ce qu’on peut attendre d’un cabinet de recrutement de haut niveau. Tout d’abord y a-t-il des critères d’âge pour s’adresser à un cabinet d’exécutive search ?

Igor Quézel Péron : Pour s’adresser à un cabinet de recrutement de cadres dirigeants, il faut à minima 35 ans. Les plus jeunes sont des trentenaires pour des poste de chef de cabinet ou de conseil déjà assez capé. Mais je crois que vous voulez toucher au sujet concernant l’âge maximum. La France est le vilain canard de l’Europe, même si la capacité à trouver un emploi concernant les 50-55 ans s’améliore aujourd’hui. Dans le discours, du moins, les personnes sont plus ouvertes. La réalité reste dure. On arrive donc à une chose aberrante : les chasseurs de tête devraient présenter des personnes de 35-45 ans uniquement. La vie professionnelle durerait 10 ans. Ce qui pose un vrai problème économique. L’évolution est trop lente. Nous pouvons avoir des postes pour des plus de 60 ans, mais c’est plus rare.

MG : Quel conseil donneriez-vous à des candidats en fonction de leurs classes d’âge ?

IQP : Jusqu’à 35 ans, les opportunités sont là. On a vécu des périodes plus glorieuses. Mais, comme on est dans une logique d’investissement, le marché reste facile. Cependant, on est dans un marché de client. Et, il s’est radicalisé sur des parcours lisses, linéaires sans heurts alors que ces derniers sont de plus en plus rares. J’ai, à ce propos, récemment discuté avec un DRH de 55 ans. Il me disait « la leçon, c’est le volume ». Selon lui, il faut 100 contacts pour obtenir 10 pistes et finalement 1 offre. C’est-à-dire que là où il fallait 30-40 contacts en 2007, il en faut aujourd’hui 3 ou 4 fois pour la même chose. Et, l’énergie nécessaire à déployer pour décrocher un emploi doit être proportionnellement plus grande. C’est un programme de travail qui doit prendre en compte cela quand on cherche un travail en 3 mois.

A propos des techniques d’approche, je dirai de se méfier du mail. Un clic n’est pas suffisant. L’email offre parfois trop de facilité. Et nos boîtes de réception sont engorgées. Les emails manquent de personnalisation. Parfois, je vois même que les autres chasseurs de tête sont en copie. L’email ne doit pas s’affranchir d’une approche de qualité. Un email de 4-5 lignes est suffisant pour effectuer une approche personnalisée et une présentation de sa différentiation. Le volume a besoin d’être qualitatif pour faciliter et accélérer le contact. Le volume doit être intelligent.

MG : Entendu. Ces remarques sont pour les personnes qui s’adressent à votre cabinet d’Exécutive Search. Mais, que diriez-vous aux jeunes qui ne s’adressent pas à ce type de cabinet, aux personnes de plus de 57 ans environ. Ils passent par des cabinets de recrutement parfois. Mais c’est compliqué. Ils passent sinon par LinkedIn et Viadeo. Pour ces 2 catégories extrêmes dont on parle beaucoup en France, quels trucs et astuces auriez-vous à partager pour se différencier. Si l’effet volume joue pour les catégories employables dont vous parliez, que peuvent-ils faire de plus ?

IQP : Malheureusement, il n’y a pas de baguette magique sur le marché. Les candidats aimeraient qu’on leur donne les 2-3 conseils qui vont tout régler. Pour ces deux catégories, mes conseils s’appliquent aussi à eux. Cela me fait penser à ma fille qui fait une école de commerce qui me dit qu’il n’y a plus de stage en France. Elle me dit accablée qu’elle a déjà envoyé 9 emails ! Je lui explique donc aussi l’importance du volume d’action.

Quant à la situation des jeunes... juste un point. Les salaires de sortie d’école sont en baisse. Ils n’ont pas évolués, en euros constants, par rapport à la sortie de nos écoles. Mais, les clients cherchent toujours des jeunes avec des têtes bien faites, diplômés ou pas. Ils ne passent pas par nous. Il y a des opportunités à l’internationale ou dans les PME. Mais attention à sa carrière à la sortie d’une PME. Il y a quelque chose de surprenant dans les études scolaires : on ne passe que très peu de temps à se demander comment on approche le marché du travail. Avant, lorsque le marché du travail était facile jusqu’en 1991, ce travail était moins nécessaire. Aujourd’hui, il l’est ! Et, ce que les jeunes pourraient faire c’est commencer par se connaitre un peu. Travailler sur ce qu’ils aiment et ce qu’ils pourraient apporter à une entreprise. Il faut au moins qu’ils apportent des briques pour pouvoir envisager un travail de construction.

