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La médiation professionnelle arrive en Afrique. Par Aïcha Sangaré et Simone Solange Feoketchang Kouatchou.
Parution : mardi 4 août 2015
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L’Afrique souffre de ses relations tendues et conflictuelles. Elle est régulièrement l’emprise de heurts qui lui donnent la figure d’un phénix planétaire. Ce berceau de l’humanité est parcouru de tant d’ambitieux, d’enjeux et de jalousies qu’on peut se demander comment lui apporter désormais les moyens de renforcer son traditionnel attachement au dialogue.
Pourtant, inlassablement, des initiatives sont prises. Ces dernières années, c’est par le biais des échanges commerciaux qu’une pratique est promue : la médiation, dont l’objectif déclaré est de mettre un terme aux litiges plus rapidement et durablement que le système judiciaire. Parallèlement, une discipline a été développée, la « médiation professionnelle », à laquelle des dirigeants d’entreprises, des acteurs sociaux et des juristes de plusieurs pays se sont déjà formés.

Professionnelle, la médiation initie un changement de paradigme, ou au moins un ajustement fondamental quant à comprendre le fondement de l’organisation sociale : la société est-elle un lieu d’adversité à gérer, ou un environnement d’altérité à promouvoir ? Selon la prédominance de la réponse, les choix de quête de soumission ou d’éducation permanente peuvent impliquer pour les relations des modes de régulation spécifiques. On peut ainsi comprendre qu’en recherchant à placer la médiation sous l’égide d’un système d’autorité, notamment pour le règlement des différends, on se trompe et dévoie l’intérêt même de la médiation.

En effet, la médiation est multiforme. Elle consiste dans l’intervention d’un tiers pour faciliter une communication ou le passage d’une information. Avec une telle définition, l’auteur de la « médiation professionnelle », Jean-Louis Lascoux, fait observer que la médiation peut avoir une vocation pédagogique, à ce titre, elle participe à la formation continue de la citoyenneté. Dans le même ordre d’idée, un enseignant peut mettre le savoir à la portée de ses élèves, et non se comporter de manière autoritaire. La médiation est ainsi une méthode de l’école de la vie : on comprend, apprend, découvre, s’implique grâce à l’intervention des autres. Les maîtres mots sont la confiance et l’altérité.

Aujourd’hui, l’Afrique a le choix, d’autant que sur ses terres, la médiation n’est pas une pratique nouvelle. La palabre est si traditionnelle que partout dans le monde, les auteurs y font référence pour rappeler les bienfaits d’une discussion socialement pacificatrice, assistée par un tiers, dans laquelle les parties s’impliquent. Et la palabre est une antique pratique de la médiation, néanmoins celle-ci est publique tandis que la médiation est confidentielle, à l’écart de l’affrontement entre « le juste et l’injuste ».

La médiation et la « médiation professionnelle »
A la fin du siècle dernier, en France, une nouvelle discipline a été élaborée : la « médiation professionnelle ». Il s’agit d’une discipline des relations dont les postulats sont rationnels, exclusivement dispensée par l’école professionnelle de la médiation et de la négociation - EPMN. La « médiation professionnelle » se différencie de la « médiation » habituellement pratiquée sous la tutelle des systèmes d’autorité en ce qu’elle est conçue par l’organisation des médiateurs professionnels, la CPMN, pour être exercée dans le cadre d’une profession à part entière, avec des garanties d’indépendance comparables à celle des ombudsmans.

Cette profession n’est pas inscrite dans les modes de gestion des rapports de force, ni de la recherche des solutions « gagnant/gagnant », pas plus que dans les représentations économiques des personnes avec la questions des « enjeux et des intérêts » à l’américaine. Elle privilégie les relations et se fonde sur une réflexion sur les postures. Elle outille la réflexion et la raison. Elle est conçue dans une démarche résolutoire des différends et de recherche de solutions pérennes visant la qualité relationnelle.

Le champ d’étude de la médiation professionnelle est celui de la manière dont les relations s’établissent, perdurent de façon agréable, se dégradent et deviennent conflictuelles. Elle permet d’avoir une approche opérationnelle et performante des rapports de confiance, de défiance et de méfiance. Son instrumentation est celle de la communication. Elle puise ses outils dans la rhétorique, les savoir-faire dans la prise de décision et la conduite de projet. Placée en regard des systèmes fondés sur l’autorité, tels le système judiciaire, l’arbitrage ou la conciliation, la médiation professionnelle offre la voie de promotion de l’altérité par rapport à la gestion de l’adversité.

