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Du caractère révocable des transactions en droit social. Par Christelle Cerf, Avocat.
Parution : vendredi 24 juillet 2015
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La transaction ne constitue pas un mode de rupture du contrat de travail.

Pour autant, il arrive qu’un employeur et un salarié anticipent une procédure de licenciement en prévoyant qu’il sera concomitant voire conditionné par la signature d’un protocole transactionnel d’accord.

Aux termes d’une telle transaction, le salarié renonce classiquement à toute contestation relative à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, en contrepartie d’une indemnité négociée en amont.
Lors de la remise du reçu pour solde de tout compte, le salarié constate que certaines sommes ont été retenues par l’employeur et qu’il ne percevra pas exactement ce qu’il imaginait à son départ de l’entreprise.

En principe, les dispositions de l’article 2052 du Code civil rappellent que « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ».
Tel un jugement devenu irrévocable, une transaction a un effet libératoire entre les parties. Le salarié qui formulerait une demande d’indemnité ou de dommages et intérêts postérieurement à la signature d’une transaction s’exposerait donc à une fin de non-recevoir.

Mais la transaction obéit à un régime strictement encadré par la loi et la jurisprudence. Lorsque le protocole ne satisfait pas aux conditions de validité requises, sa nullité peut être invoquée.
Les causes de nullité pouvant être soulevées sont effectivement variées.

La conclusion ou la négociation de la transaction à une date antérieure au licenciement :

Par le passé, la jurisprudence admettait qu’une transaction soit signée avant que le contrat de travail ne soit rompu. Il suffisait que la rupture ait été envisagée par les parties, même si la procédure de licenciement n’avait pas encore été engagée [1].

Mais depuis un revirement opéré en 1996, la Cour de cassation a décidé que la transaction n’est valable que si elle est conclue postérieurement à la rupture définitive du contrat de travail [2].

C’est la date de réception de la lettre de notification du licenciement qui est retenue, et non la date d’envoi du courrier recommandé ou de sa première présentation au domicile du salarié [3].

La remise en main propre de la lettre évoquant les motifs du licenciement n’étant pas prévue par l’article L. 1234-3 du Code du travail, elle peut donner lieu à l’annulation d’une transaction, même conclue postérieurement [4].

Certains employeurs ont tenté de contourner cette règle en envoyant un courrier recommandé contenant une feuille blanche, afin de prendre date pour la notification du licenciement. Mais la Cour de cassation a censuré ce type de manœuvre lorsque le salarié pouvait prouver le contenu de l’enveloppe à l’aide d’un constat d’huissier de justice [5].

Il est donc impératif que l’employeur respecte la chronologie imposée par la jurisprudence, qui ne fait qu’appliquer le principe selon lequel on ne peut transiger que sur des droits dont on dispose. En effet, le salarié ne peut valablement signer un accord renonçant à toute demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse tant qu’il n’a pas été effectivement licencié.

Par ailleurs, le salarié doit bénéficier d’un délai suffisant après la rupture pour lui permettre de recueillir des informations sur ses droits postérieurement à la notification de son licenciement [6].

Il a notamment été jugé que la transaction, bien que signée postérieurement à la notification du licenciement, n’est pas valable dès lors que les avantages consentis au salarié par l’employeur étaient les mêmes que ceux résultant d’un accord signé entre eux avant la notification du licenciement de sorte que la transaction procédait en réalité d’un échange de consentements antérieur à la rupture [7]. En effet, un tel accord n’a pu valablement régler le différend entre les parties sur la qualification de la rupture ou sur ses effets [8].

En pratique, il est fréquent que les parties discutent des modalités de leur accord bien avant l’ouverture de la procédure de licenciement. Des échanges d’emails évoquant le calendrier prévisionnel de la rupture et/ou le montant de l’indemnité transactionnelle constituent des maladresses parfaitement exploitables par le salarié.

En outre, il arrive que la dernière page du protocole ne soit pas datée auquel cas, l’employeur sera bien en peine de démontrer que la transaction a été signée postérieurement au licenciement.

Le caractère dérisoire des concessions faites :

En principe, une transaction ne peut être attaquée pour cause de lésion [9].

Pour autant, l’existence de concessions réciproques est une condition de validité de la transaction. Sans exercer de pouvoir de révision, la Cour de cassation contrôle l’existence de concessions réciproques en fonction des prétentions des parties au moment de la signature de l’acte [10].

En outre, les concessions des parties doivent être appréciables. Une indemnité transactionnelle dérisoire ne constitue pas une véritable concession de l’employeur et est donc susceptible d’emporter la nullité de la transaction [11].

L’ancienneté du salarié est également mise en avant pour revendiquer ou pour écarter le caractère appréciable de l’indemnité transactionnelle, ce qui est cohérent avec la justification du quantum du préjudice du salarié licencié.