MG : Personne ne demande de faire ce type de travail. Même des personnes de 50 ans. Ils ne se demandent pas qui ils sont et ce qu’ils peuvent apporter. Certains arrivent avec une approche de couteau suisse en précisant qu’ils peuvent tout faire. Le DRH doit choisir. Et dans ce cas, la réponse est facile. Pour tel poste, on leur dit qu’une expérience n’a pas été assez approfondie ; qu’une autre expérience a été faite à un mauvais moment. La personne est de facto recalée. La première chose que je demande à mes clients est de fermer leur éventail. Définissez ce que vous êtes ou au moins ce que vous n’êtes pas. A partir de là, vous éviterez de vous faire recaler pour des choses que vous n’avez pas envie de faire. Ce sera meilleur pour moral.

IQP : Pour rassurer nos auditeurs, j’ajouterai qu’il est difficile de savoir ce que l’on veut parfois.

MG : Je serai hors job si cela était facile !!

IQP : Et cela peut arriver à 25, 40 et 50 ans. On ne sait plus. Le marché vous a exclu pour des problématiques de compétence ; On a des rêves pour tel ou tel secteur qui sont à l’état de rêve. Et on est dans une situation de rupture. Mais, moi, je ne peux pas travailler à la fois sur le versant personnel et professionnel. C’est la personne, elle, doit prendre les deux versants.

MG : La personne doit prendre les deux. Sinon, il y a un « mismatch ».

IQP : Tout à fait. Et, le « match » c’est quoi ? C’est la convergence entre un projet personnel et un marché. La personne doit, avant tout, savoir si elle veut être dompteur de lion ou CFO. Et prendre conscience ensuite que le marché est plus petit si on veut être dompteur de lion. Moi, je suis un optimiste. Les gens n’ont pas à être désespérés. Parfois on est perdu lors d’une rupture. Et dans ce cas, il y a des personnes comme vous, Mireille, qui aidez à prendre du recul et à reprendre confiance dans leur projet personnel et professionnel.

Une fois qu’on sait ce qu’on veut et qu’on connait son marché, il faut avoir confiance et batailler comme un lion ! Et la bonne nouvelle est qu’il y a un marché pour quelqu’un qui a une démarche et un projet précis. Nous, nous avons une activité en croissance portée par l’international bien sûr mais aussi portée par des groupes français. Et cela fonctionne quand les démarches sont actives, authentiques et optimistes, que les projets sont précis, et qu’on connaît les deux ou trois choses que l’on aime faire. Après, tous les chemins ne sont pas linéaires et les embuches sont présentes. Aujourd’hui, en réalité, on apprend l’échec. Et à l’école, on n’apprend pas la philosophie de l’échec.
Les entreprises suivent d’ailleurs la même mouvance. Elles ont un changement de paradigme et de modèles. Elles se reconfigurent. Dans ce contexte, notre but est surtout de leur donner des clefs pour se repositionner.

MG : le deuxième grand thème que je voulais aborder était la flexibilité des parcours et des métiers ; La France apparait comme étant très rigide sur ce point ? Y a-t-il une amélioration ?

IQP : Non, je crois que c’est l’inverse !

Dans le discours, certains DRH sont ouverts. Ils nous demandent d’être créatifs dans la recherche d’un profil. Ils nous demandent de rechercher des personnes selon notre l’analyse des compétences. Ils aimeraient avoir dans la short liste des profils auxquels ils n’auraient pas pensé. Donc, dans les mentalités oui, il y a une évolution.
Seulement, la crise a l’effet inverse. Quand on mesure les investissements, quand les décisions sont collectives, quand on a besoin de se réassurer et quand le marché le permet, on se crispe sur les critères. Dans la réalité, c’est difficile de faire passer quelqu’un qui n’a pas toutes les expériences requises mais une personnalité et des compétences adaptées. On doit batailler pour cela. Et c’est notre rôle. Mais, cela reste toujours beaucoup plus difficile que dans les pays anglo-saxon. C’est dommage. Et, je dirai même que c’est un drame humain.