La médiation professionnelle et le droit à la médiation
La médiation professionnelle est décrite par son initiateur comme un apprentissage indissociable de l’enseignement obligatoire pour bien vivre en société. Elle est liée à l’article 1er de la déclaration universelle des droits humains, selon lequel « tous les Hommes naissent libres… ». Le système judiciaire développé dans de nombreux pays n’apporte qu’un moyen restrictif, voire privatif de la liberté de décision. Ainsi, le droit d’accès à la justice est-il un droit issu d’une pratique féodale estimant que les personnes doivent être placées sous tutelle lorsqu’elles semblent ne pas savoir faire autrement.

La médiation professionnelle « est une discipline fondée sur l’observation des comportements humains. Elle est une approche répondant aux besoins fondamentaux et sa méthodologie, faite de dispositifs efficaces et de processus structurés, a été adoptée par les spécialistes de la qualité relationnelle et de la résolution des conflits. » Elle offre une nouvelle voie, celle du « droit à la médiation », c’est-à-dire in fine celui de la libre décision ; c’est pourquoi les Etats respectueux des libertés doivent aider les personnes à entretenir cette liberté fondamentale promouvant l’adhésion et non la soumission au pacte social.

Depuis 2015, avec l’accord entre l’EPMN et la CACI, la médiation s’implante en Afrique. Parallèlement, depuis plus de deux ans, de nombreux acteurs de l’OHADA envisagent l’intégration de la médiation dans son intitulé. Le club de Bordeaux est déjà signataire d’une convention avec l’EPMN et ViaMediation. Par ailleurs en parcourant la convention de Malabo (art 34) on relève sa nécessité, voir son exigence.

Un colloque en Côte d’Ivoire auprès des acteurs économiques
L’événement organisé par la CACI les 4 et 5 juin à Abidjan, a été d’une envergure sans précédent. Le 1er Colloque international sur la médiation a été officiellement ouvert par le premier ministre Daniel Kablan Duncan, accompagné à l’occasion du ministre du Commerce Jean Louis Billon, de celui de la justice, des Droits de l’Homme et des Libertés publiques, Gnénéma Mamadou Coulibaly, et du président de la Cour suprême, René Aphing-Kouassi.

A cette occasion, le premier ministre Daniel Kablan Duncan est venu saluer les acteurs de cet évènement et l’ensemble des partenaires, dont le président de l’école professionnelle de la médiation et de la négociation – EPMN, Jean-Louis Lascoux, et sa directrice Aïcha Sangaré. Il a témoigné de l’intérêt de l’ensemble de la société pour le développement de la médiation, établissant un lien fort entre le climat des affaires et celui de la paix sociale.

Lors d’un rendez-vous matinal, le ministre de la justice, M. G. Mamadou Coulibaly, lui aussi très au fait de la médiation et motivé pour son développement, a exprimé son souhait de favoriser la formation des corps judiciaires à la médiation professionnelle. La discussion entre le ministre et le président de l’EPMN a mis l’accent sur les enjeux d’une nouvelle profession, celle des médiateurs, dont l’indépendance doit être préservée autant que ses garanties de compétences transversales.

Ainsi, l’Ecole Professionnelle de la Médiation et de la Négociation – EPMN va avoir une première branche africaine implantée à Abidjan.

Les soutiens des acteurs politiques sont enthousiasmants pour tous les professionnels réunis dans la recherche de relancer le plus vite possible et dans les meilleures conditions la vie sociale et économique de la Côte d’Ivoire. A plusieurs reprises, les hommes d’affaires présents ont rappelé leur détermination à contribuer à la stabilité du pays et à son épanouissement.

Aux racines de la discussion à l’africaine
Lorsque l’on parle de démocratie et de gouvernance, on a tendance à citer deux sources : la démocratie antique qui existait à Rome, et la démocratie occidentale importée dans les pays du tiers-monde après la colonisation. Dans cette classification, on oublie régulièrement de citer la plus vieille démocratie et/ou gouvernance africaine, qui se manifeste dans la palabre.

En effet, la démocratie et la gouvernance existaient bel et bien en Afrique avant la colonisation. Contrairement à tout ce qui est dit sur ce continent, la démocratie participative et la gouvernance ont pu avoir une certaine pratique en Afrique il y a fort longtemps. Pour bien en comprendre les origines et les objectifs, il faut se replacer dans la cosmologie de l’univers sociopolitique des sociétés africaines de l’époque.