Mais en l’absence de critères légaux précis, il s’agit là d’une appréciation au cas par cas.

A titre d’illustration, une Cour d’appel a estimé que le versement d’une indemnité transactionnelle inférieure à un mois de salaire pour un salarié ayant plus de 4 ans d’ancienneté rendait nulle la transaction [12].

La loi MACRON adoptée par le Parlement le 10 juillet 2015 fixe un barème de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les critères retenus dans la détermination des seuils sont l’ancienneté du salarié et l’effectif de l’entreprise.
Le Conseil constitutionnel a été saisit sur ce point, mais s’il est confirmé, le plafonnement des indemnités judiciaires aura nécessairement des conséquences sur la détermination du caractère appréciable des indemnités transactionnelles en cas de remise en cause de l’accord.

Un vice du consentement au jour de la signature :

Enfin, le consentement des parties à la transaction doit être libre et éclairé. Tel n’est pas le cas d’un salarié qui suit un traitement depuis plusieurs mois pour des troubles psychiques importants lors de la conclusion de la transaction [13].

En revanche, la fragilité d’un salarié présentant un état dépressif ne constitue pas, à elle seule, un élément suffisant pour apporter la preuve de l’existence d’un trouble mental à l’origine d’un vice du consentement [14]. Le fait que la transaction soit signée pendant un arrêt de travail pour cause de maladie ne signifie pas nécessairement que le salarié n’est pas en mesure d’exprimer un consentement libre et éclairé.

Seuls l’erreur, le dol et la violence peuvent être à l’origine d’un vice du consentement lors de la signature d’une transaction.

Les conséquences de la nullité :

La nullité de la transaction implique la restitution de l’indemnité transactionnelle versée [15]. Mais en pratique, le montant de l’indemnité transactionnelle donnera lieu à une déduction du montant global des condamnations à intervenir.

Le fait que le salarié ait, dans un premier temps, encaissé le chèque correspondant à l’indemnité transactionnelle, ne signifie pas qu’il renonce à contester la validité de la transaction [16].

L’action en nullité de l’accord transactionnel se prescrit par cinq ans, conformément à l’article 1304 du Code civil [17]. Toutefois, l’articulation avec les nouveaux délais de prescription réduits en matière de rappels de salaire (3 ans) et de contestation de la rupture du contrat de travail (2 ans) pose question.

Quid des demandes amenées à apparaître dans le sillage de la transaction ? Sont-elles soumises à la prescription quinquennale ou le régime applicable varie-t-il selon la nature de la demande (rappel de salaire, dommages et intérêts…) ?
Ce point ne semble pas encore avoir été tranché par la jurisprudence. Toutefois, la sécurité juridique devrait faire obstacle à l’application de la prescription quinquennale à des demandes désormais soumises à des prescriptions plus courtes.

En tout état de cause, si le salarié a signé le reçu pour solde de tout compte, la prescription des demandes relatives aux sommes qui y sont portées sera réduite à 6 mois à compter de la signature [18].

Ainsi, l’employeur qui anticiperait un accord avec un salarié avant de lui notifier son licenciement doit être particulièrement prudent afin d’éviter les causes de nullité admises par la jurisprudence. A défaut, le risque contentieux qu’il a souhaité éviter en versant une indemnité transactionnelle persistera et il découvrira, à ses dépens, qu’un mauvais accord peut donner lieu à un bon procès.

Christelle CERF, Avocat au Barreau de Lyon

[1Cass. soc. 26 mai 1988, n° 85-42951.

[2Cass. soc. 29 mai 1996, n° 92-45115.

[3Cass. soc. 14 juin 2006, n° 04-43123.

[4Cass. soc. 5 mai 2010, n° 08-44643.

[5Cass. soc. 24 janvier 2007, n° 05-42135.

[6Cass. soc. 11 décembre 2013, n° 12-22997.

[7Cass. soc. 9 juillet 2003, n° 01-41202.

[8Cass. soc. 8 juin 2011, n° 09-43221.

[9Article 2050 alinéa 2 du Code civil.

[10Cass. soc. 27 mars 1996, n° 92-40448.

[11Cass. soc. 28 novembre 2000, n° 98-43635.

[12Cour d’appel de Nancy, 30 juin 2011, n° 10/02933.

[13Cour d’appel de Metz, 23 novembre 2009, n° 08-586.

[14Cour d’appel de Paris, 9 octobre 1995, n° 94-37134.

[15Cass. soc. 27 octobre 2009, n° 07-44511.

[16Cass. soc. 9 mai 2001, n° 98-44579.

[17Cass. soc. 5 juin 2008, n° 07-41710.

[18Article L. 1234-20 du Code du travail.

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