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Chronique de votre carrière (18) : Réinventer le bonheur au travail...
Parution : lundi 10 août 2015
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Le sujet de notre interview d’aujourd’hui sera : « Réinventer le bien être au travail, une responsabilité partagée entre le salarié et la société qui l’emploie ». Avec Florence Servan-Schreiber et Christian Drugmand.

Je m’aperçois tous les jours dans l’exercice de mon métier que le contexte économique a durci les rapports dans l’entreprise, notamment depuis 2009.
Cela se traduit parfois par des déceptions et dans certains cas, les salariés démissionnent.
Cela se traduit d’autres fois par des « placardisations », des démotivations, des burn-outs et des dépressions. Cette situation complexe prend en compte à la fois des données de l’environnement personnel et professionnel du salarié.

J’ai donc choisi de m’adresser à Florence Servan-Schreiber, journaliste, diplômée de psychologie positive et auteure de « Trois kiffs par jour » et « Power patate » et à
Christian Drugmand, responsable de la formation de Vivendi et auteur de « Comment prévenir les risques psychosociaux en éradiquant les pratiques nocives ». Pour m’aider à traiter ce sujet épineux, l’une me donnera le point de vue de l’entreprise, l’autre, celui du salarié.

MG : Tout d’abord, quels sont les différents signaux qui doivent alerter un salarié lorsque cela commence à dysfonctionner dans son travail ?

FSS : C’est une expérience très personnelle le dysfonctionnement, je crois que ce qu’il faut éviter, c’est de considérer que ce qui est déréglé est normal. Si l’opacité de communication s’installe avec un supérieur, cela n’est pas normal. Cela mérite donc d’être éclairci.

CD : Le manque de plaisir au travail, l’ennui, la perte de sommeil, la procrastination, la fatigue récurrente, les problèmes de médicaments, d’alcool, certaines manifestations vis-à-vis des enfants : l’agacement, l’énervement. Toutes ces choses ne sont pas normales et sont manifestement les précurseurs de quelque chose qui ne va plus.

MG : Florence, que peut faire le salarié de son côté, de façon curative ou préalable, pour gérer sa vie personnelle et professionnelle ?

FSS : A titre préventif, ce que l’on peut faire, c’est se prémunir le mieux possible tout au long de sa carrière. Evidemment, il y a des accidents, des choses imprévues qui vont nous apprendre un tas de choses sur nous-mêmes. Il est possible de s’épanouir dans la difficulté.
La première chose, c’est d’essayer d’être connectés avec qui nous sommes, ce dont on a besoin et ce dont on est capable.

MG : Christian, quand l’entreprise diagnostique que ça va mal, comment peut-elle commencer à aider un salarié et jusqu’à quelle limite ?

CD : Je vais commencer par répondre à la dernière de vos questions : quelles limites ?
Le Code du Travail dit que l’entreprise a la responsabilité de la santé physique et mentale des salariés placés sous sa responsabilité. C’est une obligation de résultat. Les tribunaux se prononcent dans ce sens là aujourd’hui.

Concernant ce que peuvent faire les entreprises :
• Former des managers. Il faut les former à repérer les dysfonctionnements chez leurs collaborateurs, à écouter, à respecter, à donner des feedbacks et il faut les former au « droit à l’erreur ».
• Donner de la ressource : de la formation, donner des moyens matériels, donner de la ressource psychologique. On ne peut pas faire toujours plus avec toujours moins de moyens.
• Donner du sens. Beaucoup de salariés ne connaissent pas la stratégie de leur entreprise et travaillent de façon assez mécanique sans mettre à contribution leur intelligence.
• Mettre en place des dispositifs pour traiter les risques psychosociaux. Il faut s’intéresser réellement aux questions de bien-être en entreprise.

MG : Qu’est-ce qu’un salarié peut faire pour ne pas avoir à gérer ses crises et pour être en pleine possession de son rôle de « manager », de s’aider et d’aider les autres ?

FSS : S’il y a une crise, il va devoir la gérer de toute façon. La crise arrive souvent de l’extérieur, il ne la provoque pas à titre individuel.
Beaucoup de choses sont liées à la façon dont nous interprétons le travail que nous faisons, les directives que nous recevons.
Mais la récompense la plus efficace est une récompense intrinsèque. C’est une récompense qui vient de l’intérieur de nous.

MG : Christian, je crois savoir que vous êtes en train de vivre et de mettre en œuvre une transition d’entreprise. Est-ce que vous pouvez nous expliquer comment cela se passe, et comment vous vivez cette transformation ?

CD : Il est un peu trop tôt pour en parler, néanmoins je peux partager avec vous quatre éléments importants à prendre en compte :
• La démarche repose sur un principe : une relation gagnant-gagnant entre l’entreprise et le salarié, basée à la fois sur les besoins de l’entreprises et sur les besoins du salariés.
• Elle consiste en trois règles (les règles du « management optimal ») :
1. Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse à toi.
2. Il existe une responsabilité partagée entre l’entreprise et le salarié.
3. L’entreprise donne du travail et le salarié donne le meilleur de lui-même. L’entreprise donne des opportunités et le salarié doit les saisir.
• L’entreprise doit se considérer comme un entraineur de sportif de haut niveau. C’est-à-dire qu’elle doit permettre de s’entrainer de façon à battre les records quand ils doivent être battus.
• Enfin, l’enjeu actuel dans mon entreprise, c’est un engagement, c’est celui de la direction générale.

MG : Quels sont les leviers que l’entreprise devrait mettre en œuvre pour qu’on minimise ce risque de crise et de dysfonctionnement ?

CD : Le management devrait être un management participatif. L’intelligence est une intelligence collective. L’individu seul dans sa finitude n’est pas créatif, il faut donc permettre à l’individu de comprendre là où il doit aller, ce que l’on attend de lui.
On est contre la taylorisation, on est contre le micro-management et chaque individu à une part de richesse qui ne demande qu’à s’exprimer et à se réaliser.

MG : Florence, que pensez-vous de la mise en œuvre de ce concept et comment le salarié pourrait commencer à être le premier acteur de cette démarche ?

FSS : Lorsque les managers sont en situation compliquée, la solution doit être trouvée en nous appuyant sur les forces qui existent dans cette entreprise là. Et une fois qu’on a réveillé cela chez les gens, non seulement on trouve des solutions tout à fait créative et inédites, mais la personne qui a le plus changée, cela n’est pas le salarié, mais c’est le manager.

MG : Quelles sont les étapes que le salarié doit mettre en œuvre ? C’est d’abord un éveil du manager ?

FSS : C’est d’abord un éveil de ce que sont ses forces et ses particularités à lui.
Et si mon manager ne sait pas me soutenir, je peux m’adresser à des gens qui, eux, savent voir mes qualités. Nous avons tous des gens dans notre vie qui sont capables de voir en nous ces qualités, des « miroirs ».

MG : Christian, quelles seraient les étapes, et dans quel ordre ?

CD : Moi-même, j’ai mis en place un dispositif avec la possibilité d’une aide psychologique, si nécessaire, 24h/24, ouvert aux salariés mais aussi à sa famille.
J’ai aussi organisé des « moments de bien-être ». J’ai organisé deux semaines (en 2013 et en 2015) sur le bien-être.
Grâce à cela, le « bien-être » n’est plus un mot incongru, cela devient un mot qui passe dans le vocabulaire de tout le monde.

Mireille Garolla Associé gérant de Group3C Executive coach spécialisée en transition professionnelle Auteur de : Changer de Vie en milieu de Carrière chez Eyrolles