Avec le développement de l’État moderne, les institutions traditionnelles informelles ont été absorbées. L’importance de la palabre et le rôle qu’elle jouait dans la société se sont affaiblis pour se réduire à un organe ordinaire, semi-traditionnel ou semi-administratif, voire à une simple coutume. Les pratiques socioculturelles des pays du Sud s’exportent de mieux en mieux.

L’arbre à palabres et la médiation professionnelle
Il existe bien une version africaine de cette discussion qui devient inimaginable pour les protagonistes d’un différend. L’arbre à palabre est souvent évoqué. Il s’agit d’une coutume du continent noir, pour débattre et régler des conflits au sein d’une communauté.

La palabre permet la rencontre et la création ou de maintien de liens sociaux. Le même lieu peut être utilisé pour transmettre des codes sociaux, éduquer les enfants et échanger sur des affaires préoccupant la communauté. Elle permet de régler un contentieux sans que les protagonistes ne soient lésés.

En Afrique, on se réunit encore au pied de l’arbre à palabre, un baobab fait souvent l’affaire. Le sablier n’existe pas. Mais la civilisation de la précipitation économique vient presser le pas d’un nombre croissant d’Africains. Le temps de la discussion se perd. Pourtant, tout un chacun a besoin qu’on prenne le temps qu’il faut pour s’entendre, se comprendre, vivre ensemble.

L’arbre à palabres ne se manifeste pas de la même façon partout où on y recourt. Mais il reste un idéal à atteindre, associé à l’instrumentation de la médiation professionnelle, pour un meilleur fonctionnement de la société.

L’accueil fait par Nanan Dodo N’dépo Didas, porte parole des chefs traditionnels, au discours de Jean-Louis Lascoux lors du colloque d’Abidjan, témoigne de cette complémentarité :
« Je vais rapporter à la chefferie ce que j’ai entendu et je vais leur dire que j’ai rencontré quelqu’un qui peut nous former à mieux exercer notre rôle auprès de la population. »

Un défi pour l’unité africaine : opter pour un droit à la médiation
L’attitude passive qui paralyse souvent l’Afrique risque de faire imposer des pratiques et des modes de vie qui ne correspondent finalement à personne dans nos contrées.

Le système judiciaire, avec sa codification et ses jeux procéduraux, est en échec en Occident. Il n’a pas un meilleur succès en Afrique. Pourtant, c’est une médiation juridique qui semble venir s’immiscer dans la culture africaine qui y est réfractaire depuis le début.

Un défi se présente, celui de faire évoluer les pratiques sociales. Ce défi touche à ce qui constitue le ciment de notre société : la relation, au cœur du pacte social. La manière dont les difficultés relationnelles sont réglées façonne la vie en société. Ce n’est pas pareil de dire :
« Je te fais un procès et on va voir à qui le juge va donner raison. », que de dire :
« Puisque c’est ainsi, nous allons demander au médiateur professionnel de nous aider à discuter de manière plus posée. Allons sous l’arbre de la palabre ! »

Comment s’y prendre ? Comment faire pour faire évoluer cette conception des relations rendue encore plus complexe avec le poids de la tradition africaine d’un côté, celui du système occidental qui régit une partie de l’organisation sociale de l’autre ? Que faut il faire ?...

Provoquer un effet de créativité pour une nouvelle profession
L’Afrique est un terrain propice au développement de la profession de médiateur. Les relations ont des spécificités et la palabre témoigne de cette autre manière de considérer ce qui fait le ciment social. Tout est lié. De ce fait, la palabre, combinée à la médiation professionnelle, doit être prise en compte dans la gouvernance africaine.

Cependant, autant la palabre fait appel à des notions très marquées culturellement, ancrées dans des croyances, des mystiques et des rappels moralisateurs, la médiation professionnelle apporte une pratique méthodologique très rationnelle. Par ailleurs, comme dit plus haut, la palabre est publique, tandis que le principe fondateur de la médiation est la confidentialité.

Dans sa pratique, le médiateur maîtrise un processus structuré très rigoureux. Il est tenu par une déontologie et une éthique qui visent l’exemplarité. Il a acquis une discipline pour accompagner les personnes dans des démarches délicates ou pour leur permettre de décider dans un climat favorable à la prise d’engagements durables. Son intervention permet d’identifier des modalités de fonctionnement et de communication précises.
La rencontre entre la médiation professionnelle et l’Afrique apporte une manière douce de faire évoluer les rapports de tous au pacte social en Afrique.

