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Obligation de conseil du Courtier-IOBSP en crédits : premiers éclairages sur sa réparation. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : jeudi 2 juillet 2015
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Sans surprise, depuis le 15 janvier 2013, le Courtier-IOBSP (Intermédiaire en Opérations de Banque et en Services de Paiement) est débiteur d’une obligation de conseil à l’égard de l’emprunteur. Cette obligation de conseil est encore moins discutable dans une espèce où l’emprunt n’est que l’un des éléments d’une opération plus globale, visant un investissement immobilier.
Restait à déterminer le quantum de la réparation due à l’emprunteur, en cas de manquement du Courtier en crédits dans cette obligation de conseil. Donc, son fondement juridique et ses modalités d’application.
Cour de cassation, Civ. 1ère, 16 avril 2015, N°13-15.858.

La Cour de cassation [1] apporte une première réponse. Celle-ci reste, sans doute, insuffisante du point de vue de la théorie juridique et du cas de figure, désormais central, de l’acquisition de crédits conjuguant le plus souvent le travail d’un Courtier, distributeur, et d’une Banque, fournisseur.

L’emprunteur, client du Courtier, constate un préjudice du fait du défaut de conseil.

Un particulier se tourne vers un Courtier-IOBSP, Intermédiaire en crédits, pour obtenir un emprunt destiné à un investissement immobilier.
Cet investissement immobilier s’avérant finalement peu ou non rentable, l’emprunteur assigne à la fois l’IOBSP et l’établissement de crédit en indemnisation de ses préjudices : erreur dans le calcul du coût de cet emprunt, erreur dans le calcul des charges annexes de l’opération et conseil inapproprié sur l’avantage du crédit au regard de sa situation personnelle.

La Cour d’appel constate factuellement le travail complet du Courtier : outre l’étude de financement et la négociation du crédit pour le compte de l’emprunteur, comme attendu, le Courtier pilote également le projet global d’investissement immobilier, et pratique activement la coordination entre les différents spécialistes et fournisseurs en présence.

La Cour d’appel déduit de ces faits que le Courtier est débiteur d’une obligation d’information et de conseil à l’égard de son client, qu’il a incomplètement délivrée, au détriment du client, ce que confirme la Cour de cassation.
Cette obligation de conseil , qui trouve son siège dans les articles R. 519-21, et suivants, du Code monétaire et financier, notamment, aux articles R. 519-28 et R. 519-29 de ce Code.

Il ne s’agit pas ici de conseil en investissement (L. 321-1 5° du Code monétaire et financier), puisque la transaction envisagée ne portait pas sur un instrument financier (art. D. 321-1 du même Code), mais immobilier.

Pour autant, l’agent, ou l’expert ou le fournisseur de l’actif immobilier avait, de même, une obligation de conseil à l’égard de l’investisseur ; il n’est cependant pas attrait dans la cause.

L’emprunteur a donc droit à réparation du préjudice subi par le défaut de conseil.

Pour les deux Cours, unanimes, cette réparation se calcule sur la base de deux pertes de chance : l’une, du fait du Courtier, de ne pas réaliser le placement immobilier prévu avec l’emprunt, et, l’autre, du fait de la banque, de ne pas souscrire l’emprunt.
Cette dernière apparaît désormais usuelle ; la Jurisprudence en cerne bien les applications, depuis 2013.
La première est plus originale et sans doute appelée à des développements.
En confirmant la distinction entre deux pertes de chance de natures différentes, la Cour de cassation semble confirmer l’exclusion d’une seule perte de chance, en pareil cas : celle, centrale, de ne pas souscrire l’emprunt.
Rien n’est moins sûr.

Quelle serait la solution à la question de la réparation due par le Courtier, en l’absence d’investissement immobilier ?
Cette question juridique porte des enjeux notables, pour la profession des Courtiers-IOBSP, distributeurs de crédits en développement dynamique, comme pour les emprunteurs ou pour les banques.

La Cour de cassation aurait pu, en caractérisant ainsi mieux les actes de chaque agent économique, fonder la réparation due par le Courtier sur la perte de chance de ne pas souscrire le prêt, et celle due par la banque sur la perte de chance de ne pas octroyer le prêt.

Egalement, la Cour de cassation aurait pu, en théorie, conserver le même fondement de réparation : la perte de chance de ne pas souscrire le prêt, et en partager le quantum entre les deux professionnels bancaires, le Courtier et l’Etablissement de crédit, en s’appuyant alors sur la part prise par chacun d’eux dans le préjudice global.

Une seule nature de préjudice et une seule nature de réparation aurait été plus motivé et plus maniable.

En l’espèce, il ressort du Droit positif que le Courtier, tout comme l’Etablissement de crédit, sont tous deux débiteurs d’une obligation de conseil en crédit, au titre de l’opération globale d’investissement envisagée. Cet enseignement, implicite, est conforme à l’évolution du Droit : l’octroi de crédit par la Banque doit relèver du devoir de conseil, tout comme ce conseil touche sa distribution par le Courtier. Le fournisseur de l’actif immobilier, totalement absent, répond du même devoir de conseil, justement, pour la perte de chance de ne pas réaliser l’investissement immobilier, incontestablement de son domaine.

Les solutions juridiques ne peuvent ni se bâtir ni se justifier en fonction de la présence effective, ou non, des parties à la cause.

La question reste donc celle du fondement juridique de la réparation de ce(s) devoir(s) de conseil conjoints et des principes de répartition de la réparation due à l’emprunteur, entre les différents professionnels. Le fondement juridique de la réparation de l’enfreinte de son devoir de conseil, par le Courtier-IOBSP, reste également à travailler finement. Car le Code monétaire n’en dit mot.

Quoiqu’il en soit, la Cour de cassation s’attache surtout à rappeler fermement le principe que les calculs de réparation sont à produire précisément en fonction de la chance exactement perdue et non par simple égalité avec l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée (au visa de l’article 1147 du Code civil). Aussi, l’emprunteur ne peut jamais espérer le remboursement des sommes déboursées, encore moins des gains espérés.

Il lui appartient de produire les éléments de mesure de ces deux pertes de chance, dans les limites juridiques fixées par les Juges.

« La réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ».

Dans son conseil, le Courtier-IOBSP doit se prononcer sur les avantages de l’opération globale envisagée via l’emprunt. Il lui revient, en particulier, de situer correctement les conséquences du coût de l’endettement sur un investissement immobilier. La sanction financière de cette obligation se fonde sur la perte de chance de ne pas réaliser l’investissement projeté. Elle fait l’objet d’un calcul précis et ne peut, en aucun cas, être égale au remboursement intégral des sommes déboursées par l’emprunteur, à qui il revient de produire les éléments de calcul de cette perte de chance.

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires www.endroit-avocat.fr Intervenant à l'ISFI / Formations professionnelles bancaires & crowdfunding (www.isfi.fr) www.droit-distribution-bancaire.fr

[1Cour de cassation, Civ. 1ère, 16 avril 2015, N°13-15.858.