MG : Je pense à un parcours très particulier. C’est celui de l’entrepreneuriat. J’ai beaucoup de clients qui y pensent. Que conseillerez-vous à quelqu’un qui a essayé de lancer sa société ou qui va se lancer dans l’entreprenariat ? Que ce soit en création ou en reprise d’entreprise. Et, comment valorisez-vous l’essai de quelqu’un qui vient de subir un échec ?

IQP : C’est une question importante car, effectivement, certains en difficulté et pétrifiés par le marché de l’emploi se disent pourquoi ne pas créer une société. Excellente idée, il faut des entrepreneurs d’un point de vue macroéconomique. Mais c’est quand même très compliqué. Cela nécessite une capacité de rebond, un optimisme et une capacité d’adaptation à tout crin !! Il faut se tester sur ces qualités. Car, dès le premier jour de lancement, un entrepreneur va faire face à 3 évènements au moins qui vont lui dire que cela ne va pas marcher. Cela peut être lié à son entourage, son produit ou son marché. La persévérance dans l’entreprenariat est un grand sujet ? Jusqu’où faut-il persévérer ? Un mental d’acier et un projet précis sont nécessaires. Mais, il reste toujours des fluctuations importantes. Vous savez bien que le business model de départ n’est jamais le même à l’arrivée.
C’est important de préciser le temps qu’on se donne et de se lancer en prenant en compte ses limites financières. Sans cela, il peut y avoir le risque de mettre en péril toute sa famille. Ensuite, est-ce que je valorise ? Oui évidement je valorise ! Prendre des risques, persévérer, se battre seul, c’est remarquable. Il y a des cas de réussite alors que personne n’y croyait. J’ai autour de moi des amis de 50 ans en qui personne ne croyait. Et finalement, ça marche. Dans tous les cas, il y a un prérequis : avez-vous en vous le mental pour le faire ? Et puis, ensuite, il faut avoir l’honnêteté de se dire j’arrête et je recommence ma vie dans une entreprise. Ceux qui ont mesuré tout cela, ceux qui ont vraiment envie, allez-y !

MG : Aujourd’hui, pensez-vous que certains secteurs ou certaines fonctions sont plus demandées que d’autres ?

IQP : Au niveau mondial tout va bien dans tous les secteurs. En France, la santé va bien. La distribution, même s’il y a une baisse de la consommation, va bien parce qu’il y a une remise en cause des modèles avec l’e-commerce, le merchandising. Il y a moins de postes dans l’industrie en France c’est vrai. L’industrie évolue en Inde, en Allemagne, au Japon, en Malaisie, moins en France. 70% de mes missions concernant les fonctions dirigeantes dans l’industrie sont dans ces pays. Mais à l’échelle d’un individu, il y a toujours des besoins. On recherche toujours des bons directeurs commerciaux, DG, directeur industriel etc… S’il y a un job il faut aller le chercher !

MG : Que conseillerez-vous à quelqu’un qui a fait un type de poste pour une société étrangère dans les 10 dernières années qui est rentré dans son pays ? Lui conseillerez-vous de changer de poste ou de réessayer le même poste dans une société française ?

IQP : En France, c’est difficile de changer de secteur et de métier. Tout est possible. Tout dépend de l’énergie qu’on veut y mettre. Car il y a un tri. Un CFO dans l’agro et qui veut devenir DG dans un autre secteur, ce n’est pas évident. Il trouvera peut-être par son réseau. Mais par l’analyse rationnelle de sa vie professionnelle, ce sera compliqué.
A nouveau, il faut avoir un projet et démontrer de ces capacités. Il y a, je crois, de plus en plus de CFO qui deviennent DG. Mais, il faut se mettre dans la configuration où l’entreprise peut croire en l’évolution et au changement proposé. A nouveau, il faut se connaitre et savoir ce qu’on aime faire. Il faut se recentrer sur le projet qu’on a à proposer. Et, derrière on en fait un plan de travail.

MG : Etes-vous appelés pour des missions autres que des recherches de salariés en CDI ? Des CDD, des conseils à d’administration, tout autre chose que le CDI dont on dit qu’il est mort ?

IQP : Le CDI classique n’est pas si mort que cela. On fait, effectivement, des recherches d’administrateurs pour des sociétés de taille diverse. On fait aussi de l’évaluation de conseil d’administration, l’évaluation de dirigeant en cas de fusion ce qu’on appelle l’assessment.

Mireille Garolla Associé gérant de Group3C Executive coach spécialisée en transition professionnelle Auteur de : Changer de Vie en milieu de Carrière chez Eyrolles
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