Les avantages de la médiation professionnelle
Les avantages de la médiation professionnelle sont imbriqués à son déroulement. Le premier pourrait être celui qui consiste à ce qu’une personne fasse le point, lors d’un entretien privé et confidentiel, de l’état d’une relation, professionnelle, personnelle, économique, patrimonial, de voisinage, ou autre et sache ce qu’elle veut réellement faire, par delà l’état émotionnelle qui peut avoir obscurci son jugement.

Un autre avantage peut porter sur une aide à la structuration de la pensée pour mieux aborder la situation de confrontation, laquelle peut être une étape vers un changement, lequel peut aller de l’aménagement à la rupture relationnelle, quelque soit l’apparence de la relation (durable ou non).

La reprise d’un dialogue, même ponctuel, de simple circonstance pour mettre un terme au différend, peut aussi être vue comme un avantage dans la mesure où, selon la nature des relations qui peut être anticipées, cette discussion peut permettre de prendre sur le temps.

Plusieurs autres avantages peuvent être listés, au choix ou tout à fait cumulables :
• La médiation en appelle à la responsabilité personnelle et à la capacité de décider de chaque partie ;
• Les parties définissent les modalités de la médiation, avec le médiateur auquel elles confient la responsabilité de la garantie de son bon déroulement ;
• Elle s’adapte aux différents contextes ;
• Elle est un huis-clos : un processus confidentiel auquel les parties et le médiateur s’engagent ;
• Elle est économique, en temps et en argent : moins coûteuse et aléatoire qu’un rapport de force ou une procédure judiciaire ;
• Elle s’inscrit dans la réalité relationnelle : prise en compte du caractère durable ou non durable des relations entre les parties ;
• Elle intègre la réflexion et la créativité de chacun, ouvre à un esprit de contribution pour la résolution des différends et des problèmes ;
• Elle a des avantages qui dépassent la situation en cause : permet d’examiner les aspects d’un différend et d’anticiper les risques inhérents à la mise en œuvre de l’accord ;
• Elle va de la qualité relationnelle à la négociation : intègre un processus créatif ;
• Elle va jusqu’à la conclusion d’un accord et dépasse l’accord en travaillant sur une dynamique de projet adaptée à chaque cas ;
• Le médiateur professionnel présente des garanties professionnelles du Code d’éthique et de déontologie – le CODEOME, en tant que membre de la chambre professionnelle de la médiation et de la négociation – CPMN.

Un nouveau droit au service de la liberté en Afrique
Ainsi, la « médiation professionnelle » n’est plus tout à fait dans la même veine que la palabre, laquelle tend à être le plus souvent publique. Ce qui caractérise ce processus très structuré et structurant, c’est d’être conduit et animé dans des conditions de stricte confidentialité. Par la suite, les parties s’accordent sur la diffusion de l’information qui sera faite concernant leurs échanges et leur accord. Peut-être que rien n’en sortira. Il faudra peut-être alors apaiser les alliés de circonstance. Le médiateur professionnel aidera les parties à choisir la meilleure – et parfois la moins pire – des solutions pour clore les affrontements et leurs débordements.

De par les expériences, il est clair que la médiation professionnelle est une voie adaptée à la culture africaine. Elle se présente comme une possibilité finement liée à la tradition de la parole africaine, avec l’exercice d’un droit, celui de la médiation pour permettre de renforcer cette liberté qui fait l’écho à l’ensemble des cultures africaines.

Références :
• Pratique de la médiation professionnelle, Jean-Louis Lascoux, édition ESF, 1ère édition 2001, 7° édition 2015
• Et tu deviendras Médiateur et peut-être philosophes, Jean-Louis Lascoux, Médiateurs Editeurs, 2012
• Discours sur le droit à la médiation, par Jean-Louis Lascoux, https://www.youtube.com/watch?v=G4ebo6f20js
• La justice et ses « milieux », le juste et l’injuste, Jean-Louis Lascoux, Philosophies.tv, Uriage 2011
• Code de la Médiation et du médiateur professionnel (en France), recueil des textes officiels et professionnels, dirigé par M° Agnès Tavel, Médiateurs Editeurs, 2013
• La palabre, une juridiction de la parole, Jean Godefroy Bidima, Le bien commun, 1997
• Officiel de la médiation professionnelle, site d’information, Médiateur éditeurs
• WikiMediation, observatoire international de la médiation, Médiateurs Editeurs
• WikiPedia, Fondation mediawiki

Aïcha Sangaré, Directrice de l'école professionnelle de la médiation et de la négociation Simone Solange Feoketchang Kouatchou, avocate de la région du Littoral du Cameroun