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Les coproductions franco-chinoises par Sébastien Lachaussée, Avocat et Victoria Poncet.
Parution : mardi 30 juin 2015
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Alors que le "Dernier Loup" de Jean Jacques Annaud, coproduction franco-chinoise de 38 millions d’euros est sorti dans les salles françaises en cette fin février 2015, nous vous proposons un état des lieux des relations franco-chinoise en matière cinématographique. La montée en puissance de l’industrie cinématographique chinoise est indéniable depuis plusieurs années, et pour le cinéma français l’année 2013 fut celle des records d’exploitation des films français en Chine.

La Chine est devenue, en termes de recettes, la deuxième terre d’exportation pour le cinéma hexagonal, où la catégorie « art et essai » trouve naturellement son public. Il pratique pourtant une réglementation qui n’a rien à envier à notre exception culturelle nationale. En effet les importations de films étrangers en Chine sont soumises à des quotas très stricts assortis, sur certaines périodes de l’année, connues pour leur forte fréquentation (Noël, Saint-Valentin, etc.), de politiques ultra-protectionnistes instaurant par exemple « le mois du cinéma chinois » et réduisant d’autant la présence de films étrangers sur leurs écrans. C’est donc fort du constat selon lequel pas plus de 4 à 5 films français par an sortaient sur les écrans chinois, que le gouvernement français signa, le 29 avril 2010, avec la république populaire de Chine, un accord de coproduction cinématographique, qui permet aujourd’hui d’augmenter les possibilités de coopération.

Le premier intérêt de l’accord consiste en la mise en place d’un régime de réciprocité des droits, avantages et subventions réservés aux films nationaux. Ainsi le film coproduit est alors considéré comme chinois en Chine et français en France, ce qui permet notamment aux films français de contourner les obstacles des quotas et aux films chinois d’accéder aux financements français. L’accord concerne les œuvres cinématographiques de toutes durées, sur tous supports et quel que soit leur genre, à condition que la première diffusion s’effectue dans les salles de cinéma. Il pose également comme condition que le film obtienne un agrément de l’autorité respective de chaque pays, à savoir du CNC en France et de l’Administration nationale de la Radio, du Film et de la Télévision (SARFT) en Chine. Les collaborateurs artistiques et techniques doivent avoir la nationalité française, chinoise ou ressortir d’un Etat membre de l’UE ou de l’EEE et les prises de vues doivent s’effectuer sur le territoire de l’un ou l’autre des pays signataires. Si toutes ces conditions sont respectées, la part des coproducteurs de chaque pays pourra varier de 20 à 80% du coût de l’œuvre.

Du point de vue français cet accord permet aux coproductions qui jouent le jeu de contourner les règles du marché verrouillé chinois, et donc de sécuriser potentiellement la distribution de films à venir, tout en bénéficiant d’une part plus importante sur les revenus du box-office exponentiel de la Chine. Les producteurs chinois, quant à eux, peuvent désormais produire en France à moindre coût et accéder à un savoir faire français de renommée en la matière, via un transfert de technologie, semblable à ceux observés dans d’autres industries. La Chine cherche également à trouver de nouveaux sujets de fond pour ses séries télévisées, qui peinent à concurrencer les séries étrangères, en s’inspirant notamment de modes de vie « exotiques » dont ses téléspectateurs chinois sont friands. En 2011 les films coproduits par la France et la Chine ont donc connu une croissance de 30% et le montant des tournages chinois en France a été multiplié par dix entre juin 2010 et juin 2011, atteignant 5 millions d’Euros. Depuis, une augmentation des tournages sur chacun des territoires a été constatée et huit coproductions seraient en cours, dont trois réalisées. Mais le succès ne peut jamais être garanti. Ainsi « Le promeneur d’oiseau » de Philippe Muyl, également issu d’un accord de coproduction franco-chinois et sorti en mai 2014, n’a fait qu’une centaine de milliers d’entrées dans l’Hexagone. Les prochaines coproductions mettront donc en lumière la réussite ou l’échec de cette tentative de partenariat. A titre d’exemple l’accord a permis à Loull Production (société française) et Edko Films Ltd (société chinoise) de coproduire le prochain film de Jean-Jacques Annaud, « Le Dernier loup ». Le réalisateur a également signé un nouveau film en coproduction, s’inscrivant dans un accord stratégique plus large de partenariat avec la Chine, d’un montant d’une quarantaine de millions d’euros pour deux films dans les trois prochaines années. Le prochain film du réalisateur devrait ainsi porter sur le règne controversé de l’impératrice chinoise Cixi. Parmi les autres projets expérimentaux « Portrait de femme » réalisé par Charles de Meaux et le film d’animation « 108 rois démons », réalisé par Pascal Morelli, devraient sortir en 2015.

Mais toutes les difficultés ne sont pas pour autant balayées par cet accord. Les entreprises de production du projet doivent être certifiées dans leurs territoires respectifs, mais surtout le SARFT, via sa mission de délivrance des visas, procède à un contrôle artistique. Il en résulte que l’industrie de l’audiovisuel chinois est déchirée entre les nouveaux impératifs du marché de loisir et le contrôle idéologique du contenu par l’Etat. La violence et les scènes de nudité sont en effet presque systématiquement corrigées et une attention toute particulière est portée à la représentation de la culture chinoise à l’écran. Par ailleurs si cet accord permet à un petit nombre de projets de s’affranchir des quotas chinois, il ne les fait pour autant ni disparaître ni évoluer, même si les négociations sur ce point enregistrent quelques lents progrès.

Par ailleurs, l’Accord restreint son périmètre à la Chine continentale, excluant notamment Taiwan. L’ile est pourtant perçue comme l’un des points d’entrée à privilégier pour conquérir le marché audiovisuel asiatique et elle est d’ailleurs la source de nombreuses productions à succès sur les écrans chinois. Pour les producteurs français Taiwan représente un double avantage : Tout d’abord l’ile est de loin la région d’Asie avec laquelle la France a le plus d’affinités, ce qui engendre un réel désir de collaboration, exprimé à plusieurs reprises. Par ailleurs elle réserve également un accueil plus chaleureux aux projets subversifs ou plus "auteurs" et elle dispose d’une réelle compréhension du marché chinois, car elle l’expérimente depuis longtemps. Combinés à ses capacités de création, l’ile peut être mise à profit par les producteurs étrangers. Enfin Taiwan constitue d’ores et déjà un point d’entrée du marché asiatique pour les productions étrangères puisque les chinois profitent de l’absence de barrières douanières pour se procurer les films étrangers qui ne sortent pas en Chine. Aujourd’hui les producteurs désireux de se tourner vers Taiwan pour leurs projets cinématographiques doivent s’adresser à la commission du Film de Taipei et suivre une kyrielle de procédures d’autorisations, certes plus légères que dans d’autres réglementations, mais toujours contraignantes. Le film « Papa Lanternes », réalisé par Alon Chan et issu d’une coproduction franco-chinoise réunit toutefois des lieux de tournage et des comédiens français, chinois et taiwanais, ce qui signifie que toute coopération cinématographique entre ces trois territoires n’est pas impossible.

Sébastien Lachaussée, Avocat Lachaussée Avocat est un cabinet d'avocat dédié au secteur des médias et des nouvelles technologies. _ [->sl@avocatl.com] _ www.avocatl.com