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Immigration : l’adoption du projet de loi « Droit des étrangers ». Par Benjamin Brame, Avocat.
Parution : jeudi 6 août 2015
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Ce texte adopté en 1ère lecture par l’Assemblée Nationale le 23 juillet 2015, est annoncé depuis déjà un an jour pour jour, en même temps que la réforme du droit d’asile, mais est pourtant resté en dehors de tout débat public avant l’ouverture de la séance parlementaire.
Ce projet de loi a été présenté comme une réforme s’inscrivant dans la volonté d’améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers, mais au final, que dit réellement le texte ?

En effet dans son communiqué de presse du Conseil des ministres du 23 juillet 2014 le ministre de l’intérieur a présenté un projet de loi relatif au droit des étrangers en France. Ce projet de loi devait selon lui s’inscrire dans le respect des trois priorités du Gouvernement en matière d’immigration : améliorer l’accueil et l’intégration des étrangers régulièrement admis au séjour ; renforcer l’attractivité de la France en facilitant la mobilité des talents internationaux ; lutter plus efficacement contre l’immigration irrégulière, dans le respect des droits fondamentaux.

Il devait ensuite généraliser le titre de séjour pluriannuel pour l’ensemble des étrangers, après un an de séjour en France, afin de désengorger les préfectures accueillant aujourd’hui 5 millions de passages par an, pour 2,5 millions d’étrangers titulaires d’un titre de séjour.

Il devait donc s’agir de réaliser une véritable simplification du droit au séjour des étrangers en France, afin de favoriser leur intégration.

Mais après une lecture attentive, on s’aperçoit que cette prétendue amélioration de l’intégration, une fois de plus, n’en n’est pas réellement une !

Tout d’abord, la carte pluriannuelle, présentée comme une grande avancée, n’apporte aucune garantie supplémentaire quant à son renouvellement et peut donc être retirée à tout moment :

« Article 6 du projet de loi :

Le second alinéa de l’article L. 313-1 du même code est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
La durée de validité de la carte de séjour pluriannuelle ne peut être supérieure à quatre ans.
À l’expiration de la durée de validité de sa carte, l’étranger doit quitter la France, à moins qu’il n’en obtienne le renouvellement ou qu’il ne lui soit délivré un autre document de séjour. »

De plus ces cartes pluriannuelles ne sont pas vraiment novatrices et reprennent des titres de séjour préexistant, par exemple :

« Article 11 du projet de loi

La carte de séjour pluriannuelle portant la mention “passeport talent” :

« Art. L. 313-20. – La carte de séjour pluriannuelle portant la mention “passeport talent”, d’une durée maximale de quatre ans, est délivrée, dès sa première admission au séjour. »

En effet, cette carte n’est que la transposition à peine voilée de l’ancienne carte compétences et talents.

Ou la carte de séjour pluriannuelle portant la mention “salarié détaché ICT” qui n’est en réalité que la transposition de la carte dite « salarié en mission » :

"Art. L. 313-23-1 (nouveau). – I. – Une carte de séjour d’une durée maximale de trois ans, autorisant l’exercice d’une activité professionnelle, est délivrée à l’étranger qui vient en France pour effectuer une mission dans le cadre du 2° de l’article L. 1262-1 du code du travail afin soit d’occuper un poste d’encadrement supérieur, soit d’apporter son expertise dans une entreprise française du groupe d’entreprises auquel il appartient et qui justifie d’une ancienneté professionnelle dans le groupe d’entreprises concerné d’au moins trois mois. Cette carte est délivrée pour la durée de la mission envisagée sur le territoire français. En cas de prolongation de la mission, elle est renouvelée dans les mêmes conditions et dans la limite d’une durée maximale de trois ans. Elle porte la mention “salarié détaché ICT”."

Mais si la volonté sous-jacente était vraiment de favoriser l’intégration, pourquoi ne pas revenir concrètement sur la délivrance « de plein droit » de la carte de résident de 10 ans pour les catégories de migrants ayant déjà acquis un droit de séjour ?

En outre ce projet de loi se présente comme une succession de petites réformettes à inclure dans le CESEDA (Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), qui rendra encore une fois plus compliqué l’utilisation de ce code par les étrangers, les professionnels du droit ayant déjà eux-mêmes souvent des difficultés à l’appliquer tellement il est devenu complexe.

De surcroît, le projet de loi n’apporte aucune amélioration sur la situation des étrangers retenus en zone d’attente, qui est pourtant depuis des années un espace où les règles de droit internationales sont régulièrement foulées au pied.

Enfin et surtout, l’article 25 du projet de loi valide des pratiques de renseignement revenant à violer la vie privée des étrangers ; usages déjà existants dans les services préfectoraux, auquel la loi donne donc aujourd’hui une valeur légale et donc malheureusement opposable en justice :

« Article 25 du projet de loi :

« Le titre Ier du livre VI du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 611-12 ainsi rédigé :

« Art. L. 611-12. – Sans que s’y oppose le secret professionnel autre que le secret médical, les autorités et personnes privées mentionnées aux 2° à 12° du présent article transmettent à l’autorité administrative compétente, agissant dans le cadre de l’instruction d’une première demande de titre ou d’une demande de renouvellement de titre ou dans le cadre des contrôles prévus à l’article L. 313-5-1, les documents et les informations nécessaires au contrôle de la sincérité et de l’exactitude des déclarations souscrites ou au contrôle de l’authenticité des pièces produites en vue de l’attribution d’un droit au séjour ou de sa vérification.

« Ce droit de communication s’exerce sur demande de l’autorité administrative compétente, de manière ponctuelle et à titre gratuit, quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents, auprès :

1° (Supprimé)
2° Des autorités dépositaires des actes d’état civil ;
3° Des administrations chargées du travail et de l’emploi ;
4° Des organismes de sécurité sociale et de l’institution mentionnée à l’article L. 5312-1 du Code du travail.
5° et 6° (Supprimés)
7° Des établissements scolaires et des établissements d’enseignement supérieur ;
8° Des fournisseurs d’énergie et des services de communications électroniques ;
9° Des établissements de santé publics et privés ;
10° Des établissements bancaires et des organismes financiers ;
11° (Supprimé)
12° Des greffes des tribunaux de commerce. »

Par conséquent, les agents de préfecture pourront demander à l’ensemble de ces établissements la communication des données personnelles des étrangers.

Cet aspect du projet de loi, même s’il a été amputé de certains de ses articles depuis le texte initial, reste un dispositif de contrôle jamais encore envisagé dans aucun domaine du droit auparavant, car il remet en cause non seulement la vie privée des personnes, mais aussi la déontologie professionnelle des travailleurs sociaux et pire encore des professionnels de la santé.

Le texte va maintenant être discuté à l’automne au Sénat, avant un nouveau passage à l’Assemblée Nationale.

Par conséquent, ce texte n’est pas encore définitif, mais d’expérience nous savons que les projets de loi concernant les réformes du droit des étrangers sont promulgués bien plus vite que les lois de finances !

Lien du projet de loi dans son intégralité

Maître Benjamin Brame Avocat au Barreau de Paris Droit des Contentieux Publics & Droit des Etrangers Site Web : http://www.brame-avocat.com E-mail : [->contact@brame-avocat.com]
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