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IOBSP, Banques et lignes directrices de l’ABE pour la distribution des produits bancaires. Par Laurent Denis, Juriste.
Parution : lundi 20 juillet 2015
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Le 15 juillet 2015, l’Autorité Bancaire Européenne a publié les « lignes directrices », des orientations, (« guidelines ») pour la gouvernance des produits bancaires de détail : crédits immobiliers, crédits personnels, dépôts bancaires, services de paiement de même que monnaie électronique.

Il s’agit d’améliorer la conception et la distribution des produits bancaires, afin de renforcer la protection et la confiance des consommateurs.

L’adéquation entre le produit et le client devient centrale, au détriment de l’équilibre entre banque et IOBSP.

Ces nouvelles dispositions concernent donc autant les producteurs, établissements de crédit, principalement, banques, que les distributeurs, agences bancaires et Intermédiaires en opérations de banque, IOBSP ou courtiers en crédits, par exemples.

Elles sont applicables à compter du 3 janvier 2017.

1. Un processus normatif autonome : les lignes directrices.

L’Autorité Bancaire Européenne (ABE), après trois mois de consultation (entre novembre 2014 et février 2015), vingt-deux contributions de professionnels et cinq petits mois de maturation, publie le recueil des lignes directrices (« guidelines ») pour la supervision de la gouvernance des produits bancaires (« Product Oversight and Gouvernance », ou « POG »). Le « design » des produits bancaires fait son entrée dans la famille des normes bancaires.

Cette livraison, consacrée au secteur bancaire, fait suite au document général sur la conception des produits, diffusé par les trois autorités européennes le 28 novembre 2013.

Juridiquement, ces lignes directrices sont formulées sur le fondement de l’article 16 du Règlement 1093/2010, installant la supervision bancaire et financière de l’Union européenne. Les autorités de supervision, tout autant que les professionnels, doivent faire leurs meilleurs efforts pour se conformer à ces lignes directrices. Les autorités de supervision, pour leur part, ont l’obligation de rendre compte de cet effort de conformité ; elles disposent d’un délai de deux mois à compter de la publication des orientations, soit pour indiquer à l’ABE les mesures engagées pour se conformer à ces dernières, soit pour expliquer les raisons pour lesquelles elles ne mettront pas en œuvre telles ou telles dispositions.

Bien que la valeur juridique des « lignes directrices » fasse encore débat, qu’il peut être de bon ton de n’y voir que des recommandations légères, il fait peu de doute que de telles propositions puissent rester sur le bord de la route. Il y aura, sans doute, des adaptations nationales. La matière s’y prête, de même que les propositions de l’EBA.

2. L’adéquation entre le produit et le consommateur vient compléter l’adéquation entre le vendeur et le produit.

Les tromperies, ou les erreurs, dans la commercialisation des produits bancaires, souvent causées par l’asymétrie d’information, se traduisent par un coût de litige immédiat, et par des pertes moins visibles pour le marché lui-même.

Le chapelet des obligations nouvelles concernent d’abord les producteurs : contrôles internes, ciblage des clients, déroulement des tests de produits, diffusion, gestion des produits, actions correctives et gestion de la distribution.

Un document de synthèse résume la configuration du produit (New Product Approval Policy, ou NPAP).

Voici le marketing bancaire, en amont de la distribution, officiellement embarqué dans un cadre juridique. Ceci est inédit et rappelle à quel point le marketing bancaire est spécifique, intimement lié à la Réglementation de son activité.

La mise en place d’une gouvernance de conception et de lancement des produits est au cœur du dispositif. Il est loisible de déplorer que la ligne directrice (n°1) n’identifie pas comme essentiel un lien plus étroit entre vendeurs, notamment IOBSP indépendants, et producteurs, lors de cette phase de conception. Au demeurant, la rédaction de la ligne directrice (§ 1.1.) n’empêche évidemment pas les producteurs de dialoguer avec des IOBSP, pour cette phase délicate de la conception du produit. Les compétences des distributeurs y seraient précieuses. Les banques sauront-elles franchir ce pas collaboratif audacieux ?

