Village de la Justice www.village-justice.com

Le rappel de salaire et de bonus au Royaume-Uni. Par Alain-Christian Monkam, Avocat.
Parution : lundi 27 juillet 2015
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/rappel-salaire-bonus-Royaume-Uni,20152.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Le rappel de salaire est un contentieux grandissant en Grande-Bretagne car il concerne tant le serveur d’un restaurant à qui il est dû des heures de travail non payées que le trader d’une grande banque qui n’a pas perçu son bonus à 6 ou 7 chiffres. Au surplus, ce contentieux apparaît complexe car il est éclaté entre plusieurs juridictions.

1- Employment Tribunal

Equivalent du Conseil de Prud’hommes français, l’Employment Tribunal est par excellence la juridiction britannique qui doit trancher des difficultés portant sur la rémunération d’un salarié. En vertu de section 23(1) of Employment Rights Act, les salariés en Angleterre peuvent saisir l’Employment Tribunal pour toute demande de rappel de salaire, c’est à dire ’unauthorised or unlawful deductions from wages’. Cela concerne les rappels portant sur la rémunération de base, les heures supplémentaires, les augmentations salariales, les congés payés, les commissions, les salaires en cas d’arrêt maladie...

Le problème majeur est que les salariés (peu ou mal conseillés) se heurtent souvent à un délai de prescription très court, qui est de 3 mois à compter de la date à laquelle la déduction illégale a été faite par l’employeur ; concrètement, le salarié anglais doit saisir le tribunal dans un délai de 3 mois suivant la date à laquelle la rémunération réclamée aurait dû être payée. Le Tribunal peut déroger à ce délai de 3 mois mais cela reste très exceptionnel. Bien entendu, en cas déductions illégales répétitives ’series of deductions’ (par exemple, un salaire qui est mal calculé chaque mois pendant un an), le délai de prescription ne courre qu’à compter de la date de la dernière déduction illégale.

Contrairement au droit du travail français où il est fixé un délai de prescription de 3 ans en matière de salaire (article 3245-1 du Code du travail), l’Employment Tribunal ne connaissait aucune limite temporelle en matière de rappel de salaire dès lors qu’il était saisi dans le délai de 3 mois. Le Tribunal anglais pouvait donc condamner l’employeur à reverser les salaires et commissions dues sur une période ininterrompues. Par exemple, dans cette affaire Orr v Herdmans Ltd NIET 2012/10, le tribunal avait condamné l’employeur à un important rappel de salaires et de commissions de 160.000€ remontant sur de nombreuses années.

Depuis une récente législation (The Deduction from Wage Limitations Regulations 2014 - entrée en vigueur le 8 janvier 2015 mais applicable au contentieux introduit à partir du 1er juillet 2015), désormais seuls seront pris en considération les éléments de rémunération dus s’étalant sur une période maximale de 2 ans précédant la saisine du tribunal (cette limite de 2 ans souffre de plusieurs exceptions notamment en matière de salaires dus pour arrêt maladie ou congé maternité). Cette législation a été adoptée cet hiver dans la panique par le Gouvernement anglais et sous la pression des employeurs, suite un jugement du 4 novembre 2014 (Bear Scotland Ltd v Fulton [2015] IRLR 15 EAT) selon lequel les heures supplémentaires obligatoires devraient désormais être prises en compte pour le calcul des congés payés au Royaume-Uni.

2- High Court of Justice

Equivalent du Tribunal de Grande Instance français, la High Court of Justice est également compétente en matière de contentieux salarial quand la non-perception de la rémunération due au salarié est traitée comme une violation du contrat ’breach of contract’.

Cette compétence juridictionnelle s’explique par le fait que la High Court of Justice est le tribunal britannique de droit commun qui statue depuis des siècles notamment sur les litiges relevant du droit des contrats. Le contrat de travail étant avant tout un contrat, la High Court of Justice a conservé ses pouvoirs tirés de la Common Law, malgré la création des Employment Tribunal en 1964.

L’intérêt pour un salarié de saisir la High Court of Justice (plutôt que l’Employment Tribunal) tient au fait que le délai de prescription est plus long (le salarié dispose de 6 ans pour saisir la High Court à compter du fait générateur de sa demande). Au surplus, le quantum du rappel de salaire n’est soumis à aucune limite temporelle ni de montant.

A titre d’illustration, la filiale londonienne de la banque française Société Générale a été spectaculairement condamnée le 25 mars 2010 par la High Court of Justice de Londres au versement à un de ses ex-directeurs généraux d’un rappel de salaires, préavis et primes diverses proches de 11 millions d’euros (Affaire Raphael Geys contre Société Générale, [2012] UKSC 63).

Le salarié doit donc faire un véritable choix stratégique quand une question de rappel de salaire ou de bonus survient en Angleterre.

Alain-Christian Monkam Employment Solicitor et Avocat - Londres/Paris https://monkam.uk/