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Conciliation et conciliateur : les propositions « chocs » du rapport du ministère de la Justice sur les modes amiables de résolution des différends. Par Christophe Mollard Courtau.
Parution : jeudi 16 juillet 2015
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En ce jour de célébration du 14 juillet mais aussi du 225ème anniversaire de la Fête de la Fédération, il paraissait opportun de se féliciter de certaines préconisations « révolutionnaires » du rapport de l’Inspection Générale des services judiciaires d’avril 2015 relatif au développement des modes amiables de règlement des différends [1] notamment celles concernant la conciliation et le conciliateur de justice, héritiers des juges de paix institués par la loi du 24 août 1790.

Ce rapport recommande notamment la fusion des fonctions de conciliateur et de médiateur en instituant un « médiateur de justice », l’obligation de formation initiale et continue des conciliateurs et médiateurs avec la création d’un diplôme national de médiation et la fusion partielle de la fonction de conciliateur de justice et de juge de proximité en créant un « conciliateur juge de proximité » chargé des conciliations judiciaires déléguées et disposant d’un pouvoir d’homologation de l’accord signé par les parties en litiges.

Certes, il ne s’agit pas de recommandations véritablement révolutionnaires, mais courageuses compte tenu du lobbying de certaines organisations corporatistes qui refusent tout changement et réalistes face à l’évolution récente de la réglementation européenne en matière de règlement extrajudiciaire des litiges de la consommation (§1) , mais aussi à la spécificité de notre système judiciaire notamment s’agissant de la conciliation judiciaire ou administrative se déroulant toujours « à l’ombre » du juge (§2).

§1 Sur la création d’un médiateur de justice : la mise en conformité de notre droit national aux exigences européennes en matière de médiation :

En effet, la conciliation et la médiation conventionnelles mises en œuvre avant tout procès par un tiers impartial (conciliateur de justice ou médiateur) font l’objet désormais, d’une définition commune consacrée par la directive européenne 2008/52/CE [2] et intégrée aux articles 1530 et 1531 du C.P.C en 2012 [3].
De plus, la directive U.E 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (R.E.L.C) [4], soumet l’intervention du médiateur en matière de litiges de la consommation à la triple exigences, de l’impartialité, la confidentialité et la compétence ce qui suppose, pour cette dernière, une formation initiale et continue obligatoire en matière de négociation, techniques de communication et en droit qui, en l’état actuel de notre droit positif, n’existe pas ni pour le conciliateur ni pour le médiateur.

La préconisation par le rapport précité de la fusion du conciliateur de justice et du médiateur en « médiateur de justice » ne vient que parachever l’uniformisation du régime juridique de ces 2 modes de règlement amiable très proches et présentant beaucoup plus de similitudes que de différences, par l’instauration d’un statut unifié du tiers intervenant, conciliateur ou médiateur s’agissant notamment, de sa formation et de son mode de recrutement.

Néanmoins, la délicate question de la concurrence « déloyale » du conciliateur à l’accès gratuit à l’égard du médiateur professionnel juridique réglementé ou non à l’accès payant, reste sans réponse claire même si l’on peut discerner dans la recommandation de la création d’un conciliateur juge de proximité, la fusion partielle de la fonction de conciliateur et de juge de proximité mettant ainsi un terme à cette question controversée.

§2 Sur l’institution d’un conciliateur juge de proximité : un retour à la tradition judiciaire française d’une conciliation « juridictionalisée » préfigurant la fusion de la fonction de conciliateur et de juge de proximité :

Afin de pallier un recrutement insuffisant de conciliateurs de justice, le rapport précité recommande, aussi (p 31), le maintien des juges de proximité renommés "conciliateur juge de proximité" dotés de nouvelles attributions notamment en matière de conciliation judiciaire et doté d’un pouvoir d’homologation de l’accord conclu entre les parties en litige et y mettant un terme définitif en tout ou partie.

Il préconise également et avec justesse, une revalorisation substantielle de la fonction de conciliateur/médiateur de justice (formation initiale et continue obligatoire, mise à disposition de moyens matériels et N.T.I.C modernes, indemnité revalorisée, assurance responsabilité civile professionnelle obligatoire…).

Mais compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, il semble difficile à la fois de revaloriser la fonction de conciliateur afin de favoriser son recrutement et de maintenir les juges de proximité, la fusion de ces 2 fonctions paraissant la moins mauvaise solution, permettant à la fois, de conforter une justice de proximité citoyenne pérenne intégrée aux tribunaux d’instance, juridictions de proximité naturelle et de revaloriser la fonction de conciliateur en le dotant d’un statut moderne et crédible.

La proposition du rapport de créer des conciliateurs juges de proximité préfigure, à court terme, la fusion de ces 2 fonctions, conforme à notre tradition judiciaire d’une conciliation « juridictionalisée » et mise en œuvre par un citoyen, collaborateur occasionnel de la justice, doté d’un véritable statut moderne, protecteur, attractif et compatible avec l’exercice d’une activité professionnelle, permettant ainsi un recrutement accru, diversifié et rajeuni de candidats à cette fonction citoyenne au coeur de la justice de proximité ou de paix.

En conclusion, il s’agit d’adapter le statut ancien de « bénévole de bonne volonté » du conciliateur issu du décret de 1978, aux nouvelles exigences sociétales en matière de participation citoyenne à des missions d’intérêt général, par la mise en place d’un nouveau statut de collaborateur occasionnel de l’Etat, garantissant compétence et formation mais aussi compatibilité avec l’exercice d’une activité salariale à l’instar de celui des C.P.H salariés mais aussi des élus locaux.

Enfin, le statut actuel du conciliateur a favorisé un recrutement monolithique de candidats issus majoritairement de la même catégorie sociale, les retraités (95%) au détriment des actifs (5% dont à peine 2% de salariés), recrutement non représentatif du corpus social dans sa diversité, ce qui n’est pas conforme à nos principes et traditions républicains.

Christophe M. COURTAU Diplômé d\'études supérieures en droit de l\'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Conciliateur de Justice près le Tribunal d\'Instance de Versailles - (ccourtau-cj78370@sfr.fr)

[2Directive UE 2008/52/CE du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Elle omet la conciliation conventionnelle et judiciaire, spécificités de notre procédure civile.

[3Selon les articles 1530 et 1531 du C.P.C issus du décret n° 2012-66 du 20 janvier 2012 relatif à la résolution des différends, la conciliation et la médiation conventionnelles s’entendent : "de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence"..

[4Adoptée le 21 mai 2013, la directive 2013/11/UE relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (R.E.L.C) doit être transposée dans les États membres de l’Union européenne d’ici le 9 juillet 2015. En France, cette transposition est prévue par voie d’ordonnance courant juillet 2015.

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