Mais ces nouvelles normes touchent bien sûr directement les distributeurs : organisation interne, identification et connaissance du marché et besoins d’information.

Le rôle des distributeurs bancaires est ainsi consacré, dans cette fonction particulière consistant à apporter les produits du producteur, jusqu’au marché, jusqu’au consommateur. Ils doivent donc s’assurer qu’ils maîtrisent le marché et les cibles de clients pour lesquels les produits ont été conçus. Si un produit était vendu à un consommateur qui ne relève pas de la catégorie prévue pour ce produit, alors le distributeur devrait pouvoir le justifier.

Sur les douze lignes directrices publiées, quatre concernent directement les distributeurs (la n°9, la n°10, la n°11 et la n°12), et deux, la relation entre producteur et distributeur (la n°7 et la n°8).

Notons que la définition d’un « distributeur », au sens de ces lignes directrices, inclut les unités commerciales du producteur (§15, Définitions). Il s’agit ici d’une intégration poussée de la notion de distributeur, caractérisée par sa fonction, celle de vendre, et non par le périmètre juridique auquel se rattache le vendeur. Pour l’Autorité Bancaire Européenne, intermédiaires bancaires et vendeurs d’agences appartiennent donc, désormais, à la même catégorie, celles des vendeurs, ce qui traduit une vision plutôt moderne de ce secteur d’activité.

Il y eût le temps de l’accent porté sur l’adéquation entre le produit et le vendeur, illustrée, par exemple, avec la démarche de mise en capacité professionnelle (formation/attestation) des IOBSP. S’ouvre maintenant le temps de l’adéquation entre le produit et le client. L’ensemble forme une boucle complète : vendeur, produit, client. Le vendeur connaît le produit, le produit convient parfaitement au client : voilà le socle de la protection du consommateur.

3. Des nouvelles normes précises de distribution bancaire.

Prenons quelques exemples issus de la publication de l’Autorité Bancaire Européenne.

S’agissant de la ligne directrice n°7, le producteur, Établissement de crédit, de paiement ou de monnaie électronique, doit :
-  Sélectionner les distributeurs appropriés à la cible de marché, notamment sur la base de leur savoir-faire, de leur expertise et de leur aptitude à placer le produit et à délivrer les informations nécessaires,
-  Contrôler que le produit est effectivement vendu aux clients prévus,
-  Contrôler que des moyens raisonnables de commercialisation assurent la Conformité au format décidé pour le produit.

Au terme de la ligne directrice n°8, le producteur doit au distributeur :
-  Délivrer une information complète sur le produit, comprenant ses risques et ses limites,
-  Préciser la cible de marché et les segments de marchés pour lesquels le produit est conçu.

S’agissant des nouvelles normes à intégrer par les distributeurs, la ligne directrice n°9 prévoit de :
-  Disposer d’une fonction « POG », de gouvernance des produits, adaptée, permettant de gérer la commercialisation en assurant notamment la prise en considération des objectifs et des besoins des consommateurs. La gestion des conflits d’intérêts, déjà en place pour les IOBSP et pour les Courtiers en crédits (« Règles de bonne conduite », article L. 519-4-1 du Code monétaire et financier), doit se montrer active,
-  Cette fonction, ainsi que ses décisions, doivent être formalisées et auditables.

La ligne directrice n°10 enjoint au management supérieur du distributeur de :
-  Intégrer le dispositif « POG » au système global d’audit et de contrôle.

La ligne directrice n°11 réclame au distributeur de :
-  Déterminer l’appartenance de chaque prospect/client à la cible de marché définie pour le produit, incluant les segments de marché pour lesquels le produit ne convient pas.

Enfin, la ligne directrice n°12 impose au distributeur de :
-  Utiliser les informations produites et remises par le producteur,
-  Motiver précisément les ventes hors du marché prévu pour le produit,
-  Restituer au producteur des informations sur l’adéquation du produit aux clients visés,
-  Alerter promptement le distributeur lors de la détection de toute anomalie de commercialisation.

