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Le changement de nom pour motif affectif. Par Juliette Daudé, Avocate.
Parution : vendredi 21 août 2015
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Pour changer de nom, il est nécessaire de justifier d’un intérêt légitime. Il faut donc avoir une bonne raison de vouloir ce changement.

L’intérêt légitime peut provenir du fait que le nom en question est difficile à porter à cause d’une consonance ridicule ou péjorative.

La légitimité de la demande de changement de nom est également largement reconnue aux personnes portant un nom à consonance étrangère quand ce dernier apparaît comme un frein à l’intégration au sein de la société française.

La survivance du nom d’un aïeul illustre apparaît aussi comme un motif légitime de changement de nom ou encore l’extinction d’un nom de famille.

Enfin, la jurisprudence admet depuis qu’il est également possible de justifier une demande de changement de nom pour motif affectif.

Toutefois, le seul motif affectif ne suffit généralement pas et d’autres conditions doivent être réunies pour que la demande aboutisse.

1. La consécration du motif affectif :

Par un arrêt rendu le 31 janvier 2014 (n° 362444), le Conseil d’Etat a jugé que « des motifs d’ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l’intérêt légitime requis par l’article 61 du Code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi  ».

Dans cette affaire, les requérants ont demandé au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui, à la suite du Tribunal administratif de Paris, a rejeté leur demande d’annulation pour excès de pouvoir des décisions du Ministre de la Justice refusant leur changement de nom.

Dans cette décision, une solution a été adoptée au regard de la situation personnelle des demandeurs.

Il s’agissait de deux frères abandonnés brutalement par leur père alors qu’ils étaient âgés de 8 et 11 ans.
Celui-ci n’avait plus eu aucun contact avec eux, il n’avait subvenu ni à leur éducation ni à leur entretien, alors qu’il en avait l’obligation en vertu du jugement prononçant son divorce. Il n’avait d’ailleurs jamais exercé son droit de visite et d’hébergement.

Les demandeurs ayant souffert de véritables traumatismes depuis cet abandon, ils ne voulaient plus porter le nom de ce père absent et souhaitaient se voir attribuer celui de leur mère, qui les avait élevés.

Les juges ont ici pris en considération l’environnement parental dans lequel les deux frères ont évolué et les raisons les ayant poussés à demander leur changement de nom patronymique : le préjudice psychologique des requérants a notamment été pris en compte.

Ainsi, le Conseil d’État a jugé que « ces circonstances exceptionnelles sont de nature à caractériser l’intérêt légitime requis pour changer de nom ; que, par suite, en leur déniant un tel intérêt, le garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a fait une inexacte application des dispositions de l’article 61 du code civil ».

2. Les conditions pour faire valoir un motif affectif :

Le Conseil d’Etat a donc affirmé de façon claire et nette que des circonstances d’ordre affectif peuvent fonder un intérêt légitime à changer de nom.

Les Juges s’intéressent dès lors à la situation personnelle propre à l’individu, à son évolution ainsi qu’à son passé, pour étudier sa demande de changement de nom et constatent si des circonstances exceptionnelles la justifient.

Ces circonstances exceptionnelles d’ordre affectif peuvent être constituées par le fait que le père ait abandonné l’enfant et que ce dernier en ait souffert.

Cet abandon et cette souffrance qui en sont découlés justifient le changement de nom sollicité.

Il est cependant primordial de souligner que, lors du dépôt de la demande de changement de nom, il faudra apporter au Ministre de la Justice non seulement :
- la preuve concrète du désintérêt du père ou bien d’un événement familial particulier mais également ;
- démontrer que ces faits exceptionnels ont eu pour conséquence un véritable impact psychologique et/ou physique, un traumatisme, sur la personne du demandeur.

Il est donc impératif de pouvoir apporter des preuves objectives justifiant ces éléments.

Il est également important de noter que un tel motif sera d’autant plus recevable si la personne a fait un usage prolongé d’un autre nom (le plus souvent le nom du parent qui ne l’a pas abandonnée) à cause de ces circonstances exceptionnelles.

En outre, dans un autre arrêt du 5 mars 2014 (n° 370168), le Conseil d’État a considéré que la seule volonté de reprendre le nom maternel ne suffisait pas à caractériser l’intérêt légitime.

Même si les demandeurs produisaient différentes pièces démontrant que le nom qu’ils portaient depuis l’enfance était constitué de leur nom patronymique ainsi que du nom de leur mère, ces faits ne constituaient pas des circonstances exceptionnelles justifiant l’intérêt légitime requis à l’article 61 du Code Civil., selon la juridiction suprême.

Ainsi, le Conseil d’Etat a rejeté leur demande car les demandeurs ne justifiaient d’aucun trouble sérieux que leur causerait le port de leur nom de naissance.

Aucun préjudice concret n’était mis en avant par les requérants.

Selon le Conseil d’État, leur demande de changement de nom n’était pas fondée alors même qu’ils avaient démontré un usage suffisamment prolongé et constant.
 
Par conséquent, même si la jurisprudence semble demander au Ministre de la Justice de s’attacher à l’étude de l’histoire et du passé de chacun afin de décider d’un changement de nom, il demeure essentiel d’établir par différentes preuves les circonstances exceptionnelles ou le préjudice traumatisant justifiant la demande de changement du nom.

Un avocat saura vous conseiller et vous orienter sur la possibilité d’invoquer un motif affectif dans votre demande de changement de nom de naissance.

Juliette Daudé Avocate à la Cour Site : http://cabinet-avocat-daude.fr/
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