L’ensemble de ces points vient étoffer les référentiels de conformité, dont les intermédiaires bancaires sont en train de se doter, tout comme l’ont fait les établissements de crédit ces dernières années.

CONCLUSION

C’est ainsi : l’activité bancaire ne coïncide plus exactement avec celle de « la » Banque. En actant de manière nette la séparation des fonctions entre producteurs et distributeurs bancaires, en retenant une définition large du « distributeur », englobant Intermédiaires, exclusifs ou non, et Vendeurs exclusifs en agences, cette nouvelle publication de l’Autorité Bancaire Européenne traduit incontestablement une pensée juridique et économique moderne de l’activité bancaire.

Cette approche s’avère en phase avec les besoins profonds de ce secteur, à défaut de satisfaire les espoirs de tous ses professionnels. Car il s’agit d’un secteur dans lequel quatre français sur dix (43 %) « pensent que les banques [ne sont pas] des partenaires avec lesquels les clients sont en confiance », selon un sondage publié par une association professionnelle début juillet 2015.

En posant que la protection des consommateurs, y compris bancaires, n’est pas seulement l’affaire de la commercialisation, mais également celle de la confection des produits et, surtout, celle de la relation organisée entre producteurs et distributeurs, cette approche confirme à quel point elle tire les conséquences des évolutions considérables apportées à ce secteur par les Intermédiaires en Opérations de Banque.

La livraison estivale de l’ABE n’en sera donc que plus déplaisante encore aux nostalgiques du rôle central et immuable, dans le secteur bancaire, des Etablissements de crédits ou de paiement, des « banques ». L’universalité bancaire fait doute.

Il reste le regret de voir introduites des obligations substantiellement plus lourdes à la charge des distributeurs, notamment des IOBSP, envers les banques, que celles établies dans l’autre sens, à la charge des banques envers les IOBSP, sans justification juridique ni économique. Ce souci d’institutionnaliser une forme de déséquilibre entre producteurs et distributeurs est regrettable. Il n’y a rien de positif à en attendre.

L’autorité aurait pu saisir l’idée fondamentale que le meilleur équilibre des relations entre producteurs et distributeurs conditionne nettement les progrès de protection des consommateurs. Maintenir le dynamisme de la distribution indépendante des producteurs, celles des courtiers et des mandataires en opérations de banque, notamment, reste l’un des moteurs les plus contributifs à la protection des consommateurs. Ce point faible de cette livraison normative produira rapidement ses effets négatifs. Il s’ajoutera aux ratés et aux oublis conceptuels de la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, portant sur la consommation, pour ralentir les progrès de la protection des consommateurs dans la banque de détail.

L’adaptation nationale, si elle favorisait cet équilibre entre banques et distributeurs indépendants, porterait une ambition nouvelle de protection des consommateurs. Et permettrait d’atteindre plus sûrement les objectifs assignés à cette gouvernance des produits de banque de détail.

En attendant, les dispositifs « POG » vont devoir se matérialiser, chez tous les professionnels, avant le 3 janvier 2017. La convention de partenariat entre Etablissements de crédit et Courtiers-IOBSP deviendra un outil juridique central, dans ce déploiement. Il faudra profiter du délai pour les réviser et les ajuster. Puisse donc ce mouvement favoriser des conventions de partenariats plus abondantes et plus ouvertes, et non servir de prétexte supplémentaire à leur rationnement, souvent injustifié et, surtout, contre-productif du point de vue de l’émulation de la protection des consommateurs.

Désormais, les politiques et les stratégies de distribution bancaire disposent d’un référentiel juridique.

Lien direct avec le Rapport « POG » de l’EBA, du 15 juillet 2015 (en anglais) :
http://www.eba.europa.eu/documents/10180/1141044/EBA-GL-2015-18+Guidelines+on+product+oversight+and+governance.pdf

Laurent Denis Juriste - Droit bancaire et financier - Droit et Conformité des Intermédiaires www.endroit-avocat.fr Intervenant à l'ISFI / Formations bancaires et d'Intermédiaires (www.isfi.fr) Auteur de "Droit de la distribution bancaire" (www.droit-distribution-bancaire.fr)